Les politologues ont souvent porté leur regard sur des événements dits critiques qui marqueraient l’histoire et influenceraient les trajectoires des collectivités : des élections, des guerres, des crises politiques, économiques ou sociales, ou même des catastrophes naturelles. Certes, les politologues ne peuvent négliger de tels phénomènes. Il n’en demeure pas moins que la politique est présente dans les actes banals (et moins banals) du quotidien, du choix de son mode de transport ou encore aux discussions les plus diverses (et en apparence mondaines) entre citoyens et citoyennes, jusqu’aux actes de résistance ou de désobéissance au quotidien. On la retrouve au centre commercial, dans la rue, au travail ou en haute mer. Bref, les gens « font » la politique au quotidien. Et les élites politiques, quant à elles, doivent composer avec un quotidien souvent marqué par le banal et la répétition.
Pour ce 61e congrès de la Société québécoise de science politique, nous vous proposons d’explorer la place qu’occupe le quotidien et l’ordinaire dans la pratique et l’étude de la politique. Comment la politique se pratique-t-elle et se vit-elle au quotidien? Comment les actes de résistance au quotidien ont-ils évolué au XXIe siècle? Quels sont les moyens de désobéissance disponibles selon la classe ou l’état de marginalisation des groupes sociaux? Comment la modernité et l’apparition de nouvelles technologies transforment-elles les occasions de contestation politiques? Quelles sont les variations dans la pratique de la politique au quotidien, ou de ses moyens de contrôle, à travers le monde? En quoi les transformations technologiques, sociétales et économiques modifient-elles la pratique quotidienne de la politique et les endroits où elle est présente et observable? Comment les observateurs politiques, universitaires et journalistiques, étudient-ils/elles, analysent-ils/elles la politique au quotidien, de même que les pratiques politiques du quotidien? Quels rôles jouent le quotidien dans nos conceptions du politique? Quelles approches méthodologiques et quels outils théoriques peuvent être mobilisés pour étudier la place de la politique dans la vie quotidienne? Ce sont les questions auxquelles nous vous invitons à réfléchir à l’Université d’Ottawa du 29 au 31 mai.
Comité scientifique et organisateur
Sophie Bourgault
Christopher Cooper
Janique Dubois
Philippe Frowd
Pascale Massot
Loïg Pascual
Luc Turgeon
Federica Vairo
Nous avons le plaisir de vous présenter le programme final du Congrès 2024.
Il est possible de le télécharger en version pdf en cliquant ici.
Inscriptions au 61e Congrés
Les inscriptions au Congrès 2024 sont ouvertes jusqu’au 15 mai 2024 à toutes les personnes participantes en cliquant ici. Les frais d’inscription au Congrès sont de 25 $ pour les membres étudiants et de 75 $ pour les membres réguliers.
Pour participer au Congrès, il faut être en règle avec le statut de la SQSP et avoir payé vos frais d’adhésion. Si vous êtes un nouveau membre ou si vous devez renouveler votre adhésion, vous trouverez toutes les informations relatives à ce sujet sur le site de la SQSP.
Hébergement
Congrès annuel de la SQSP 2024 – Université d’Ottawa
Vous cherchez des conseils pour savoir où vous héberger à Ottawa au cours du Congrès ? Voici une liste de suggestions qui peuvent faciliter votre réservation de chambre.
Université d’Ottawa
L’Université d’Ottawa possède un hôtel à proximité du campus (distance de marche de 13 minutes) qui est utilisé comme résidence durant l’année scolaire. Il est possible d’y louer une chambre au printemps et l’été à un tarif abordable avec deux lits doubles pour 164$ (taxes incluses) :
https://www.accommodation.uottawa.ca/?L=fr-CA
Hôtels à proximité de l’Université
Plusieurs hôtels sont à proximité de l’Université d’Ottawa et certaines ont des ententes négociées avec l’ACPAU (l’association canadienne du personnel administratif). Pour les personnes qui ne connaissent pas cette association, toute personne travaillant pour une université canadienne (que ce soit les professeur.e.s ou encore les membres du personnel administratif) peut devenir gratuitement membre de l’Association et avoir accès aux rabais pour la réservation d’hôtel ou de trains (à des fins personnelles ou encore professionnelles). Vous pouvez vous inscrire à CAUBO ici : https://www.caubo.ca/fr/sign-up/
La liste des ententes avec des hôtels à Ottawa peut être consultée ici (après avoir créé votre compte) :
https://www.caubo.ca/discover-caubo/member-discounts/hotels/hotel-program-rates/?_sf_s=Ottawa
Voici quelques hôtels à relative proximité de l’Université, le prix courant pour une chambre et le rabais ACPAU (si disponible).
Nom | Prix approximatif par nuit (excluant les taxes) | Prix avec rabais ACPAU (excluant les taxes) |
Distance du campus à pied | Site web | Adresse |
The Business Inn & Suites | 151$ | ——— | 15 minutes | https://www.thebusinessinn.com | 180 MacLaren St, Ottawa, ON K2P 0L3 |
Novotel | 199$ | 15% de rabais | 11 minutes | https://www.novotelottawa.com/ | 33 Nicholas St, Ottawa, ON K1N 9M7 |
Les Suites | 390$ | 225$ | 10 minutes | https://www.les-suites.com/ | 30 Besserer St, Ottawa, ON K1N 9M9 |
Alt Hotel | 319$ | 199$ | 21 minutes | https://www.germainhotels.com/en/alt-hotel/ottawa | 185 Slater St., Ottawa, ON K0C 0C8 |
Ottawa Embassy and Suites | 289$ | 169$ | 13 minutes | https://www.ottawaembassy.com/ | 25 Cartier St, Ottawa, ON K2P 1J2 |
Swiss Hotel | 169$ | ——– | 9 minutes | https://swisshotel.ca/ | 89 Daly Ave, Ottawa, ON K1N 6E6 |
Saintlo Ottawa Jail Hostel (dans une ancienne prison!) | 60$/130$ | ——– | 9 minutes | https://saintlo.ca/en/hostels/ottawa-jail/ | 75 Nicholas St, Ottawa, ON K1N 7B9 |
MESSAGE DU PRÉSIDENT DE LA SQSP
Message du Président de la SQSP
Chères congressistes,
Cher congressiste,
C’est un réel plaisir de vous accueillir à l’Université d’Ottawa pour ce 61e congrès de la Société québécoise de science politique dont le thème cette année est « La politique au quotidien ». Merci sincèrement d’avoir proposé un atelier, un panel ou une communication, et d’ainsi contribuer à la vitalité de la SQSP et de la recherche en science politique en français.
Ce colloque n’aurait bien entendu pas été possible sans l’appui de nombreuses et de nombreux collègues. Dans un premier temps, j’aimerais offrir mes chaleureux remerciements à la coordonnatrice de la SQSP Federica Vairo pour sa diligence tout au long de l’organisation du congrès, de même qu’à Ema Grenier, Philippe Busser, Loïg Pascual et Khaoula Ait Rammania de l’Université d’Ottawa pour leur appui dans l’organisation des aspects logistiques de la conférence.
Je salue également la contribution exceptionnelle de mes collègues de l’École d’études politiques Sophie Bourgault, Christopher Cooper, Janique Dubois, Philippe Frowd et Pascale Massot qui ont généreusement accepté de participer au comité organisateur du Congrès. Je dois souligner en particulier l’aide et l’appui indéfectible de Sophie au cours des derniers mois, de même que ses efforts pour convaincre plusieurs collègues de soumettre des communications. Des remerciements également à Éric Champagne (Centre d’études en gouvernance), Stéphanie Gaudet (Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités), Vincent Mirza (Centre de recherche sur le futur des villes) et Jennifer Wallner (Chaire de recherche Jean-Luc Pepin) qui ont généreusement accepté de financer, par l’intermédiaire de leur chaire ou de leur centre de recherche, des activités spéciales du congrès. Merci finalement aux doctorants de l’École d’études politiques Mathis Bouquet, Piers Eaton et Loïg Pascual qui ont contribué à faire du Congrès étudiant de la SQSP, tenu en décembre dernier, un grand succès.
Je conclue en vous souhaitant un excellent congrès. J’espère qu’il vous permettra de renouer avec des collègues et d’en rencontrer de nouveaux et de nouvelles, d’échanger sur des sujets qui vous passionnent et de vous donner le goût de participer au prochain congrès de la SQSP qui aura lieu en 2025 à l’Université du Québec à Montréal.
Luc Turgeon
Président de la Société québécoise de science politique
École d’études politiques, Université d’Ottawa
MESSAGE DE LA DIRECTRICE DE LA REVUE POLITIQUE ET SOCIÉTÉS
Message de la directrice de la revue Politique et Sociétés
Cher.e.s congressistes,
La revue Politique et Sociétés est la seule revue générale de science politique francophone en Amérique du Nord.
Revue phare de la Société québécoise de science politique, Politique et Sociétés jouit d’un rayonnement international et d’un prestige académique bien établi.
L’objectif de notre revue est de diffuser la réflexion et la recherche de langue française provenant tant du Québec que de l’étranger. Comme directrice de la revue, c’est avec plaisir que je vous invite à nous soumettre un manuscrit original pour publication, ou encore vos idées de numéro thématiques. Si vous souhaitez vous impliquer davantage dans votre communauté, nous vous invitons à exprimer votre intérêt pour un poste au sein de notre comité de rédaction.
Sule Tomkinson
Directrice de la revue Politique et Sociétés
Département de science politique
Université Laval
Horaire
Mercredi 29 mai 2024
Jeudi 30 mai 2024
Vendredi 31 mai 2024
Événements spéciaux
Cocktail de bienvenue
Cocktail de bienvenue
Mercredi 29 mai 2024
17h à 18.30
Salles FSS 4007
Assemblée générale et remise de prix (+ cocktail)
Assemblée générale et remise de prix (+ cocktail)
Jeudi 30 mai 2024
17h00 à 18h30
Salle FSS 4007
Déjeuner des étudiant.e.s
Déjeuner des étudiant.e.s
Table ronde sur les stratégies de publication scientifique avec Janique Dubois (Université d’Ottawa) et Daniel Stockemer (Université d’Ottawa).
Vendredi 31 mai 2024
8h00 à 9h00
Salle FJJ 1005
Table ronde – Couvrir la politique au quotidien
Table ronde – Couvrir la politique au quotidien : perspectives de journalistes de la colline parlementaire
Jeudi 30 mai 2024
12h15 à 13h30
Salle FSS 4007
Participant.e.s :
Émilie Bergeron, Presse canadienne
Louis Blouin, Radio-Canada
Raymond Filion, TVA
Thierry Giasson, Université Laval
Mélanie Marquis, La Presse
Boris Proulx, Le Devoir
Lancement – Populisme et sciences sociales. Perspectives québécoises, canadiennes et transatlantiques
Lancement – Populisme et sciences sociales. Perspectives québécoises, canadiennes et transatlantiques
Mercredi, 12h15-13h30
(FSS 4004)
Participant.e.s
Efe Peker, Université d’Ottawa
Audrey Gagnon, CRIDAQ, Université d’Ottawa
Daniel Stockemer, Univeristé d’Ottawa
Lancement – Dictionnaire politique de la scène municipale québécoise
Lancement – Dictionnaire politique de la scène municipale québécoise
Vendredi 12h15-13h30
(FSS 4012)
Participant.e.s
Sandra Breux, INRS
Anne Mévellec, Université d’Ottawa
Ateliers
A.1. Étudier la politique au quotidien
Responsable : Luc Turgeon (Université d’Ottawa)
Les politologues ont longtemps privilégié dans leurs études les événements politiques ponctuels, de même que les institutions et les acteurs qui les façonnent. C’est ainsi qu’ils et elles se sont souvent penché.e.s sur les guerres, les élections ou encore les grandes crises sociales et internationales. Le vocabulaire politologique reflète souvent l’importance de tels événements ponctuels dans la discipline : « jonction critique », « chocs externes », « élection de réalignement », « changement de paradigme ». Les choix méthodologiques des politologues ont également souvent reflété le rôle central accordé aux « grands événements ». On n’a qu’à penser à l’importance qu’ont eu dans le développement des études sur l’opinion publique les sondages effectués au moment d’élections nationales.
Bien entendu, les politologues féministes ont affirmé il y a maintenant plusieurs décennies que ce qui est du domaine privé était politique, nous invitant donc à explorer les dimensions politiques de la vie quotidienne. L’utilisation croissante de l’approche ethnographique en science politique nous amène également à jeter notre regard de chercheur.euse vers des aspects du quotidien qui peuvent nous apparaitre banals à première vue. C’est pourtant dans l’étude du quotidien que l’on peut véritablement mieux saisir la pratique du politique, les mécanismes de transmission des opinions politiques ou encore des formes citoyennes de résistance à l’État qui ont trop longtemps échappé à notre regard de chercheuses et de chercheurs.
L’atelier que nous proposons vise à explorer la façon dont les politologues et autres spécialistes des sciences sociales étudient la dimension politique du quotidien, c’est-à-dire la politique telle qu’elle se pratique et se façonne au jour le jour. Notre démarche à trois principaux objectifs : 1) de démontrer ce que les chercheurs gagnent en connaissance et en compréhension du politique lorsqu’ils explorent le quotidien des politiciennes et politiciens, des fonctionnaires, des militant.e.s ou encore des citoyen.ne.s; 2) d’explorer différentes approches méthodologiques permettant de mieux aborder cet univers quotidien de la pratique du politique ou encore la façon d’adapter nos approches actuelles à l’étude de la pratique quotidienne du politique; 3) de présenter un regard critique sur les approches privilégiées pour étudier la politique au quotidien.
Panel A.1.1, Mercredi 29 mai – 9h00 à 10h30
Action politique et socialisation politique au quotidien
Président et commentateur : Luc Turgeon
Pascale Dufour (Université de Montréal), « Étudier l’action politique au quotidien »
Antoine Mazot-Oudin, « Étudier les rapports au politique des classes populaires par le bas, distances de classe et proximité nationale dans deux observations ethnographiques au camping en France et au Québec »
Katharine Throssell, (Sciences Po Bordeaux) « Moana : exploratrice et gardienne de la mémoire ». Une analyse des thématiques nationalistes et cosmopolites dans la culture enfantine »
Panel A.1.2, Mercredi 29 mai – 10h45 à 12h15
Identité et politique au quotidien
Président et commentateur : Michael Orsini (Université d’Ottawa)
Gabrielle Prince-Guérard et Izara Gilbert (Université du Québec à Montréal). « Parle-moi de la vie quotidienne dans ton quartier: Enjeux de la recherche sur l’expérience des discriminations et des profilages »
Pascale Dangoisse (Université d’Ottawa), « La politique au quotidien des blogueuses féministes »
Luc Turgeon (Université d’Ottawa), Le « nous » et « l’autre » au quotidien dans les discours politiques : le cas des conférences de presse du Premier ministre Legault durant la crise du COVID
A.2. David Graeber, penseur de l’imagination
Responsables : Alexandre Crépeau (Université d’Ottawa), Raphaël Ouellet (UQAM) et Sophie Bourgault (Université d’Ottawa)
Le monde ne pourrait-il pas être autrement ? La vie et l’œuvre de David Graeber (1962-2020) auront été dédiées à ouvrir nos horizons politiques, à rendre un autre monde possible. Ce colloque cherchera à comprendre le rôle qu’a joué l’imagination au sein de son travail intellectuel et activiste.
Comme s’il répondait à la condition décrite par Mark Fisher comme le « réalisme capitaliste », Graeber nous plonge dans notre passé et notre présent pour ouvrir une brèche dans laquelle dessiner notre avenir. Dans Utopia of Rules, il interroge la bureaucratie, définie comme antipode de l’imagination. Processus de formalisation et d’abstraction, elle homogénéise la « réalité », l’immobilise et l’aplanit. Ce faisant, elle cimente des relations de pouvoir inégalitaires et oppressives. Bullshit Jobs, via son portrait parlant de la souffrance contemporaine au travail, dévoile le vide central à ces expériences : vide de sens, mais plus encore vide de pensée, de création et d’imagination. Si Graeber diagnostique des grands maux de notre époque, ses études anthropologiques, portant autant sur les nouvelles manières de structurer notre présent politique que sur les manières passées d’organiser nos sociétés, mènent à reconsidérer ce qui est possible.
L’imagination graeberienne souhaite ainsi passer outre les limites imposées par les systèmes d’oppression sous-tendant notre imaginaire. Graeber appelle à remettre en question ce qui nous semble naturel pour entrevoir ce qui pourrait être : un ordre plus juste et décent. Cette ontologie politique de l’imagination se décline comme projet intellectuel et politique ambitieux : suite à son décès prématuré en 2020, il devient nécessaire de le poursuivre.
Le travail de Graeber étant assez récent, très peu s’y sont penché·e·s en profondeur. Cette absence est particulièrement notable dans le monde francophone : bien que les concepts établis par Graeber soient assez connus, son œuvre demeure sous-théorisée. Le large déploiement des notions proposées par David Graeber témoigne pourtant de la pertinence de ses travaux et souligne la nécessité de les interroger davantage. Une posture hagiographique, par contre, ne nous intéresse guère : il s’agira par conséquent de creuser les manques, les angles morts et les pistes non explorées au sein de ses réflexions. L’atelier vise donc à enrichir un pan de la recherche jusqu’ici négligé, en creusant l’œuvre d’un des théoriciens sociaux les plus largement reconnus de notre époque.
Graeber écrit en réaction à diverses crises — politique, sociale, climatique, du travail — qu’il s’avère essentiel de théoriser davantage. À l’instar de Graeber, l’atelier propose ainsi d’alimenter les réflexions entourant ces crises : de creuser leurs causes et d’imaginer des débouchées possibles. Nous souhaitons permettre un espace de réflexion et de discussion pouvant enrichir nos conceptions non seulement de la pensée graeberienne, mais plus encore des divers enjeux qu’il participe à théoriser.
Les contributions porteront, sans s’y limiter, sur les axes suivants : pratiques démocratiques radicales, enjeux du travail, travaux traitant de la bureaucratie, de la dette ou de la théorie de la valeur, lectures et analyses des textes de Graeber.
Panel A.2.1, Mercredi 29 mai – 9h00 à 10h30
Failles et ouvertures : questionner et développer les concepts
Saja Farhat (Université de Montréal), « Au-delà de Graeber : Les Bullshit jobs à la lumière de l’oppression selon Young »
Raphaël Ouellet (Université du Québec à Montréal). « « ARRANGEZ-VOUS ». L’art contemporain face à l’imaginaire bureaucratique »
Panel A.2.2, Mercredi 29 mai – 10h45 à 12h15
Mettre la libération en acte : pratiques de l’imagination
Alexandre Crépeau (Université d’Ottawa), « Refuser de parvenir: les vertus associées au travail chez David Graeber et Simone Weil »
Adèle Payet (Université Laval et École Normale Supérieure de Lyon), « L’action directe comme politique de l’imagination : une perspective féministe »
Panel A.2.3, Mercredi 29 mai – 13h45 à 15h15
Penser l’utopie avec David Graeber
Arianne Belzile (Université Laval), « (Re)penser l’utopie : quelles trajectoires possibles à l’ère du capitalisme avancé? »
Bruno Sylvestre et Émilie Bernier (Université d’Ottawa), « La décroissance : répertoire de pratiques et laboratoire de l’imaginaire ».
Jonathan Lorange-Millette (Université de Sherbrooke, Université d’Ottawa et Cégep de l’Outaouais), « Terreur des mers ou champions de l’égalité ? – Imaginer la piraterie »
A.3. Le(s) corps politique(s)
Responsables : Sylvain Bérubé (Université d’Ottawa), Robert Sparling (Université d’Ottawa), Marcus Charlesworth (Université d’Ottawa)
Panel A.3.1, Mercredi 29 mai – 9h00 à 10h30
Souverain, peuple et communauté : enjeux normatifs et critiques du corps politique
Présidence : Justine Perron, Université d’Ottawa
Sylvain Bérubé (Université d’Ottawa), « La figure du souverain chez Philip Pettit : la souveraineté contre la tradition républicaine de la constitution mixte »
Dans son plus récent ouvrage, Philip Pettit s’intéresse aux fondements de l’État, aux conditions qui rendent l’État légitime et, de façon assez surprenante pour ses lecteurs républicains, à la figure du souverain. Dans The State (2023), Pettit concède que la souveraineté est un concept politique « attrayant » et qui mérite d’être repensé afin de se défaire de sa nature dominante. Procédant en deux temps, Pettit formule d’abord une critique de ce qu’il nomme la tradition absolutiste de la souveraineté, un courant associé notamment à la pensée de Jean Bodin, de Thomas Hobbes et de Jean-Jacques Rousseau. Contre cette tradition, il propose ensuite de montrer comment la souveraineté peut être pensée afin de se détacher de son caractère indivisible, rendant ainsi le concept compatible avec la tradition républicaine de la constitution mixte et de la contrainte du pouvoir de l’État.
Dans cette communication, je soutiendrai dans un premier temps que la critique de la conception absolutiste de la souveraineté que formule Pettit est non seulement intéressante, mais également innovante en ce qu’elle s’ancre dans la tradition même de la constitution mixte. Je suggère que sa critique de la souveraineté puisse contribuer à un dialogue avec d’autres critiques contemporaines du même concept, notamment celles issues de la pensée décoloniale en particulier, des épistémologies autochtones. Cela dit, j’argumenterai dans un second temps que si la tradition de la constitution mixte a « ignoré » le concept de souveraineté, ce n’est pas dû à un manque d’imagination, mais plutôt, puisque la constitution mixte peut se passer de la souveraineté afin de penser la légitimité de l’ordre politique.
Robert Sparling (Université d’Ottawa), « Dette souveraine, promesse collective et identité nationale »
Les États modernes sont souvent représentés – en particulier dans la tradition contractualiste – comme des personnes morales souveraines unifiées, singulières et transgénérationnelles, dont les actes sont le produit d’une volonté collective. Pour certains penseurs de la tradition contractualiste, les obligations collectives à long terme – en particulier les dettes collectives – sont considérées comme des éléments qui portent atteinte à l’intégrité de la volonté collective, en externalisant le pouvoir vers d’autres acteurs. Cela est particulièrement évident dans le cas de dettes d’État à long terme, où le poids des obligations peut impliquer que les créanciers aient un pouvoir sur les décisions étatiques supérieur à celui du demos lui-même. Il y a là un aspect paradoxal, car la capacité même de faire des promesses transgénérationnelles est une condition fondamentale pour être reconnu comme un État souverain, alors que l’assujettissement à des obligations collectives de longue date semble saper la souveraineté elle-même. Notre communication suggèrera que ce paradoxe est particulièrement frappant dans le cadre d’une conception rousseauiste ou kantienne de la souveraineté. La façon dont l’État est conceptualisé dans la théorie du contrat social du XVIIIe siècle n’est pas à même de saisir la réalité de la dette publique perpétuelle et de l’État financiarisé.
Marcus Charlesworth (Université d’Ottawa), « Pourquoi je reste en ville »
Le romantisme de la campagne par Martin Heidegger dans « pourquoi je reste en province » a acquis une pertinence nouvelle en vue d’un intérêt croissant pour diverses formes d’autoexclusion de la « course folle » de la vie moderne- ceux-ci allant de l’excentrique, mais inoffensive, poursuite d’un « retour à l’essentiel » à un anti-modernisme violemment réactionnaire. Une grande partie de ce qu’a dit Heidegger au sujet de la ruralité est, prima facie, absurde quand on considère les réalités de la vie rurale. En outre, son apologia pour la ruralité se double, je crois, d’un anti-cosmopolitisme inextricablement lié avec les tendances les plus pestiférées de la pensée Heideggérienne. Néanmoins, je vais défendre le propos que la conception Heideggérienne de « l’alliance authentique » – sur laquelle repose, je dirais, sa préférence pour la campagne- et de la place centrale de l’artiste dans le développement d’une conscience de l’espace commun a néanmoins une grande valeur. La conception Heideggérienne du Mitsein et des communautés fondées sur des relations partagées de soins contient une stratification sophistiquée d’horizons spatiaux infranationaux, nationaux et supranationaux d’appartenance de communauté qui reste pertinente pour penser les défis de nos sociétés modernes. L’attrait pour un retour à une conception plus étroite, locale et plus profonde de la communauté « authentique » est susceptible de croître. L’exemple de Heidegger, verrues et tout, illustre à la fois les pièges et la promesse de cela, et peut nous guider même si nos inclinations sont de rester en ville.
Nicolas Gauvin (Université du Québec à Montréal), « Adorno et la critique de la politique : esquisse d’une philosophie anti-fondationnaliste du pouvoir »
Malgré qu’il soit l’un des théoriciens fondateurs de l’École de Francfort, Theodor Adorno n’est pas reconnu comme un penseur politique de premier plan. En effet, ses travaux sont souvent cantonnés au domaine de l’esthétique et de l’épistémologie. Sa critique de l’épistémologie idéaliste a pourtant des ramifications politiques certaines. Critiquant les philosophes qui n’ont cessé de travailler les concepts et les idées dans l’objectif prétendu de les rendre identiques aux choses empiriques, Adorno n’épargne pas non plus les institutions qui encadrent notre société notamment l’État et le droit dont la prétention est de représenter le plus adéquatement possible notre réalité sociale.
Dans cette communication, nous traiterons de ce parallèle entre la critique de l’épistémologie idéaliste et la critique de la politique que l’on peut retrouver dans la pensée d’Adorno. En nous concentrant plus précisément sur sa critique de l’idéalisme et de la philosophie politique d’Hegel, nous verrons qu’il est possible d’extirper une pensée politique chez Adorno et que celle-ci est anti-fondationnaliste. Récusant tout critère transcendant comme fondement de la connaissance, Adorno fait de même avec les corps politiques ; ceux-ci n’ont pas de fondement ultime et solide. Nous verrons qu’il est possible d’effectuer un rapprochement entre une telle pensée et celle de Claude Lefort pour qui le pouvoir, à tout le moins le pouvoir tel que l’on retrouve dans le régime démocratique, est vide et indéterminée. Ainsi, selon nous, il est possible de déceler chez Adorno et Lefort l’image d’une subjectivité politique en constante rébellion contre la domination.
Panel A.3.2, Mercredi 29 mai – 10h45 à 12h15
« L’État et les mouvements sociaux : imaginaire, violence et engagement politique »
Présidence : Robert Sparling, Université d’Ottawa
Antoine Lapointe-Fleichman (Université d’Ottawa), « Repenser les mouvements socialistes et républicains au XIXeme siècle : une distinction dépassée? »
Quelles sont les différences historiques entre les notions de démocratie, de socialisme et de républicanisme au début du XIXe siècle? Plusieurs travaux historiques francophones (Bernstein, 2005) (Droz et al., 1979) entendent construire une distinction entre ces mouvements essentiellement en distinguant les caractéristiques idéologiques essentielles. La création de partis distinctement socialiste et républicain en France lors du XIXe siècle français serait la démonstration empirique qu’il existe des différences irréconciliables entre ces idéologies politiques. Ce constat théorique semble être hégémonique et faire consensus dans les études d’histoires politiques du XIXe siècle français. (Charle, 2004) (Gossez, 1966) (Charléty, 2018) Cependant, il existe un renouveau d’intérêt dans la littérature scientifique pour l’Étude des mouvements sociaux au XIXe siècle (Bouchet, Thomas, et al. 2015). Leurs travaux de recherche proposent de revisiter les corpus d’auteurs socialistes et républicains de cette époque à travers les revues et les journaux militants. Ces travaux démontrent qu’il existe connivence entre ces deux mouvements puisque leurs partisans se regroupent autour des années 1840 dans des revues hétéroclites. Il aurait donc existé une certaine connivence entre ces différents mouvements dits distincts. Les travaux de Lanza (Lanza, 2015) sur le journal La Réforme démontre l’hétérogénéité des positions et des profils politiques des figures qui anime ce périodique. En continuant sur l’intuition de Lanza, une étude de la participation des membres de La Réforme à la campagne des banquets en France entre 1847 et 1848 permet de réaliser la fragilité de la distinction initiale entre républicanisme et socialisme. En se constituant en force politique qu’ils appellent le Parti démocrate, ce collectif d’auteurs souhaite plutôt représenter politiquement : « toutes les nuances de l’opinion démocratique ». (La Réforme, 1843, p. 2). C’est à travers l’étude des trajectoires militantes dans les mouvements sociaux qu’il sera possible de recontextualiser les idéologies dans leurs contextes historiques. Cette approche permettra alors de resituer la notion de mouvement social et de parti politique à l’aube de la Seconde République en France.
Nicolas Lacroix (Université de Montréal), « Que font les mouvements sociaux? Entre pratiques contestataires et engagement envers le politique »
Les mouvements sociaux sont l’un des acteurs privilégiés de la conflictualité politique au sein des démocraties libérales (Mathieu, 2012; Tarrow et Tilly, 2015; Dufour, 2016). Si la manière dont la philosophie politique problématise la question de l’action politique a été profondément marquée par ces mouvements, elle n’est pas sans avoir montré certaines de ses limites dans la foulée des différentes vagues de mobilisation des années 2010 et des transformations qu’elles ont fait subir aux pratiques contestataires. Elle tend en effet à n’appréhender ces pratiques qu’au seul prisme de la désobéissance civile (Walzer, 1967; Rawls, 2009 [1973]; Habermas, 1985). Or, comme l’ont montré un ensemble d’auteurs et d’autrices, le fait de rabattre l’action des mouvements sociaux sur la désobéissance civile ne permet pas de prendre en compte certaines des pratiques contestataires – blocage, occupation, émeute, etc. – dont ils font pourtant usage (D’Arcy, 2016; Celikates, 2016; Adams, 2018; Aitchison, 2018; Boonen, 2020; Delmas, 2022). En proposant de reconsidérer ces pratiques et de les justifier sur de nouvelles bases, ces auteurs et ces autrices ont ainsi ouvert à une relance de la question de l’action politique, de ses modalités et de ses limites.
En ce sens, cette communication propose de revenir sur ce que font les mouvements sociaux. Plus précisément, en quoi l’action politique des mouvements sociaux tient-elle d’une forme de conflictualité démocratique? Afin de répondre à cette question, la communication entend soutenir que les mouvements sociaux articulent la conflictualité et la démocratie à même les pratiques contestataires auxquelles ils recourent. Elle a ainsi pour objectif de prolonger les débats relatifs à la désobéissance civile et incivile en montrant que ceux-ci ont tendance, d’une part, à exceptionnaliser les pratiques contestataires des mouvements sociaux en ne se concentrant que sur certaines d’entre elles et, d’autre part, à problématiser insuffisamment l’articulation des aspects conflictuel et démocratique de ces mêmes pratiques.
Pour ce faire, elle procédera en trois temps. Elle avancera d’abord que, pour comprendre ce que font les mouvements sociaux, il importe de s’intéresser à l’ensemble du spectre de l’action politique. En d’autres termes, elle montrera que l’on gagne à réfléchir non seulement les pratiques contestataires qui excèdent le cadre de la désobéissance civile en ce qu’elles sont inciviles (telle l’occupation ou l’émeute), mais aussi les pratiques qui l’excèdent en ce qu’elles ne relèvent pas à proprement parler de la désobéissance (telle la manifestation ou la grève). Elle soutiendra ensuite que les pratiques contestataires revêtent à la fois une dimension symbolique qui permet de dramatiser et de représenter la conflictualité politique, et une dimension matérielle qui permet de la rendre effective; et que ces dimensions doivent être pensées conjointement. Et elle avancera enfin que la légitimité de ces pratiques tient au fait qu’elles traduisent un engagement envers le politique, soit qu’elles participent de la constitution d’un espace politique partagé. En ce sens, les mouvements sociaux ne sont pas réduits à intervenir dans un espace politique prédéterminé, mais se trouvent bien plutôt à participer de la détermination et de la transformation de celui-ci.
Eduardo Da Nobrega Monteiro (Université du Québec à Montréal),« Le populisme de droite et les peuples racisés »
Le populisme est un mode de pensée politique discursif qui combine d’autres idéologies (par exemple le conservatisme, le libéralisme, le communisme) et qui n’est ni antirépublicain ni antipolitique par définition. Nous nous appuyons sur un entendement du populisme comme logique où on a, au moins, deux pôles en contraposition – nous et autres/élite – et cette division dyadique est souvent trouvée dans les cas latino-américains dans les années 1940 et 1950, mais aussi dans les populismes de gauche plus contemporains (Judis, 2016 ; Venizelos, 2023). Ensuite, les populismes de droite présentent une troisième tringle, menace l’existence de ce peuple-là et/ou qui est bénéficié par l’élite. Le dernier groupe forme une relation triadique au niveau du discours politique et il est en souvent un racisé. Dans cette perspective, j’analyse les populismes de droite qui visent les populations racisées. Cette approche permettra aussi de tester le caractère raciste du populisme de droite. Ainsi, aussitôt que le populiste de droite arrive au pouvoir, la relation discursive auparavant triadique devra être transposée par les moyens institutionnels, dont le régime de citoyenneté le règle. Les divisions de citoyens, même que informelles, restreint les actions qui menacent l’inclusion des populations racisées à travers des politiques publiques ciblés. Cette échelle citoyenne suit souvent une vision racisée et par son essence, sert comme base pour que le discours populiste de droite.
Notre proposition vise deux cas éloignés où deux populistes de droite ont gagné leurs élections en 2018, c’est-à-dire au Québec et à Rio de Janeiro. Pour y arriver, les approches méthodologiques qui nous guideront seront celles liées aux méthodes de la concordance dans un scénario très divers – most-different research design (Mill, 2011 ; Przeworski et Teune, 1970). Étant donné que cette proposition fait partie d’une thèse, nous optons pour élucider la relation discursive des corps racisés du populisme de droite et leurs représentations comme sous-citoyens. Les groupes racisés sont les immigrants (au Québec) et les habitants de favelas à Rio de Janeiro.
A.4. Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales : bilan et perspectives d’avenir
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Responsable : André Lecours (Université d’Ottawa)
Cet atelier comprend deux table rondes de discussions sur les activités du GRSP. Les participant.e.s à ces tables rondes seront des membres du GRSP. La première table-ronde fera un bilan des contributions du groupe. Les participant.e.s seront Geneviève Motard (Laval), Martin Papillon (Montréal) et Félix Mathieu (Winnipeg). La deuxième dégagera des perspectives d’avenir pour les travaux du groupe. Les participant.e.s seront Geneviève Nootens (Chicoutimi), François Rocher (Ottawa) et Dave Guénette (Sherbrooke). Les deux tables rondes seront modérées par André Lecours.
Panel A.4.1, Mercredi 29 mai – 13H45 à 15H15
Table-ronde 1 : Le groupe de recherche sur les sociétés plurinationales (GRSP): bilan, ampleur et contributions.
Geneviève Motard (Université Laval)
Martin Papillon (Université de Montréal)
Félix Mathieu (Université de Winnipeg).
Panel A.4.2, Mercredi 29 mai – 15H30 à 17H00
Table-ronde 2 : Perspectives d’avenir
Geneviève Nootens (Université de Chicoutimi)
François Rocher (Université d’Ottawa)
Dave Guénette (Université de Sherbrooke)
Sabine Choquet (Université de Montréal)
A.6. Résistances, techniques et politiques de(s) l’ordinaire(s)
Responsables : Sophie Bourgault (Université d’Ottawa), Julie Paquette (Université Saint-Paul), Justine Perron (Université d’Ottawa)
La conception foucaldienne du pouvoir stipule que celui-ci ne relève pas exclusivement d’instances officielles ou d’actes extraordinaires : plutôt, le pouvoir est diffus et situé dans toutes les sphères de la vie. En effet, le pouvoir s’incruste dans la quotidienneté, trouvant des ancrages dans ce qui apparaît le plus routinier, ordinaire. Toutefois, Foucault (1976) nous apprend aussi que « là où il y a pouvoir, il y a résistance ». Cette thèse informe notamment les écrits de James C. Scott sur l’infrapolitique, qui stipule que la résistance à la domination se forme de façon discrète et loin des yeux du pouvoir (Scott 1992). Ces espaces cachés permettent aux dominé.es de développer un lexique de lutte commun, mais aussi de prendre soin les un.es des autres en réponse à la violence quotidienne subie. Cette « infrapolitique du soin » (Malatino 2019; Harris 2023) peut parfois être cruciale pour la survie de certains groupes, et constituer une importante source de solidarité.
Il existe également des résistances infra-ordinaires (Perec 1989; Johansson et Vinthagen 2016), logées dans certains gestes de contestations routiniers et de pratiques qui, sans être cachés, passent souvent inaperçus. Ces résistances discrètes peuvent se déployer dans plusieurs milieux : pensons aux pratiques visant à contrer la surveillance et le contrôle numérique au travail, aux jardins collectifs luttant contre la gentrification des quartiers, aux cercles de raccommodage et de réparation servant à contrecarrer la surconsommation et l’obsolescence planifiée, etc. Les violences ordinaires peuvent ainsi se heurter au travail de résistance ordinaire, qui implique en outre de prendre soin des choses, des autres et du monde (Laugier 1999; Garrau 2018; Denis et Pontille 2020).
La résistance ordinaire peut aussi se situer au niveau du sujet, et concerne son rapport à lui-même. Ce dernier peut non seulement porter un regard critique sur ses pratiques, mais il peut également être créatif, voire inventer un nouveau quotidien (Certeau 1990; Butler 1999; Hadot 2001). Pensons aussi à diverses techniques de soin du soi (Foucault 1984, 1988) ou encore aux pratiques d’autodéfense (Dorlin 2017), qui remettent le corps – voire le muscle – au centre d’une pratique visant à contrecarrer les matérialisations du pouvoir dans son ordinaire subjectif.
Face à l’interdépendance du pouvoir, des résistances et de la sphère de l’ordinaire, notre atelier interdisciplinaire propose de se pencher sur ces thématiques et sur des questions telles que : Comment s’organisent les résistances en l’absence quasi-complète de soutiens institutionnels ou d’infrastructure? Dans quelle mesure les techniques de soi se présentent comme des formes de résistances ordinaires ? Peut-on prendre soin « des autres » quand ces derniers sont animés par la haine? Quels sont les effets des résistances quotidiennes sur les systèmes de domination? Est-ce que certaines résistances ordinaires participent, malgré elles, à la reproduction du pouvoir? Quel sens donner au terme « ordinaire »?
Panel A.6.1, Mercredi 29 mai – 15H30 à 17H00
Retracer les témoignages ordinaires : la littérature et l’écriture face à l’Histoire
Présidence : Julie Paquette (Université Saint-Paul)
Philippe Néméh-Nombré (Université Saint-Paul), « 12 morts à Juda (c) ; 19 pendant la traversée (b) » : les impossibilités de l’archive et la terrible beauté des petites interruptions noires.
Cette communication se situe entre l’impossible formulation de M. NourbeSe Philip, « There is no telling this story; it must be told », et la texture ordinaire de la poétique noire, c’est-à-dire la texture ordinaire de la fabrication noire, consciente et intentionnelle, de ce qui pourrait être en excès de la violence. Si elles n’ont pas abandonné les grands éclats tragiques de la Révolution haïtienne, du Black Power ou des luttes de libération africaines, les discussions récentes sur et au sein de la tradition radicale noire investissent de manière particulièrement soutenue ce que W.E.B. Du Bois a appelé les « mille et une petites actions qui font la vie ». L’ordinaire, autrement dit, occupe une place de plus en plus centrale dans les (ré)actualisations du répertoire des pratiques libératrices noires. Ce répertoire, pourtant, comme sélection et re-sélection de ce que qui a été fait et de ce qui est fait pour informer ce qui pourrait l’être, prévoit nécessairement une relation tendue, voire impossible, au passé : les archives qui suggèrent la vie noire sont généralement celles qui en même temps la recouvrent et la rendent inaccessible, à plus forte raison en l’absence de récits d’esclaves comme c’est le cas dans le contexte du Québec. Comment dire, dans cette impossibilité, l’ordinaire qui aurait pu être, les gestes poétiques qui ne se racontent pas mais doivent pourtant se dire? À partir de deux archives esclavagistes « québécoises », cette communication appréhendera l’impossibilité et la nécessité de dire l’ordinaire qui aurait pu être.
Marie-Lise Drapeau-Bisson (Université Carleton) et Stéphanie Proulx (Université de Toronto), « La mémoire par le lien et la littérature : stratégies alternatives de commémoration »
Comment les figures qui sont exclues des entreprises de commémoration traditionnelles résistent-elles à l’oubli ? Dans le contexte où l’expérience et les pratiques des groupes marginalisés ne sont pas archivées par l’État, qui ne documente finalement que leur oppression, d’autres stratégies de commémoration émergent, dans la marge, pour assurer la continuité des mémoires exclues de l’histoire officielle. Dans cette communication, nous postulons que les arts et la littérature forment des terreaux fertiles à l’invention de nouveaux mécanismes de conservation de la mémoire.
Ainsi, nous analysons trois œuvres consacrées à des écrivaines féministes québécoises décédées qui brisent avec la tradition en refusant les normes du genre biographique, soit en ne présentant ni un récit de vie unique ni une incarnation idéalisée de la figure commémorée. Ces écrivaines, issues de différentes générations, sont Louky Bersianik, Josée Yvon et Nelly Arcan. Si les auteur·rice·s des projets mémoriels refusent l’approche biographique, comment documentent-iels les figures ? L’analyse permet d’identifier trois stratégies de commémoration alternatives : (1) le récit des rapports intersubjectifs plutôt que le récit des exploits de vie ; (2) la déconstruction des stéréotypes associés à la figure ; (3) la préservation de la voix de chacune des trois écrivaines.
En somme, les stratégies identifiées permettent de conceptualiser les projets mémoriels comme des formes de care. Avec leurs œuvres, les auteur·rice·s résistent à l’exclusion de l’histoire littéraire d’écrivaines féministes comme Bersianik, Yvon et Arcan en prenant soin non seulement de la figure commémorée, mais aussi de leur communauté de lecture.
Martin Parrot (Université du Québec à Montréal), « Vestiges de l’ordinaire : Surréalisme, ruines et psychogéographie »
À l’hiver 1935, Emiel van Moerkerken erre dans la banlieue parisienne à la recherche de clichés à saveurs résolument surréalistes. Taudis, marchés aux puces, bric-à-brac, maisons abandonnées et décombres, il capture tout ce qui évoque la dissolution et l’entropie.
L’intérêt pour les espaces urbains et/ou péris urbains en ruines n’était pas nouveau chez les surréalistes. L’œuvre du temps sur la matière – architectures démodées, usure des matériaux, lieux abandonnés, etc. – fascinera le mouvement de ses débuts jusqu’à sa fin. Idem, d’ailleurs, pour la sphère du quotidien et de l’ordinaire, sorte de « marre aux murmures » où André Breton et bien d’autres retrouvent le domaine cru de l’expérience.
Les surréalistes, tout en documentant l’expérience de l’entropie et du quotidien, en théorisent aussi l’effet sur l’artiste ainsi que sur le lecteur / spectateur. S’en dégage, dira Walter Benjamin, la découverte de la possibilité de flashs « d’illuminations profanes » nourris des « énergies révolutionnaires » du démodé, de l’usé et de l’oublié.
La présente analyse porte en premier temps sur l’engagement du surréalisme avec les vestiges de l’ordinaire. Puis, cette posture est mise en relief et comparée avec les manières dont sont médiatisées les ruines de Görlitz et de Détroit depuis quelques années. Suivra ensuite l’appréciation critique de quelques concepts au cœur de l’engagement théorique contemporain avec les ruines et avec le quotidien, qu’on pense ici au braconnage de Michel de Certeau, à l’image dialectique de Walter Benjamin ou aux projets d’attention célébrés par Michael Sheringham.
Clara Paris (Université du Québec à Montréal), « Les ateliers d’écriture intime en non-mixité : construire une autodéfense féministe du quotidien »
Cette communication propose d’interroger la pratique de l’écriture intime dans le cadre d’ateliers d’écriture féministes en non-mixité comme une pratique d’autodéfense. Pour ce faire, nous présenterons des résultats d’un mémoire de maitrise dans lequel nous avons interrogé sept personnes participant régulièrement à des ateliers d’écriture féministes ayant lieu en ligne.
Nous repartons des réflexions de la philosophe féministe Elsa Dorlin, qui dans son livre intitulé Se défendre, une philosophie de la violence (2017), avance que la violence subie par les domin-é-e-s les pousse à développer des stratégies « d’autodéfense malheureuse » (2021). Pour se protéger et « continuer à vivre normalement » (2017, p.194), les domin-é-e-s mettent en place des formes de déni, de déréalisation des expériences de violence vécues, voire de leur propre personne. Ce faisant, ces dernier-e-s se protègent de la violence en se faisant violence, et perdent ainsi leur capacité d’agir dans un rapport atténué à elleux même. Ainsi, c’est en négatif de cette « autodéfense malheureuse » que l’autrice définit l’autodéfense féministe comme le fait de « refaire corps avec soi-même » (2021), soit d’être capable de s’ancrer à nouveaux dans ses ressentis et émotions, d’habiter son centre, afin de pouvoir véritablement agir sur les violences subies.
Nous nous demanderons ainsi comment l’écriture intime, pratique de ré-ancrage à soi, expérimentée de surcroit dans un cadre féministe, peut être qualifiée de pratique d’autodéfense féministe. Pour se faire, nous analyserons les modifications du rapport à soi et du rapport au monde induites par la participation régulière aux ateliers d’écriture féministes et leur lien avec un ancrage dans une autodéfense féministe du quotidien. Nous réfléchirons à la fois à la part jouée par le collectif (très présent dans les ateliers d’écriture) et par l’écriture en elle-même dans ce processus.
Panel A.6.2, Jeudi 30 mai – 9h00 à 10h30
Repenser des avenues éthiques en phase avec l’ordinaire
Présidence : Sophie Bourgault (Université d’Ottawa)
Julie Paquette (Université Saint-Paul), « L’abjuration comme technique de soi : fidélité critique et praxis de la résistance ordinaire »
Cette conférence part d’un double constat : d’abord qu’une parole qui s’énonce dans l’espace public est toujours sujette à détournement, récupération ou capture par autre que soi (de Lagasnerie, 2017); ensuite que l’entêtement participe de la radicalisation et de la collaboration avec les logiques de contrôle et de discipline (Dupont et Corduan, 2021 ; Gal and Rucker, 2010). En conséquence, se risquer à prendre parole nécessite de penser d’un même élan des modalités de résistance et des techniques de soi pouvant nous prémunir au mieux contre cette double éventualité.
Dans cette conférence, je poserai que l’éthique de l’abjuration telle que je l’identifie chez Pier Paolo Pasolini, se présente comme une technique de soi (Foucault, 1988, 1994, 2011) où la parole vraie, sincère (parrêsia) (Foucault, 2016, 2018) doit d’être accompagnée d’un examen critique. Après plus de dix années de recherche et de publications sur l’auteur, j’en suis venue à identifier une éthique de l’engagement spécifique à son travail et qui se décline comme suit : 1) Chacun.e devrait se considérer soi-même comme partie intégrante de ce que soi-même critique ; 2) Sans nier la sincérité avec laquelle chacun.e a pris position par le passé, chacun.e devrait pouvoir abjurer sa pensée et adapter son engagement et ce, que ce soit en conséquence a) de la mauvaise compréhension, du détournement ou de la récupération de sa pensée ou b) de nouvelles connaissances/expériences ou du contexte qui viennent modifier celle-ci.
Ce faisant, l’abjuration apparaît comme une forme de fidélité critique. Surgit alors quelque chose comme une pensée de la trahison (Margalit, 2017 ; Genet, 1949, 1991), c’est-à-dire : une manière d’agir qui accepte la contradiction, la mise à terme, voire la fuite (Paquette, 2023) comme praxis de résistance ordinaire – comme praxis de devenir intraitable. Une praxis antidogmatique et réflexive qui accueille comme modalité de l’engagement la figure du ou de la converti.e (Chalier, 2011) tout comme celle de l’apostat.e (Martin, 2010).
Pascale Devette (Université de Montréal) et Justine Perron (Université d’Ottawa), « Perte de l’égo et (auto)sabotage : penser l’inutilité comme éthique du privilégié »
Les contextes ayant mené Sara Ahmed et Simone Weil à résigner leur poste universitaire sont différents, mais elles envisagent toutes deux ce geste comme étant un acte de résistance : il s’agit de rendre visible un pouvoir d’action individuel contre l’impression stagnante d’une impuissance généralisée et internalisée chez le sujet. Si la démission semble être un geste tout à fait ordinaire, elle peut provoquer des changements significatifs. Pour Weil et Ahmed, la démission implique l’abandon de privilèges (déclassement) dans l’optique de questionner, démanteler et transformer un monde qui ne convient pas. Bref, démissionner s’ancre dans le refus du sujet à endosser certaines normes dominantes, pour éviter de les reproduire dans sa matérialité propre. La démission consiste à se retirer pour ne plus être utile au système (ou utilisé) et faire vivre des avenues alternatives.
Nous croyons que les ressemblances entre les pensées de Weil et d’Ahmed nous permettent d’imaginer une éthique du privilégié s’attaquant à un socle du néolibéralisme : l’utilitarisme. Comment l’égo du sujet privilégié soutient-il les structures de domination? En quoi le démantèlement des structures de domination cristallisées en soi favorise la capacité à orienter autrement son attention et, des lors, à créer de nouveaux liens sociaux ?
Il semble que la démission, comme (auto)sabotage du pouvoir et de l’utilité « ordinaire », puisse engendrer de nouvelles créations, espaces et orientations. Nous défendrons que l’inutilité ahmédienne, qu’elle conceptualise comme une subversion collective des communautés queers, peut se transposer vers un acte de résistance individuel rappelant l’attention impersonnel chez Weil, que cette dernière conçoit comme un travail sur soi permettant de transfigurer le regard vers ce qui est habituellement (usually) invisibilisé par les rapports de force.
Paula Marsó (Université Saint-Paul), « Stylisation du passé : De la soumission ascétique à la servitude volontaire. Stratégie de convergence dans la vie intellectuelle hongroise »
L’état de droit en Hongrie qualifié de « régime hybride » d’autocratie électorale se transforme radicalement en un régime despotique. Les intellectuels hongrois sont en permanence la cible de violentes attaques: la mainmise gouvernementale sur les universités, la suppression du statut de fonctionnaire pour les professeurs, la « loi infamante » contre les personnes LGBT, l’application de la nouvelle loi homophobe, la suppression de l’histoire de l’art comme matière à part entière enseignée dans les collèges et lycées, la destruction du réseau de recherche en sciences humaines, la discrimination des travailleurs autonomes dans le domaine culturel. Une liste qui ne cesse de s’allonger.
Comment et pourquoi réussissons-nous à continuer à nous conformer à ces règles purement et simplement destructrices ? Y a-t-il une stratégie historique de la résistance intellectuelle en Hongrie ? Serait-il légitime de parler d’un practice collectif ou individuel ?
La soumission « ascétique » d’après Gros (2017) signifie ne pas désobéir activement, mais obéir le plus mal possible ; effectuer un travail d’épuration permanente par lequel je m’efforce d’éliminer tout ce qui, dans mon obéissance, pourrait signifier un commencement d’adhésion. Pourquoi cette obéissance a minima mènerait-elle à la servitude volontaire en Hongrie ?
Il se peut que cette tradition, l’usage du « faire semblant », le recours à la simulation ouvre l’espace de l’adaptation, et réconforte sémantiquement le jeu social. De plus, l’adaptation et la soumission ascétique, l’autosabotage participent, malgré eux, à la reproduction du pouvoir. À l’origine de cette chute, il y a une expérience typiquement hongroise, celle de la déresponsabilisation ultérieure et la « stylisation du passé » (Lukács, 1982). Le manque de confrontation sérieuse intimement vécue avec le passé est l’une des maladies morales de la vie intellectuelle hongroise depuis plus d’un siècle. En Hongrie, les individus sont conditionnés d’une génération à l’autre à considérer et à créer leur passée d’un certain point de vue narratif. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les formes de résistance des gens ordinaires et leurs stratégies de convergences.
Matthew R. McLennan (Université Saint-Paul), « John Cage et Anna Lowenhaupt Tsing : Prolégomènes mycologiques à la résistance politique »
Much can be learned about music by devoting oneself to the mushroom.
John Cage, 1954
Les incursions menées par John Cage et Anna Lowenhaupt Tsing dans l’univers mycologique peuvent être toutes deux comprises comme une forme d’attention (d’écoute) portée à l’ordinaire constituant des voies d’accès au politique. Tous deux semblent détecter là une sorte de résistance fongique s’opposant à l’individualisme tout comme à la prévisibilité. Chez Tsing – dans son étude sur les mondes de la vie et les flux de capitaux liés aux écologies du champignon Matsutake (2015) – la pratique ethnographique de l’attention qui prend la forme d’une cartographie du monde mycologique est comprise comme étant en soi politique. Alors que pour Cage (1961 ; 2020), ses observations débouchent sur une forme d’intervention/non-intervention dans le réel se manifestant par la construction de dispositifs permettant à l’imprévisibilité de se manifester, comme s’il fallait forcer le réel, le déstabiliser, pour échapper au contrôle et le faire sortir de sa trajectoire.
L’attention que tous deux portent à l’indétermination nous enjoint à réfléchir à la résistance anthropoparalogique (McLennan, 2013) que nous avons définie ailleurs comme « une recherche d’instabilités et de nouveautés chez l’humain » contre un discours universel, positif et totalisant. Il s’agira, dans cette conférence, d’interroger les possibilités et les limites de ces prolégomènes mycologiques (entre le déjà-là et la nécessité de l’intervention/non-intervention) afin de penser les modalités et pratiques de la résistance ordinaire comme technique éthique sinon comme stratégie politique.
Panel A.6.3, Jeudi 30 mai – 10h45 à 12h15
L’exploitation et la résistance par les objets et les environnements quotidiens
Présidence : Justine Perron (Université d’Ottawa
Jean-Félix Chénier (Collège Maisonneuve) et Julie Beauchamp (Collège Mainsonneuve), « Quelques directions de l’utopie par la résistance ordinaire exercée autour du terrain vague, dans Hochelaga-Maisonneuve »
La résistance citoyenne menée par Mobilisation 6600 – Parc nature dans Hochelaga-Maisonneuve contre le projet de Ray-Mont logistiques s’est construite autour de l’amour pour un terrain vague. C’est d’abord dans la quotidienneté que s’est révélée puis incarnée cette lutte citoyenne qui s’inscrit dans le sillage des zones à défendre générées par le capitalisme lorsqu’il impose des projets nuisibles pour satisfaire ses velléités de croissance.
La présentation projetée fera des aller-retours entre :
1) une théorisation de la résistance ordinaire, axée ici autour d’actions quotidiennes qui nécessitent peu de moyens et logées dans l’infra-politique, c’est-à-dire s’opposant de manière moins frontale et officielle aux pouvoirs formels contre lesquels nous luttons et auprès desquels nous revendiquons.
2) des exemples concrets tirés de la lutte citoyenne contre Ray-Mont logistiques et les autres projets qui lui sont reliés, dans Hochelaga-Maisonneuve à Montréal.
La politologue Julie Beauchamp interviendrait ici à partir d’écrits puisant tant chez Anna Tsing, que chez Robin Wall Kimmerer que chez Leanne Betasamosake Simpson, pour penser certains aspects de la résistance ordinaire. De son côté, Jean-Félix Chénier mettra en exergue certains extraits de la BD Résister et fleurir (Écosociété 2023) pour mieux rendre compte de cette lutte «ordinaire» et des militantes qui la composent en grande majorité. Le discours et les actes des gens au sein de cette lutte seront alors mis en valeur et reliés aux composantes de cette résistance ordinaire.
Laurie Gagnon-Bouchard (Université d’Ottawa), « Pollution toxique, violences environnementales et production de l’invivable : le cas de Grassy Narrows »
Je propose à travers le cas d’injustice environnementale de Grassy Narrows de nous intéresser d’une part aux contours de la violence environnementale et d’autre part, à la résistance qui se forme face à ce type de violences. Ce cas d’injustice environnementale nous permettra de nous intéresser à la littérature sur les violences environnementales et de mettre en lumière à la fois la politique de la mort (Mbembe, 2009) qu’implique l’imposition d’un monde toxique à certaines populations (souvent racisées et marginalisées) et la production de vies invivables par des conditions d’existence délétères. C’est ici que je souhaite faire une contribution théorique originale en discutant la littérature sur les violences environnementales à l’aune des travaux de Judith Butler sur l’invivable (Butler et Worms, 2021). L’invivable apparaît pertinent, car il permet à la fois de porter l’analyse sur le rôle des institutions politiques dans l’exposition de certaines populations à des substances toxiques engendrant la mort ou la mort-dans-la-vie (nécropolitique) et d’intégrer un horizon normatif : les vies qui persistent à formuler une demande éthique de préservation. À travers la barricade de Grassy Narrows, je propose ensuite de déplacer notre regard sur la résistance qui se déploie face à l’imposition d’un monde toxique et qui expose comment justice environnementale le plus souvent n’est pas établie, octroyée, imposée par l’État, mais plutôt réalisée par des actions directes, des résistances mises en place par les populations autochtones et leur allié·s (Gobby et al., 2022).
Jean-François Bissonnette (Université de Montréal), « S’émanciper, par et contre l’argent »
Quoi de plus ordinaire que l’argent? Du fait que « sa qualité réside exclusivement dans sa quantité », disait Georg Simmel, sous l’empire de l’argent, rien ne semblait plus pouvoir « [s’]arracher à la banalité nivelante du trafic quotidien ». Et c’est ainsi que ce simple instrument comptable façonnait les liens d’une société où une interdépendance croissante, mais impersonnelle, venait néanmoins affranchir l’individu des servitudes anciennes. Que l’argent puisse favoriser l’émancipation humaine, voilà bien une croyance phare de la pensée libérale. Qu’une longue tradition y ait plutôt vu « la racine de tous les maux » n’a guère entamé une telle conviction; la critique de ce « dieu jaloux », comme l’appelait Karl Marx, s’étant d’ailleurs le plus souvent limitée à déplorer les effets de son inégale distribution. Que l’argent puisse être autre chose qu’un outil de l’échange marchand, même inégal; qu’il puisse, en fait, être en lui-même, non pas juste une ressource, mais une technologie de pouvoir, c’est là une idée qui a rarement été envisagée. Pour s’en saisir, il faut remonter là où l’argent advient à l’être: à sa création par le crédit. Si la critique opère par le dévoilement, c’est bien ce à quoi invitent les mouvements de résistance contre l’endettement. Problématiser la nature de l’argent de manière à faire voir les rapports de pouvoir qui transigent à travers lui, tel sera le but de cette présentation. Il s’agira, ce faisant, de mesurer ce qu’une volonté de résistance entraîne comme implications, lorsqu’elle prend pour cible l’objet le plus banal qui soit.
Panel A.6.4, Jeudi 30 mai – 13h45 à 15h15
Conceptualiser la résistance avec et contre l’ordinaire
Présidence : Sophie Cloutier (Université Saint-Paul)
Frédéric Vairel (Université d’Ottawa), Peut-on résister à la résistance ? Sur quelques embarras de la sociologie des non mouvements sociaux
La résistance est de retour, non sans changement de sens et de déplacement de ses enjeux. Dans les années 1990, elle pouvait renvoyer à des pratiques culturelles. Elle semble désormais partout. Sur les étals des librairies, dans les chansons et… à la fin de l’épisode d’une franchise hollywoodienne, pour maintenir l’espoir et piquer l’intérêt des spectateurs. La notion s’est également répandue dans toute une série de travaux portant sur la contestation politique, au prix de certains malentendus et contresens. À partir d’un premier état de la littérature (n=99), on souhaiterait dans cette communication proposer des éléments préliminaires d’une cartographie des usages de la résistance (éléments constitutifs d’une « définition », articulation de l’individuel et du collectif). Cela permettra ensuite d’isoler certains enjeux que soulèvent ces références multiples à la résistance pour repérer certaines ressources qu’elles peuvent offrir ainsi que différents embarras empiriques qu’elles suscitent pour la connaissance des processus de politique contestataire. On se propose enfin de réfléchir aux ressorts intellectuels et politiques de l’ubiquité de la résistance, particulièrement dans ses jeux de miroir avec la vulgate et les pratiques de pouvoir associées au néolibéralisme
Martin Roy (Université d’Ottawa), « L’entrelacement tendu des ordinarités. Fragments d’une enquête philosophique concernant la fabrique d’une perspective d’anthropologie politique sur la citoyenneté »
Lors du retour de la catégorie de citoyenneté dans le champ des sciences sociales, durant la décennie 1990, a eu lieu un tournant anthropologique encore peu documenté. Au creux de ce tournant, s’est développé une perspective d’anthropologie politique, inspirée par les traditions de pensée féministe et post-coloniale. Cette perspective a montré la nécessité de développer une philosophie de l’action citoyenne, opposée aux philosophies morales de l’action citoyenne, afin de capter, en acte, des citoyennetés ordinaires. Car depuis cette perspective, la description des processus de citoyenneté n’aurait de sens que si on y fait intervenir des pratiques ordinaires de citoyenneté pourtant jugées insignifiantes (et même dangereuses) au regard des usages prescrits par le champ normatif de l’État-nation moderne et/ou ses variantes néolibérales.
Cet enjeu descriptif reste l’enjeu le plus radical posé au champ des études sur la citoyenneté, et ce à partir d’une version anthropologisée de la notion d’« ordinaire » ainsi que d’une volonté de se saisir de citoyennetés alternatives et d’autres futurs possibles – contrariant le régime d’historicité de la fin de l’histoire. Or, qu’en est-il de l’ordinarité lestant la manière avec laquelle les anthropologues emploient certains cadres théoriques afin d’identifier, dans leurs descriptions, des fragments de vie publique à des pratiques citoyennes ?
Pour discuter de l’entrelacement tendu de ces ordinarités, je suivrai le fil de l’un de mes cas d’étude, celui de la théorie des « actes de citoyenneté » (Isin 2008). Cela permettra d’aborder la question des violences/injustices épistémiques concernant l’usage des catégories d’ordinaire et citoyenneté comme dispositif narratif.
Justine Perron (Université d’Ottawa), « Repenser la reconnaissance, entre l’ordinaire et l’extraordinaire : des tensions et des conciliations entre le droit d’apparaître (Butler) et l’infrapolitique (Scott) »
Pour transformer la reconnaissance dans nos sociétés, Judith Butler propose une performativité plurielle qui repose sur le droit d’apparaître. Celui-ci consiste en une pratique de liberté visant à transformer, critiquer et ouvrir les normes de reconnaissabilité qui régissent l’accès à la reconnaissance. En effet, c’est en exploitant les contradictions inhérentes au champ de l’apparaître que les vies qui ne comptent pas – lorsqu’elles assemblent leur corps dans l’espace public, à la vue de toustes – font vivre la possibilité même qu’elles puissent exister dans ces espaces.
Mais Butler avance aussi, et sans élaborer davantage, que : « Parfois, l’action politique est plus efficace quand elle se fait dans l’ombre ou dans les marges » (Butler 2016, p.72). En effet, dans un monde où l’injonction au (hyper)visible peut servir d’outil au pouvoir, quelles autres options s’offrent à nous pour changer les conditions de la reconnaissance? La résistance doit-elle toujours être reconnaissable pour créer des effets dans le monde social? Comment réconcilier le droit d’apparaître avec ces résistances invisibles?
Si la théorie butlérienne est pertinente pour envisager la lutte pour la reconnaissance, elle s’attarde à une forme spécifique: publique, visible et tournée vers les normes dominantes – c’est-à-dire que la lutte se produit dans l’espace normatif, façonné par les groupes dominants. James C. Scott (1992), quant-à-lui, considère plutôt que la vraie reconnaissance (irrécupérable par le système) ne peut avoir lieu qu’entre dominé.e.s, dans des espaces privés, inaccessibles aux yeux du pouvoir.
Nous proposons donc de mobiliser les écrits de Scott sur l’infrapolitique et ceux de Butler sur le droit d’apparaître pour offrir une conception de la lutte pour la reconnaissance qui conjugue le visible et l’invisible, le publique et le privé, l’action extraordinaire et ordinaire. Il s’agira tout d’abord de démontrer qu’une lutte infrapolitique pour la reconnaissance est préalable à une lutte plus visible. Ensuite, nous établirons des liens entre l’acte de courage chez Scott (arrivée du discours caché dans le discours dominant) et la performativité butlérienne. Finalement, nous défendrons que dans un contexte néolibéral, il est essentiel de jumeler ces deux approches pour palier leurs faiblesses respectives, s’attaquer aux différents mécanismes du pouvoir, et provoquer des transformations imprévisibles sur tous les fronts.
Panel A.6.5, Jeudi 30 mai – 15H30 à 17H00
Solidarités ordinaires et care
Présidence : Sophie Bourgault (Université d’Ottawa)
Marie-Ève Carpentier (Université de Montréal), « Penser les résistances ordinaires avec Dorothy Smith »
La sociologue Dorothy Smith a développé l’ethnographie institutionnelle dans la perspective de mettre en place une sociologie pour les gens; ancrée dans la matérialité de la vie quotidienne. Ce faisant, Smith rejette les partis-pris interprétatifs préalables. Elle propose, d’une part d’accorder une attention particulière aux expériences vécues quotidiennement et de démontrer, d’autre part, l’articulation de ces expériences avec l’ordre institutionnel. Sa méthode permet de cartographier et de comprendre les articulations de l’ordre institutionnel qui traversent les expériences ordinaires. Elle constitue ainsi une forme de résistance à la sociologie classique et un terreau fertile pour la mise en place de résistances. À l’encontre de Foucault, Smith soutient toutefois, que l’on ne peut pas supposer qu’il y aura résistances, puisqu’on ne peut pas supposer que les relations institutionnelles seront pernicieuses.
Dans le cadre de la présente proposition, je souhaite remettre en question la nécessité de rejeter le cadre interprétatif pour laisser place aux expériences vécues et aux résistances ultérieures devant être menées par les personnes et les groupes dominés. Doit-on privilégier cette avenue ou vaut-il mieux interpréter les actes ordinaires posés par des personnes et de groupes dominés comme des actes de résistances et se faisant démontrer la portée potentielle de ces actes et les encourager ? Ces questions seront réfléchies à partir de la base, c’est-à-dire de mon terrain de recherche réalisé auprès de mères dites vulnérables et d’intervenantes sociales qui, chacune à leur manière, m’ont semblé poser des actions pouvant être interprétées comme des actes de résistances au sens foucaldien.
Marie C. Buy (Université d’Ottawa), « Le rôle des médecins vétérinaires en pratique des petits animaux : « prendre soin » au péril de sa santé mentale »
Le rôle premier des médecins vétérinaires en pratique des petits animaux est de « prendre soin » du patient animal. Or, ce rôle ne va pas sans être affecté voire limité notamment par les contraintes économiques de leurs clients humains, par les perceptions du public souvent négatives à leur égard ou par les variations de la perception des clients humains quant au statut de l’animal, objet premier de leurs soins. Viennent s’ajouter d’autres facteurs comme la violence (souvent verbale parfois physique) des clients à leur égard et la maltraitance animale dont les vétérinaires sont quotidiennement témoins.
Aussi comme « donneurs de soins », les médecins vétérinaires en pratique des petits animaux doivent-ils donc en plus de leur patient animal composer avec l’humain accompagnateur de ce dernier, un double rôle qui a une incidence sur leur santé mentale. En effet, tout en jouant un rôle crucial dans la société, ils souffrent aussi de burnout, de fatigue de compassion, d’anxiété, d’idées suicidaires, et autres à des taux largement supérieurs à ceux du public.
C’est en faisant appel à l’éthique du care que nous examinerons les composantes du « soin » mises en tension dans la profession vétérinaire, laquelle est quotidiennement soumise à des exigences qui limitent trop souvent la pleine réalisation de l’objectif premier du vétérinaire (soigner au mieux l’animal) et ont, de ce fait, une incidence sur sa santé mentale.
A.7. Dilemmes éthiques en sciences sociales : Naviguer les défis, tracer les stratégies et imaginer les transformations
Responsables : Saaz Taher (Université du Québec à Trois-Rivières), Sule Tomkinson (Université Laval), Patrick Goma-Maniongui (Université Laval)
Les débats entourant l’éthique en recherche suscitent des discussions animées,notamment au sein de la communauté scientifique en sciences sociales. Un premier ensemble d’éléments de ces débats met en lumière la surrèglementation de la recherche, soulignant le risque que les évaluations éthiques exercent une influence dissuasive sur les activités de recherche. Certain·e·s chercheur·e·s vont jusqu’à conceptualiser les comités d’éthique de la recherche (CER) comme des acteurs intimidateurs, reproduisant des biais infondés en fonction des sujets de recherche et de leurs producteur·rice·s. Parmi les préoccupations soulevées, on trouve l’accusation d’infantilisation des chercheur·e·s et des participant·e·s, le déséquilibre en faveur des recherches prônant une éthique rationaliste, les tensions entre les CER et les chercheur·e·s, l’impact négatif du processus d’évaluation sur les étudiant·e·s de cycles supérieurs, les chargé·e·s de cours, et les professeur·e·s non titulaires, la complexité du processus d’évaluation éthique et ses multiples étapes, et l’efficacité limitée de cette évaluation en termes de promotion d’une réflexion éthique concrète dans la pratique. Un second ensemble d’éléments de ces débats concerne les pratiques éthiques adoptées au long du processus de recherche, renvoyant aux enjeux d’extractivisme en recherche, de rémunération des participant·e·s à la recherche, de protection et de confidentialité des données et des participant·e·s, ainsi que de manipulation et diffusion des résultats de recherche.
Comment se matérialisent les défis reconduits par le processus d’évaluation éthique d’une recherche ? Comment les obstacles éthiques se présentent-ils lors de la réalisation d’un terrain de recherche ? Quelles stratégies les chercheur·e·s peuvent-ils adopter pour les aborder de manière responsable et comment peuvent-ils jouer un rôle actif dans la promotion de nouvelles normes et pratiques éthiques en recherche ? Comment peut-on envisager des réformes des cadres éthiques au sein de la recherche universitaire ? Cet atelier offre l’occasion aux chercheur·e·s de diverses disciplines en sciences sociales de se réunir et de partager leurs expertises et leurs expériences au sujet des dilemmes éthiques contemporains, incluant les CER et les processus d’évaluation éthique, les normes et les pratiques éthiques en recherche, ainsi que les avenues d’amélioration des cadres éthiques existants de la recherche.
Panel A.7.1, Jeudi 30 mai – 13h45 à 15h15
Khaoula Zoghlami, (Université Laval), « Éthique de la lenteur : réflexion critique sur la temporalité de la recherche antiraciste »
Saaz Taher, Université du Québec à Trois-Rivières, « Silences et dilemmes éthiques en recherche »
Panel A.7.2, Jeudi 30 mai – 15h30 à 17h00
Gabrielle Prince-Guérard (Université du Québec à Montréal), « Recherche sur les profilages et les discriminations dans la vie quotidienne : enjeux éthiques des approches ethnographiques »
Samuel Shapiro, (Université Laval), « Le retour au terrain, les imprévus et l’épistémologie. Perspective d’un anthropologue. »
Sule Tomkinson (Université Laval) et Patrick Goma-Maniongui (Université Laval), « La révision de l’évaluation de l’éthique de la recherche par l’instauration d’une culture de la justification »
A.8. Diversité sexuelle, pluralité des genres et nationalisme
Responsable : Valérie Lapointe (Université d’Édimbourg)
Alors que les communautés LGBTQ+ (lesbiennes, gaies, bisexuel/les, trans et queers) ont été criminalisées jusqu’à la fin des années 1960 et exclues de l’appareil public jusqu’au milieu des années 1990 (Le Fonds Purge LGBT, s. d.), leur présence dans le paysage politique québécois et canadien est désormais incontestable. En effet, les partis politiques (sans égard au palier de gouvernance) ont désormais leurs contingents dans chacune des parades LGBTQ+ au pays et les partisans LGBTQ+ bénéficient d’espaces militants qui leur est propre à l’intérieur de certains partis politiques. Qui plus est, en période électorale, les communautés LGBTQ+ du pays sont souvent directement sollicitées dans les grands centres urbains avec la mise sur pied d’initiatives citoyennes sous forme de débats politiques sur des thématiques entourant la diversité sexuelle et la pluralité des genres. Or, cette présence sur la scène politique, bien que grandissante, est fragile et également contestée. Rappelons, à titre d’exemple, le cas du Québec qui s’apprête à débattre de la « théorie du genre » alors que cet enjeu a occupé plus d’espace médiatique et politique lors de la rentrée parlementaire de septembre 2023 que l’inflation (Lavallée, 14 septembre 2023). Rappelons également la contestation citoyenne contre « l’idéologie du genre » qui a pris la forme de manifestations dans les rues un peu partout au Canada le même mois.
En dépit de cette présence substantielle de la diversité sexuelle et de la pluralité des genres dans les débats politiques et publiques, la littérature dans le champ de la science politique s’est peu intéressée à ce mouvement social comme un acteur politique d’importance dans le façonnement des institutions démocratiques québécoises et canadiennes. Si quelques auteur/es ont consacré une part importante de leur recherche à ces communautés et à l’impact de leur présence politique (voir notamment les travaux de Joanna Everitt, Miriam Smith, Manon Tremblay et David Rayside) leur nombre demeure, à ce jour, limité.
Nous proposons ainsi d’explorer les dynamiques politiques qu’induisent la diversité sexuelle et la pluralité des genres en politique québécoise et canadienne en espérant susciter la création de nouvelles recherches dans ce sous-champ disciplinaire. Voici quelques questions susceptibles de générer des pistes d’analyses fécondes : Qu’est-ce que l’étude des communautés LGBTQ+ nous apprend sur nos institutions démocratiques ? Qu’est-ce que leur présence signifie dans un contexte d’État multinational où deux nations (le Québec et le Canada) se font compétition? Comment expliquer le positionnement des partis politiques sur ces questions ? Quelles sont les sources de débats et de tensions au sein même de la communauté LGBTQ+ ?
Panel A.8.1, Jeudi 30 mai – 9h00 à 10h30
Président : Luc Turgeon (Université d’Ottawa)
Valérie Lapointe (Université d’Édimbourg), « Partis politiques et mouvement LGBTQ+: analyse de la réactivité des partis politiques fédéraux à la mobilisation LGBTQ+ »
Audrey Gagnon (CRIDAQ/Université d’Ottawa), « Théorie du complot et mouvements anti-genre »
Panel A.8.2, Jeudi 30 mai – 10h45 à 12h15
Présidente : Valérie Lapointe (Université d’Edimbourg)
Francesco MacAllister-Caruso (Université Concordia), « Allié, antagoniste ou autre? Une analyse de la stratégie CAQiste envers les minorités sexuelles et de genre. »
Alexie Labelle, « S’organiser collectivement dans un régime de citoyenneté québécois : le cas des personnes LGBTQ racisées »
Mailalen Pagiusco (LaSSP, IEP de Toulouse), « Tu es lesbienne, tu devrais être un peu plus sensibilisée à ça ». Les injonctions à la résistance ordinaire face à l’hétérosexisme »
A.9. Communication politique et démocratie numérique. Le nouveau quotidien?
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Responsables : Christopher Beaulieu, Thierry Giasson, Thomas Larochelle et Simone Toussi (Groupe de recherche en communication politique, Université Laval)
La communication politique touche une grande partie des citoyennes et des citoyens quotidiennement. Cela, tout particulièrement de nos jours, alors qu’un grand nombre de personnes utilisent assidûment leur téléphone intelligent pour se connecter Web. Il serait d’ailleurs devenu un canal privilégié par les actrices et les acteurs politiques pour rejoindre en permanence les électrices et les électeurs (Russmann, Svensson et Larsson dans Veneti, Jackson et Lilleker 2019).
Ce contexte explique l’émergence d’une ère d’hybridité médiatique (Chadwick 2017), théâtre où interagiraient les différentes actrices et les différents acteurs du processus communicationnel -institutions, médias et citoyennes et citoyens (Small et autres 2014,5), faisant alors de la communication un processus multidirectionnel (Small et autres 2014,5).
Concrètement, les transformations technologiques, telle que l’arrivée des médias socionumériques et du Web 2.0, ont modifié la façon de faire et de communiquer la politique au quotidien. L’avènement de nouvelles plateformes numériques aurait en effet permis une démocratisation de l’information politique et les médias socionumériques favoriseraient la participation en ligne des individus (Jackson et Lilleker 2009).
Toutes les actrices et tous les acteurs pourraient manœuvrer et s’influencer en ligne, conduisant ainsi au risque de mésinformation et de désinformation (Reisach 2021; Wimberly 2021; Evangelista, Rafael et Bruno 2019; Iyengar, Shanto et Massey 2019).
Panel A.9.1, Jeudi 30 mai – 9h00 à 10h30
Expressions et représentations de la citoyenneté démocratique dans les espaces numériques
Frédérick Bastien (Université de Montréal), « La médiatisation de l’opinion publique à l’ère des médias sociaux au Canada (2004-2021) »
Au cours du 20e siècle, le rôle des médias dans la représentation de l’opinion publique s’est accru, en particulier avec le recours fréquent par les médias d’information à la technique du sondage. Depuis une vingtaine d’années, cette médiatisation de l’opinion publique est transformée avec l’essor des technologies numériques, notamment les médias sociaux. Cette évolution soulève des enjeux ontologiques sur la nature de l’opinion publique, des enjeux théoriques concernant l’influence sur l’énonciation de l’opinion publique d’acteurs médiatiques plus diversifiés, et des enjeux pratiques sur les normes déontologiques devant présider à une représentation valide et fiable de l’opinion publique dans les médias d’information.
Comment les médias d’information recourent-ils aux médias sociaux pour représenter l’opinion publique? Quelques études ont proposé des éléments de réponse à partir d’analyses de contenu ponctuelles. Par exemple, Anstead et O’Loughlin (2015) ont différencié trois modalités d’usage des médias sociaux par les journalistes pendant la campagne britannique de 2010: l’octroi de la parole à des citoyens en citant leurs publications; la description des réactions de la population à un événement à partir du nombre de publications qui lui sont consacrées; et l’évaluation des réactions du public à partir de l’orientation positive ou négative du vocabulaire utilisé par les usagers. McGregor (2019) a distingué deux types d’objet de l’opinion dépeinte par les médias durant l’élection présidentielle américaine de 2016: l’appui électoral aux candidats et les attitudes à l’égard d’enjeux. Il demeure que de telles études sont peu nombreuses et qu’elles offrent un regard fragmentaire et temporellement très circonscrit sur le sujet.
Cette communication propose une analyse de contenu couvrant une plus longue période et la prise en compte d’un plus grand nombre de paramètres, permettant ainsi de mieux saisir l’évolution des pratiques journalistiques et de mieux évaluer leurs retombées potentielles sur la représentation de l’opinion publique. Elle porte sur des articles de journaux dans lesquels les médias sociaux sont invoqués pour représenter l’opinion publique. Le corpus couvre 8 journaux canadiens (4 en anglais, 4 en français) et 7 campagnes électorales fédérales (2004-2021). Les articles sont codés selon 5 paramètres de représentation de l’opinion publique: (a) les modalités d’usage par les journalistes; (b) les propriétés des plateformes numériques (affordances) explicités dans la représentation (commentaires, «aime», partages, mots-clics, etc.); (c) les types d’objet sur lesquels portent les opinions; (d) l’intensité des opinions ainsi représentées; et (e) la présence d’informations ou de mises en garde quant à la validité ou la fiabilité de ces formes de ces représentations de l’opinion publique.
Cette recherche devrait ainsi permettre de dégager les similarités et les différences de la représentation de l’opinion publique à l’aide des médias sociaux par rapport à la représentation traditionnellement appuyée sur la technique du sondage, déjà bien documentée par la littérature. Elle contribuera aussi aux travaux sur la médiatisation du politique en situant le rôle des plateformes numériques apparues au cours des deux dernières décennies par rapport à celui, plus ancien, des médias d’information dans cette représentation.
Émilie Michaud (INRS), « Les médiateurs, un atout dans la manche de l’État québécois pour faciliter la communication numérique avec les citoyens »
La Stratégie de transformation numérique gouvernementale mise sur pied par l’état québécois visait à offrir à la population des services publics améliorés. Pourtant, un Québécois sur quatre (ATN, 2022) n’utilise pas ces services gouvernementaux en ligne, ce qui soulève une interrogation : ce non-usage est-il volontaire ou s’agit-il d’un manque de compétences ?
En effet, le numérique et les démarches administratives nécessitent des compétences particulières ; respectivement une littératie numérique (UNESCO, n. d.) et une littératie administrative (Döring, 2021). On voit se dessiner une certaine responsabilité gouvernementale.
Pour assurer une meilleure compréhension du message qu’il cherche à transmettre, un émetteur doit tenir compte du contexte dans lequel se déroule la communication ainsi que des usagers destinataires du message : leurs besoins, leurs difficultés, et leurs caractéristiques comme leur niveau d’alphabétisation, leurs particularités culturelles, leur motivation, etc. (Groupe Rédiger, 2006). Cela lui permet en outre d’adapter ses services.
Quand on sait que les fractures numériques (Brotcorne et Vendramin, 2021) sont encore bien présentes dans la province, on peut s’interroger sur la prise en compte de tous ces paramètres dans la communication État-citoyen. À tout le moins, si des principes de conception inclusifs ne sont pas mis en place, il faudrait pouvoir compter sur des médiateurs de littératie (Papen, 2010), car l’accompagnement aux démarches en ligne constitue un facteur majeur pour éviter le non-recours et favoriser l’inclusion numérique (Castonguay et al., 2023 ; Le Mentec, 2020).
Cette présentation apporte une perspective rédactionnelle et sociale à l’enjeu de la communication entre l’État et le citoyen. Nous y présenterons le rôle de médiateur comme acteur crucial au quotidien, un sujet ancré dans l’axe 2 de cet appel à communication.
Panel A.9.2, Jeudi 30 mai – 10h45 À 12h15
La communication numérique des partis et des mouvements politiques
Rémi Palisser (Université de Sherbrooke), « Des internautes au pied du mur : Quelles pratiques informationnelles sur les sites de presse en ligne? »
L’information produite par les médias est un bien capital pour le bon fonctionnement de nos démocraties, car il s’agit de la « matière première de la plupart des questions dont parle la société » (Schuliaquer, 2016) ; c’est ce qui nourrit nos discussions et nos actions. Les médias ne font pas que montrer le monde, mais ils participent aussi à sa construction. En ce sens, le rappel de l’économiste Alfred Sauvy s’avère salutaire : « rappelons-nous que, mal informés, les hommes sont ou deviennent des sujets ; bien informés, ils sont des citoyens ».
Depuis le milieu des années 2010, de nombreux sites de presse en ligne mettent en place des murs payants (paywall) qui restreignent l’accès à leurs articles, dans le but d’amener l’internaute à souscrire un abonnement payant. Cette stratégie, qui trouve ses racines dans les années de déclin des revenus publicitaires et des revenus d’abonnement, soulève de nombreuses questions encore inexplorées par le champ scientifique francophone, mais déjà bien développées dans la langue anglaise.
Dans l’édition 2019 du Digital News Report, l’on apprenait ainsi que sur 171 publications réparties dans six pays européens (Allemagne, Finlande, France, Italie, Pologne et Royaume-Uni), 69% des journaux quotidiens et 57% des magazines hebdomadaires disposaient d’un modèle payant. En corolaire, ce rapport dévoile également la proportion d’internautes prêts à payer pour accéder à de l’information en ligne. En 2023, c’est en moyenne 17% de la population qui déclare payer pour s’informer en ligne (11% au Canada et en France, 15% en Belgique). Soit deux français sur vingt, deux canadiens sur vingt, et trois belges sur vingt. C’est bien peu par rapport au nombre de personnes qui s’informent en ligne : 69% au Canada, 60% en France et 76% en Belgique.
Face à ce constat, outre la problématique économique pour les éditeurs en quête de nouvelles sources de revenus, une préoccupation sociale semble apparaître : les murs payants pourraient-ils nuire à la démocratisation de l’information ? En opérant une différenciation qualitative entre les articles à « valeur ajoutée », réservés aux abonnés payants, et ceux fortement dévalorisés comme les dépêches, accessibles à tous gratuitement (Pacouret et Ouakrat, 2021), ces dispositifs risquent bien de renforcer les inégalités d’accès à l’information. Mettre sous clé l’information de qualité, c’est priver le grand public (ceux qui ne comprennent pas forcément la valeur de l’information et refusent de la payer) d’un instrument essentiel de progression socio-professionnelle.
Alors que l’observation du comportement des internautes face aux murs payants des sites d’information revêt une importance stratégique pour les éditeurs pour leur développement économique, ce travail de mémoire souhaite mettre l’accent sur les conséquences que les murs payants sont susceptibles d’engendrer sur les citoyens, parmi lesquelles un renforcement des inégalités sociales dans l’accès à l’information et une possible obstruction à la démocratisation de l’information. En utilisant un questionnaire et en menant des entrevues, nous essaierons de savoir comment les murs payants sont perçus par les internautes et quelles conséquences ils peuvent avoir sur les pratiques informationnelles en ligne de ces derniers ?
Jérémie Drouin (Université Laval), « Évolution systémique d’un parti antisystème. La communication politique de Québec solidaire dans un environnement politique en transformation »
Cet article porte sur l’évolution du marketing politique de Québec solidaire (QS) entre 2012 et 2022. Il cherche à savoir si Québec solidaire a progressivement adopté une approche orientée-marchée dans l’optique d’adapter son image de marque aux contextes médiatiques et sociaux au Québec. Autrefois un parti marginal, QS, un parti de gauche indépendantiste, a su se tailler une place dans le système de parti québécois au travers des cycles électoraux. Leur possible adaptation aux logiques médiatiques et la modération de leur image par le biais de tactiques marketing sont au cœur du questionnement théorique de cet article. Pour répondre à cette question, une analyse de contenu automatisée est conduite et vise le croisement de nombreuses données textuelles. Le corpus composé de plateformes électorales, d’interventions parlementaires et de publications sur les médias socionumériques est comparé à des données médiatiques et d’opinion publique. Des analyses par thèmes (topic modeling) et par enjeux des plateformes de communication du parti permettent une compréhension longitudinale de son image de marque. En comparant cette image à des données médiatiques et d’opinion publique, cet article cherche à savoir si QS a adapté son agenda politique aux médias et à l’électorat. Cette étude contribue à la littérature en communication politique pour deux raisons. D’abord car QS n’a jamais fait l’objet d’études approfondies bien qu’il soit devenu un acteur important du réalignement politique québécois. Deuxièmement, en se penchant sur un parti de nouvelle gauche, cet article est pertinent dans une perspective comparée, car il aborde la modernisation et l’adoption de stratégies marketing chez des véhicules politiques plus idéologiques.
A.10. Penser l’ordinaire avec et à partir d’Hannah Arendt
Responsables : Sophie Cloutier (Université Saint-Paul) et Marie-Andrée Ricard (Université Laval)
La pensée politique d’Hannah Arendt touche à l’ordinaire de plusieurs manières. Elle s’enracine dans notre condition humaine de natalité et de mortalité, d’une part, et elle se centre autour des liens qu’en agissant et en parlant, nous tissons les uns avec les autres et qui créent du nouveau dans le monde, d’autre part. Ces conditions historiques d’humanité et de pluralité sont toutefois mise à mal dans la modernité : au moyen des progrès techniques et de l’extension de la sphère du travail nous sommes désormais de plus en plus en mesure d’envisager une vie ailleurs que sur terre et même de nous substituer à la vie, afin d’en créer une de toutes pièces et conforme à notre volonté. Cependant, au lieu de l’émancipation promise depuis les Lumières, ce progrès a mené au désastre qu’Hannah Arendt a essayé de comprendre depuis son grand ouvrage sur le totalitarisme jusqu’à sa couverture du procès de Eichmann, où elle a forgé le concept controversé de la « banalité du mal ». Est en effet né dans ce sillage moderne le projet politique d’un homme nouveau, lequel est allé de pair avec l’avènement des camps et des meurtres de masse. Devenus pour ainsi dire ordinaires, ces meurtres ont également été perpétrés par des « hommes ordinaires ». Dans l’espace concentrationnaire, l’être humain est devenu superflu : c’est, selon elle, la grande vérité de notre époque.
Ces quelques remarques incitent à intégrer dans le champ de la réflexion politique des thématiques qui peuvent à première vue sembler sortir de l’ordinaire, tel le déclin de la culture, la présence massive de l’idéologie, ou encore l’érosion de l’expérience. Ces thématiques mettent toutefois directement en question la possibilité d’une vie en commun. Notre panel tentera de dégager certaines grandes lignes de cet « ordinaire » qui traverse la pensée de Arendt et également d’autres penseurs qui lui étaient plus ou moins proches, tels Walter Benjamin ou Theodor Adorno, lesquels gravitent autour de la Théorie critique.
Panel A.10.1, Vendredi 31 mai – 9h30 À 11h30
L’acosmisme moderne, action et écologie
Présidence : Sophie Cloutier (Université Saint-Paul)
Milan Bernard (Université de Montréal), « L’acosmisme arendtien comme cadre d’analyse politique de la modernité »
La pensée d’Hannah Arendt identifie et critique les effets acosmiques des dominations présentes dans la modernité, qui engendrent un détachement radical envers le monde dans son humanité. L’acosmisme se manifeste par le retrait de l’individu de la préoccupation pour le monde, adoptant plutôt une attitude d’indifférence et de non-responsabilité pour le monde à venir. De manière différente, les dominations totalitaires et libérales s’analysent dans leurs fondements par cette notion : la première domination efface la politique par l’excès et la seconde par le vide. Ainsi, par son caractère antipolitique, l’acosmisme contribue à la croissance de conditions favorisant la domination et la destruction, et la disparition des particularités des individus et du collectif.
Cette communication se penchera sur l’acosmisme arendtien comme cadre d’analyse politique de la modernité, en prenant pour exemple son rôle dans la domination libérale, et offrira des pistes de solutions pour une vision mesurée de la responsabilité et de la lutte contre l’acosmisme.
Marianne Di Croce (Université d’Ottawa), « La relation entre action ordinaire et action extraordinaire dans la pensée politique d’Arendt »
La conception du politique de Hannah Arendt est centrée sur le concept d’action. La philosophe défend la capacité de l’action à bouleverser l’ordre établi et à introduire du neuf dans le monde et, en même temps, sa capacité à engendrer un ordre politique constitué durable. Par exemple, dans Condition de l’homme moderne, elle insiste sur le caractère imprévisible de l’action et sur sa capacité à interrompre le cours normal des choses pour initier quelque chose de nouveau. Mais l’action y apparaît aussi comme ayant la « capacité de fonder et maintenir des organismes politiques », donc d’instituer le politique et lui assurer une durée. Dans On Revolution, elle met de l’avant le potentiel révolutionnaire de l’action, mais également sa capacité à fonder un nouvel ordre politique.
C’est en ce sens que le politique arendtien nous apparaît comme une tentative pour mettre en relation l’action politique ordinaire et l’action politique extraordinaire : soit l’action exercée au sein d’un cadre politique formellement constitué (les institutions) et celle exercée à l’extérieur d’un tel cadre (par exemple la désobéissance civile ou la révolution). Plusieurs ont toutefois souligné la difficulté de concilier ces deux dimensions de l’action telle qu’on la retrouve chez Arendt, puisque l’action ordinaire et extraordinaire constituent en quelque sorte une menace l’une pour l’autre : le potentiel révolutionnaire de l’action est un danger constant pour le cadre politique institué alors que ce dernier menace le caractère extraordinaire, ou spontanée et imprévisible, de l’action en posant des limites à l’exercice de l’action politique.
Cette conférence vise donc à interroger la relation entre action politique ordinaire et extraordinaire dans la conception arendtienne du politique. On tentera de clarifier ce que ces deux dimensions recouvrent respectivement dans le politique arendtien et la manière dont elles s’articulent. De là, on s’affairera à dégager ce que cette relation entre action politique ordinaire et extraordinaire signifie pour notre compréhension de la pensée politique d’Arendt : par exemple, en quoi est-ce une limite ou une force ?
Pascale Devette (Université de Montréal), « Amor mundi : réflexions arendtiennes pour une écologie cosmocentrée »
Cette conférence aborde la pensée d’Hannah Arendt à l’aune de la crise écologique afin d’en montrer la pertinence et l’originalité. L’éthique de l’environnement (aux États-Unis) et l’écologie politique (en France) constituent deux littératures prolifiques depuis les années 1970, qui prennent d’autant plus en importance au fur et à mesure que les conséquences majeures des changements climatiques apparaissent dans leurs complexités planétaires. Or, bien qu’Arendt ait inspiré Yvan Illich et André Gorz, sa pensée demeure peu mobilisée dans une perspective directement écologique (Voice 2013 ; Smith 2011). Cette présentation a comme objectif d’explorer son apport en montrant notamment qu’elle pallie certains nœuds théoriques en éthique de l’environnement tout comme en écologie politique. Dans le cas de l’éthique de l’environnement, la pensée arendtienne favorise un dépassement du débat entre les approches anthropocentristes et les approches biocentrées. En effet, on retrouve chez Arendt les bases d’une écologie qu’on pourrait nommer « cosmocentrée » (Barbaras 2019), laquelle englobe les deux précédentes à travers une appartenance ordinaire et quotidienne au monde. Ce faisant, cette approche cosmocentrée répond aussi à une préoccupation fondamentale de l’écologie politique, car elle sort du cadre de référence moderne, axé sur la nécessité et la production, afin de restituer pleinement à l’écologie sa dimension existentielle, active, politique et mondaine.
Panel A.10.2, Vendredi 31 mai –13h45 à 15h15
Esthétique, idéologie et expérience
Présidence : Pascale Devette (Université de Montréal)
Sophie Cloutier (Université Saint-Paul), « Réfléchir avec Arendt aux conséquences morales de nos représentations
Au moins depuis les écrits du Marquis de Sade, nous savons que le mal peut devenir l’objet d’un traitement esthétique. Le mal peut facilement prendre les allures d’une grandeur satanique exhalant une fascination qui peut frôler l’érotisme. À ce phénomène de l’esthétisation du mal s’ajoute sa surreprésentation dans les médias et la culture populaire, créant du coup les conditions parfaites pour sa banalisation. Le mal risque ainsi de devenir ordinaire. Je propose de relire la notion de ‘banalité du mal’ de Hannah Arendt comme une réponse à ce risque. En représentant Eichmann comme un clown, Arendt cherche à désesthétiser le mal en mobilisant l’ironie, si chère à Socrate et Bertold Brecht. Je montrerai comment cette réflexion se tisse dans la correspondance avec Karl Jaspers et comment elle se déploie dans Eichmann à Jérusalem, mais aussi dans le fameux échange de lettres avec Gershom Scholem qui suivit le compte-rendu du procès. En filigrane, Arendt semble aussi se rapprocher de l’éthique des vertus d’Aristote qui mettait l’emphase sur l’importance des exemples pour le développement du caractère moral. Arendt brosse en effet des portraits élogieux de ceux et celles qui lui inspirent un amour pour le monde, pensons à ses textes sur Jaspers, Lessing et Rosa Luxembourg dans Vies politiques. Ainsi, outre la polémique qu’elle a suscitée, la notion de ‘banalité du mal’ s’avère riche pour réfléchir aux conséquences morales des représentations qui ponctuent notre quotidien.
Marie-Andrée Ricard (Université Laval), « L’idéologie et la montée des extrémismes de droite à partir de Arendt et Adorno »
Même si Arendt et Adorno se sont évités mutuellement, il reste que leurs pensées offrent maintes similarités, notamment en ce qui concerne la modernité, la rationalité technique, la production du conformisme, la possibilité de l’autonomie. Ce qui est moins connu est leur affinité sur le plan pratique. D’une part, Adorno est allé jusqu’à approuver le concept de la banalité du mal que Arendt a forgé au contact de Eichmann, lequel constitue pour Adorno un emblème de ce qu’il a appelé une personnalité autoritaire. D’autre part, ce qui est encore moins connu, et que j’aimerais exposer ici, c’est la proximité entre le concept d’idéologie développé par Arendt dans son analyse du totalitarisme et celui qu’Adorno fit valoir dans sa conférence de 1967, publiée il y a peu, et intitulée Le nouvel extrémisme de droite. Bien qu’ils diffèrent du nazisme, les extrémismes de droite représentent selon Adorno une tendance au fascisme toujours présente dans nos démocraties et dont le regain de l’idéologie est en quelque sorte l’indicateur. Pour contrer la disparition du politique que Arendt redoutait tant et qui menace indéniablement aujourd’hui les États-Unis, il est impératif de se pencher avec Arendt et Adorno sur les causes et la manière dont fonctionne cette « logique d’une idée » qui se maintient au mépris de la rationalité et du témoignage des faits.
François Champagne-Tremblay (Université de Montréal), « À quelles conditions peut-on parler d’un « appauvrissement de l’expérience » ? »
En 1933, Walter Benjamin publie un court texte pour le moins énigmatique, intitulé « Expérience et pauvreté ». Le jugement qu’il y porte sur l’état de l’expérience, dans la vie contemporaine, est sans équivoque : celle-ci est essentiellement caractérisée par un certain appauvrissement. Ce constat sera repris tel quel une dizaine d’années plus tard par son ami Theodor W. Adorno, et l’analyse des modalités de l’expérience contemporaine deviendra à partir de là l’un des sujets de prédilection de la Théorie critique. Or, sur quelles bases et à quelles conditions est-il possible de diagnostiquer quelque chose comme un « appauvrissement de l’expérience » ? Nous essaierons ici de répondre à cette question et, par là, d’éclairer les tenants et aboutissants d’un tel diagnostic. Réfléchir sur les conditions de possibilité théoriques de ce jugement et spécifier le critère qui y est en jeu permet non seulement de comprendre par rapport à quoi l’expérience peut, de nos jours, être conçue comme appauvrie, mais en outre de mieux cerner les causes concrètes et les conséquences – notamment sur la possibilité même de la philosophie – d’un tel dépérissement.
A.11. Le pouvoir au prisme du local
Responsables : Anne Mévellec (Université d’Ottawa), Guy Chiasson (Université du Québec en Outaouais), Yann Fournis (Université du Québec à Rimouski)
La science politique québécoise (et canadienne) tend encore trop souvent à associer l’échelon local aux « actes banals du quotidien »- pour reprendre l’expression du thème de ce congrès. Afin de battre en brèche cette conception encore dominante, nous invitons les chercheur.e.s. à mettre de l’avant leur travaux qui explorent les différents rapports que le pouvoir entretient avec le territoire. Pour ce faire, on propose de sortir des découpages disciplinaires traditionnels pour faire discuter les travaux en politique urbaine et rurale, avec ceux en politique canadienne. En effet, si les premiers cherchent à élucider les logiques politiques qui structurent et animent l’échelon territorial municipal, les seconds permettent de replacer le territoire dans le cadre provincial-fédéral. Les propositions de communication pourront ainsi s’inscrire dans l’un des deux principaux axes suivants.
Axe 1 : Le territoire et le pouvoir en représentation
La question de la représentation se pose doublement à l’échelle territoriale, puisqu’elle concerne à la fois les élu.e.s municipaux et les député.e.s qui représentent leurs circonscriptions. Premièrement, elle interroge la sociologie des élu.e.s municipaux qui sont à la tête de ces territoires, afin de mieux comprendre les profils et les trajectoires de ces derniers. Dans l’espace public, les enjeux de féminisation, de diversité ou encore d’âge ponctuent les discussions sur la santé de la démocratie : quel est l’apport de la recherche en science politique sur ces aspects? Deuxièmement, la représentation ne se limite pas aux caractéristiques des élus mais inclut la manière dont ils et elles incarnent leur rôle. En cela, le travail politique au quotidien, les relations avec la fonction publique, et plus généralement avec la communauté sont peu documentés pour les élus municipaux. Ce questionnement sur le métier politique permet également de faire le lien avec le travail en circonscription des député.e.s provinciaux ou fédéraux qui tissent eux aussi les trames du politique au quotidien sur le territoire. Comment l’ancrage local et l’apolitisme énoncé des premiers s’arriment-t-ils avec les logiques gouvernementales et les dynamiques partisanes des seconds ?
Axe 2 : le territoire et le pouvoir en action
Historiquement structuré par les politiques provinciale, le territoire est aussi le lieu de l’action publique. Certaines municipalités s’affichent comme des « policy makers » qui forcent à interroger leur capacité d’initiative et d’appropriation d’une reconnaissance en tant que « gouvernement de proximité ». Là encore, l’exploration des dynamiques d’action publique territoriale ne peut se faire sans concilier des regards portés à plusieurs échelons afin de capturer les arrangements formels ou informels de la gouvernance multiniveaux. Qu’il s’agisse de grands projets d’infrastructures ou de politiques visant des services dits « à la personne », comme la culture ou l’accueil de la diversité, comment ces politiques publiques sont-elles élaborées ? Quel est le poids de la dimension territoriale dans les forces de standardisation et de différenciations qui parcourent l’action publique ?
Panel A.11.1, Vendredi 31 mai –9h00 à 10h30
Territoires, représentation et métiers politiques
Salomé Vallette (INRS) « La banlieue montréalaise, un milieu de participation politique pour les personnes âgées? »
Plusieurs études mentionnent que le contexte informationnel à l’échelle municipale est déficient (Cutler et Matthews 2005 ; Breux et Bherer 2011 ; Breux et Couture 2022). Ce déficit informationnel se traduirait, en comparaison avec les autres niveaux de gouvernement, par une plus faible quantité et qualité de l’information transmise (Breux et Couture, 2018; Cutler et Matthews 2005). Pourtant, l’idée de proximité associée à l’échelle municipale serait une caractéristique susceptible de limiter la déficience informationnelle de cette échelle de gouvernement.
Cette proximité se concrétise entre autres par la connaissance et l’utilisation des, 1) services informationnels municipaux, tel que le bulletin municipal, le journal local ou encore les personnes clefs d’organisme ou de la municipalité; et 2) des activités sociales et sportives. Au sein des banlieues, ces services sont bien utilisés par les personnes âgées et leur permette de développer leur sentiment d’appartenance à leur municipalité, bien importante pour leur participation politique au sein de cette dernière.
D’après les résultats de ma thèse, je présenterai que la proximité avec les élus, les services municipaux et le sentiment d’appartenance, sont des enjeux importants pouvant expliquer une participation politique, à l’échelle municipale, chez les personnes âgées vivant en banlieue de Montréal.
Sandra Breux (INRS), « Le métier d’élu à l’aune des relations avec l’administration municipale : le cas des municipalités québécoises de moins de 10 000 habitants »
Au Québec, les municipalités de moins de 10 000 habitants disposent de moyens variés notamment au regard de leur capacité à recruter des membres de leur administration. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’elles partagent ces mêmes ressources. Dans quelle mesure de telles caractéristiques teinte la fonction de l’élu·e au quotidien ? À partir des résultats d’un sondage mené auprès d’une centaine d’ élu·e·s de municipalités de moins de 10 000 habitants et de la réalisation d’entrevues semi-dirigées avec une trentaine d’entre eux, nous reviendrons sur la façon dont la taille d’une municipalité influence la relation entre l’administration et les élus, et teinte le métier d’élu.
Vincent Tremblay (UQAR) « Le métier de maire en petite municipalité : le dynamisme sans la professionnalisation ? »
Les travaux contemporains montrent que les élus locaux québécois suivent une trajectoire de « politisation » (Mévellec et al., 2022; Mévellec et Tremblay, 2016; Chiasson et Mévellec, 2014) par la professionnalisation au sens wébérien (rémunération et occupation), mais aussi dans le développement d’un savoir-faire spécifique au métier de maire. Or, d’autres travaux récents dans la région du Bas-Saint-Laurent montrent que cette trajectoire de professionnalisation n’est pas si évidente chez les maires de petites municipalités. Ceci ouvre à l’hypothèse d’une inscription sociale du politique différente, voire « exotique », qui repose largement sur une rhétorique et un répertoire d’action apolitisme (le projet politique du consensus d’un idéal communautaire de l’harmonie, cf. Bherer et Breux, 2012) où les candidats indépendants et élu par acclamation sont la règle bien plus que l’exception. À la différence d’une tendance à la professionnalisation observable dans les plus grandes villes, l’action municipale en contexte rurale resterait ainsi le plus souvent « minimaliste » en priorisant la réduction des dépenses publiques et des impôts fonciers dans une vision gestionnaire du rôle d’élu (Chiasson et al., 2023). Notre article souhaite ainsi approfondir cette hypothèse de la trajectoire spécifique du métier de personnel politique municipal en contexte de petite municipalité, qui reste largement méconnue (Breux et Parent, 2023). Nous sommes partis de l’hypothèse que nous retrouverons dans la trajectoire des maires bas-laurentiens certaines des caractéristiques de la professionnalisation (gestion et l’organisation de la ville au quotidien, incarnation symbolique de la municipalité, intermédiaire entre les différents segments d’une municipalité – communauté, conseil municipal, administration, MRC…) et l’absence d’autres : les partis politiques, les alliances avec les groupes partisans et les mouvements sociaux, un programme idéologique, etc.).
Un terrain fécond pour enquêter sur les fonctions mayorales se laisse deviner au Bas-Saint-Laurent où l’on constate à la fois une croissance territoriale susceptible de traduire l’activité des élus au palier supramunicipal (MRC, Région) et une forte activité à l’échelle municipale redevable à des élus locaux dynamiques. Notre méthodologie d’enquête était en deux segments. Sur la base du dynamisme de leur action municipale ainsi que sur la reconnaissance du personnel politique par leurs pairs, nous avons sélectionné 10 municipalités au Bas-Saint-Laurent. Pour chacune nous avons d’abord effectué une revue de presse et de la littérature grise; ensuite 10 entretiens semi-dirigés (6 avec des maires de petite municipalité avoisinant des centres urbains régionaux et 4 avec maires préfets de la région).
Les premiers résultats indiquent en grande partie un métier politique qui s’exerce au moyen des réseaux de notabilité (mode d’action surtout relationnelle reposant sur le prestige dans la communauté et l’accès à un vaste réseau social (cf. Pinson, 2009) –, souvent couplé avec un fort leadership dans l’action municipale, c’est-à-dire une capacité de mobiliser à la fois la communauté et les porteurs de ressources d’action publique autour d’une vision. Ces premiers constats invitent à rapprocher les deux hypothèses initiales et à réfléchir sur la stabilité d’un métier encore peu marqué par la politique formelle, mais où s’observent quand même des logiques de transformation du territoire.
Madeleine Lefebvre (UQAT). « Une typologie pour mieux cerner le rapport des élus des petites municipalités québécoises avec les différents savoirs et ceux et celles qui les portent »
Cette communication s’intéresse aux élus des petites municipalités québécoises, en contexte de municipalisation du développement territorial. Cette municipalisation s’est effectuée progressivement depuis le début des années 2000, avant d’être grandement accélérée par l’arrivée au pouvoir en 2014 du gouvernement libéral dirigé par Philippe Couillard. Deux lois (28 et 122) sont alors venues modifier en profondeur les responsabilités des municipalités en matière de développement de leur milieu (Chiasson, Fournis et Mévellec, 2014). Finie l’époque où les élus municipaux étaient uniquement administrateurs de services aux propriétaires fonciers. Par cette reconnaissance légale donnée aux municipalités, les MRC et leurs élus se retrouvent désormais face au défi de planifier leur développement, dans tous ses volets (économique, social, culturel, environnemental) (Mévellec, Chiasson et Fournis, 2017). La municipalisation du développement, de même que la professionnalisation du rôle des élus municipaux, observée depuis une vingtaine d’année et caractérisée, notamment, par une modification de leur rôle, accentuent leur besoin de mobiliser divers savoirs pour aborder des enjeux complexes.
Comme les recherches en politique municipale se concentrent sur les milieux urbains et celles abordant l’utilisation des savoirs dans l’action publique étudient majoritairement le recours à la science, la recherche doctorale que j’ai menée visait à en savoir davantage sur le rapport entretenu par les élus des petites municipalités québécoises avec les différents savoirs. Il s’agissait d’analyser la façon dont les élus des petites municipalités du Québec, qui représentent plus de 80% des élus municipaux de la province, naviguent à travers les connaissances éparses, en regardant de plus près celles auxquelles ils accordent leur attention et leur confiance pour nourrir leurs décisions, dans l’exercice de leurs fonctions.
Mon terrain d’étude a été circonscrit à la région administrative de l’Outaouais, où j’ai mené des entretiens semi-dirigés auprès de vingt-quatre élus aux profils démographique et politique variés. Les résultats obtenus m’ont permis de définir une typologie qui complète celle de Pinson (2009) et l’adapte à la scène politique des petites municipalités québécoises. Les figures qui la composent sont tirées de trois façons distinctes, bien que non exclusives, dont les élus des petites municipalités québécoises appréhendent les interactions avec les divers acteurs du développement territorial. Cette typologie insiste notamment sur l’importance de l’aspect socioaffectif et relationnel dans les stratégies d’accompagnement et de communication envers la plupart des élus.
Panel A.11.2, Vendredi 31 mai – 10h45 à 12h15
Territoire et participation publique
Christina Bouchard (Université d’Ottawa), « Aménagement du territoire et gouvernance multi-niveaux en Ontario »
En Ontario, l’aménagement du territoire est un bon secteur pour appliquer un cadrage de gouvernance multi-niveaux, car une grande partie du travail réglementaire de première ligne a été déléguée aux juridictions locales. Cette recherche se concentrera sur les consultations qui ont eu lieu entre 2019 et 2023, alors que la province proposait des réformes de déréglementation. Les consultations digitales ont été administrées par le Registre Environnemental de l’Ontario, une plateforme en ligne qui regroupe un grand nombre de documents provenant des administrations municipales, régionales, et locales (Ontario, 2023). Les dimensions territoriales sont-elles importantes dans le régime de planification des terres de l’Ontario ? Les preuves tirées des consultations seront utilisées pour argumenter que les connaissances granulaires et démocratiquement dérivées des juridictions locales peuvent, dans certaines circonstances, agir comme d’importants moteurs des valeurs démocratiques (Magnusson, 2015).
Les interactions entre la province de l’Ontario et ses administrations locales sont souvent fragmentées ou informelles (Eidelman et Lucas, 2023). En tant qu’instrument de gouvernance (Lascoumes et Le Galès, 2005), le registre est l’un des rares forums où les relations municipales-provinciales de l’Ontario sont formelles, documentées et accessibles à l’étude. L’analyse des juridictions qui ont participé aux consultations, de leurs prises de position et des qualités du processus de consultation lui-même permet de mieux comprendre les relations provinciales-municipales de l’Ontario. Les communications reçues mettent en évidence les juridictions ontariennes qui cherchent activement à jouer un rôle de « policy makers » en matière d’aménagement du territoire et de développement.
Dans les soumissions à la province les juridictions locales ont souligné les ambiguïtés problématiques des propositions provinciales, les détails des questions de mise en œuvre, des politiques locales et le potentiel des conséquences imprévues. L’analyse montre que l’alignement des juridictions locales sur certaines questions a été suivi de modifications des propositions provinciales au cours du premier mandat du gouvernement provincial. Toutefois, lorsque la province a présenté des propositions similaires au cours de son second mandat, l’alignement des préoccupations municipales n’a pas été suffisant pour entraîner des changements dans les propositions provinciales. L’étude met en évidence des liens entre les compétences territoriales, la représentation démocratique et les pressions liées au développement, contribuant ainsi à notre compréhension des dynamiques multi-niveaux dans le contexte canadien (Smith, 2019).
Emmanuel Choquette et Joanie Bouchard (Université de Sherbrooke). « Quand et comment faire participer? Défis et enjeux des politiques de participation citoyenne au Québec »
L’adoption de la loi 122 à l’Assemblée nationale en juin 2017 a placé les municipalités du Québec dans l’obligation de mettre sur pieds des processus de consultation et de participation publiques. Cette mesure a été favorablement reçue par l’Union des municipalités du Québec (UMQ) comme en témoigne les propos de son directeur à l’époque, Bernard Sévigny, alors également maire de la ville de Sherbrooke. « En rapprochant les décisions des citoyens, cette loi permettra de bâtir des communautés plus fortes et durables tout en favorisant une plus grande participation citoyenne » (UMQ2017). C’est dans ce contexte que la ville de Magog a créé sa première politique de participation citoyenne en 2020. Plus de trois ans après sa mise en application, l’administration de cette municipalité estrienne s’interroge sur le degré de participation exigé en fonction des types de projets. Un questionnement émerge alors : doit-on toujours déployer l’ensemble du mécanisme de participation citoyenne? Quelles principales étapes devraient constituer un modèle de participation efficace? Une équipe de recherche formée de deux professeur.e.s (politique et communication) et de trois auxiliaires a été mandatée par la ville de Magog pour apporter des réponses à ces deux questions. Cette recherche, bénéficiant d’un financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), de l’organisme de recherche sans but lucratif Mitacs et de la Ville de Magog, a ainsi pour objectif de contribuer au développement du « modèle de Magog » en matière de participation citoyenne. En outre, les résultats de cette étude pourront être mobilisés par d’autres administrations municipales.
Ainsi, cette communication vise à présenter, en deux temps, les résultats préliminaires de notre étude ayant débuté en février 2023. Nous mettrons d’abord en lumière les tensions, entre l’obligation de considérer les points de vue populationnels et la nécessité de prendre des décisions, identifiées dans la littérature au sujet de la mise en œuvre des politiques de participation citoyenne (Durand Folco 2016; Boudreau et Caron 2016). Ensuite, on soulignera les éléments saillants émanant d’une série d’entrevues semi-dirigées qui se sont tenues à l’hiver 2024. Ces rencontres ont permis de recueillir les perspectives d’une quarantaine de personnes, la moitié issue de Magog et l’autre provenant de municipalités de tailles comparables à cette ville. Les interviewé.e.s proviennent des milieux citoyen, entrepreneurial et de la fonction publique. On mettre en évidences les points communs et les aspects moins consensuels des opinions exprimées par les différentes personnes interrogées dans l’objectif d’identifier les principales étapes pouvant constituer ce « modèle de Magog ».
D’une part, cette étude met en lumière les défis que représente le déploiement de politiques de participation citoyenne permettant de concilier des intérêts qui s’avèrent relativement opposés parfois. D’autre part, et c’est en partie une hypothèse que l’on soumet dans notre recherche, il est possible qu’en dépit des perceptions, les points de vue exprimés par les personnes interviewées convergent à bien des égards. Ces perspectives partagées pourraient ainsi constituer des repères permettant de jeter les bases du « modèle de Magog ».
Valentine Meens (Université de Liège), « Démocratie participative : comment les élus locaux belges pratiquent-ils la participation citoyenne au quotidien ? »
La démocratie représentative contemporaine connait un tournant participatif. Les études théoriques et empiriques sur cette évolution dans le mode et l’organisation de l’action publique foisonnent. Elles mettent notamment en évidence les raisons qui amènent les élus à proposer des initiatives participatives (Mazeaud, 2012 ; Gourgues, 2015) ou analysent comment les représentants mobilisent ou négligent les résultats issus de dispositifs participatifs (Vrydagh, Caluwaerts, 2023). Beaucoup de ces travaux montrent l’instrumentalisation de la participation : les élus recourent à la participation citoyenne pour augmenter la légitimité d’une décision déjà prise ou pour redorer leur image (Bherer, 2011 ; Gourgues, Le Mazier, 2021).
En dépit de cette instrumentalisation, certaines recherches se sont intéressées au rapport que les élus entretiennent avec la démocratie participative. Analysant le point de vue des représentants politiques, l’étude de Jacquet et al. (2015) identifie différents profils d’élus et montre que les plus convaincus voient au mieux les dispositifs participatifs comme un complément à la représentation. D’autres chercheurs distinguent les points de vue des élus sur la participation des citoyens selon des critères socio-démographiques tels que l’âge, le genre et l’orientation politique (Heinelt, 2013). Enfin, il apparaît que des éléments propres à l’expérience politique individuelle (la longévité politique, la trajectoire de carrière, les modes de socialisation partisane) affectent la manière dont les élus perçoivent et agissent sur les dispositifs de participation (Bottin, Schiffino, 2022). Il ressort de la littérature existante un paradoxe : pourquoi les élus continuent-ils à soutenir la mise en place de dispositifs participatifs si la légitimité qu’ils leur attribuent reste limitée et s’ils ont la plupart du temps tendance à les instrumentaliser ?
Cette communication propose d’explorer ce paradoxe en nous appuyant sur la tradition américaine du pragmatisme et la notion de « situation problématique » proposée par Dewey (1967) et actualisée par Marres (2005). Selon ces deux auteurs, c’est la formulation d’un problème dans une situation donnée qui fait naitre un public qui participe à son articulation et à sa résolution. La participation citoyenne est perçue comme un problème pour certains représentants politiques. Comment, dès lors, se pose le problème de la participation citoyenne à l’échelle locale ? L’articulation de ce problème conduit-elle à l’instrumentalisation de la participation et à l’impossibilité de sa résolution ou permet-elle au contraire de faire évoluer les pratiques démocratiques locales ?
Ces questions seront discutées à partir des résultats intermédiaires d’une recherche doctorale sollicitée par une autorité locale et co-financée par les pouvoirs publics locaux et régionaux. Pour les besoins de cette recherche, plusieurs dispositifs participatifs ont été mis en place sur le territoire de cette autorité (marches urbaines, enquête Delphi, atelier-scénario), suscitant une série de réactions de l’autorité politique.
A partir d’une analyse de discours et d’observations participantes, nous avons observé différents degrés d’engagement et de résistance des représentants politiques à la mise en oeuvre de ces dispositifs. Cette communication propose de mettre nos résultats en perspective par rapport aux critères habituellement retenus dans la littérature pour tenter de cerner le rapport que les élus entretiennent avec la démocratie participative.
Louis-Robert Beaulieu-Guay (CRIEM, Université McGill). 20 ans de consultation publique à Montréal : un corpus du discours citoyen.
L’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) prône la transparence de ses activités en partageant sur son site web tous les documents rassemblés et produits lors de ses consultations. Néanmoins, la forme de ces données, des PDFs téléchargeables, constitue un obstacle pour les chercheurs souhaitant exploiter ce riche matériel empirique. Historiquement, les recherches portant sur l’OCPM ou utilisant ses données se sont donc limitées à des études de cas spécifiques et à des analyses qualitatives.
Pour enrichir ce domaine de recherche, une base de données exhaustive a été constituée, rassemblant l’ensemble des textes produits ou collectés par l’OCPM depuis 2002, pour un total de plus de 16 000 documents. Cette collection inclut des mémoires, transcriptions, rapports, et autres documents essentiels, tous dotés de métadonnées détaillées. L’objectif de cette démarche est de faciliter et encourager la recherche académique sur l’engagement citoyen et les processus de consultation publique au niveau municipal.
La communication proposée vise à présenter cette nouvelle base de données textuelles. La communication inclut des analyses préliminaires, comme l’examen de la longueur des interventions en fonction du genre des participants.es et une analyse thématique des mémoires déposés à l’OCPM, illustrant ainsi la valeur de cette ressource pour mener des études systématiques et quantitatives sur un corpus issu de consultations publiques.
A.12. Violences politiques au quotidien
Responsables : Leila Celis (Université du Québec à Montréal) et Vincent Romani (Université du Québec à Montréal)
Cet atelier traitera des enjeux d’invisibilisation et banalisation, repérage et reconnaissance des violences politiques dans leurs expressions les moins évidentes et les plus quotidiennes. Quelles sont les technologies politiques qui permettent d’occulter le politique dans les phénomènes violents, et la violence dans les phénomènes politiques ? L’objectif est de rassembler des communications originales qui rendent compte des regards interdisciplinaires sur la violence politique et des avenues de recherche qui permettent de documenter et rendre raison de ce type de violence, ses effets, ses victimes et ses bénéficiaires, à travers plusieurs études de cas.
Panel A.12.1, Vendredi 31 mai – 9h00 À 10h30
De la relationalité entre violences matérielles et immatérielles
Discutantes : Vincent Romani (Université du Québec à Montréal), Leila Celis (Université du Québec à Montréal)
Marina Seuve (Université du Québec à Montréal), « L’injustice anthroponymique comme enjeu du politique : confluence de violences coloniales, raciales et genrées »
Maggie Hébert (Université Laval) « Violences coloniales et épistémiques : L’occultation de la Palestine dans les milieux universitaires ».
Geneviève De Breyne-Gagnon (Université du Québec à Montréal). « Intersectionnalité, État et gouvernance : des usages du terme intersectionnalité au service de la reproduction des violences? »
Panel A.12.2, Vendredi 31 mai – 10h45 à 12h15
Épreuves intersectionnelles des féminismse :
Discutantes : Leila Celis (Université du Québec à Montréal), Vincent Romani, (Université du Québec à Montréal)
Naïla Lounas (Université du Québec à Montréal). « De l’auto-défense féministe à la contre-violence politique. Se donner les moyens de façonner nos réponses à la violence politique dans une perspective anti-raciste, anti-coloniale et féministe intersectionelle »
Tania Pierre-Charles (Université du Québec à Montréal), « Politique de santé reproductive et violence faite aux femmes en Haïti: un exemple de violence d’État »
Panel A.12.3, Vendredi 31 mai – 13h45 à 15h15
Enjeux multiscalaires de l’analyse des violences politiques :
Discutantes : Geneviève De Breyne-Gagnon, Naïla Lounas
Leila Celis (Université du Québec à Montréal). « Interaction entre les violences de l’industrie extractiviste et celles des politiques économiques de l’État. Analyse de cas en Colombie”,
Vincent Romani (Université du Québec à Montréal). « La violence extrême peut-elle être quotidienne ? Hétérochronie, torture et génocide »
Panels
P.1. Reconnaissance et care
Mercredi 29 mai, 10h45 à 12h15
Présidence : Nathalie Burlone (Université d’Ottawa)
Discussantes : Janique Dubois (Université d’Ottawa) et Nathalie Burlone (Université d’Ottawa)
Béatrice Monfette (Institut national de la recherche scientifique), « Travail du care et rapports de pouvoir quotidiens au Nunavik »
Le marché du travail au Nunavik est structuré autour de travailleur·euses venu·es du sud du Québec. Alors que les Inuit constituent près de 90% de la population du Nunavik, les qallunaat (non-Inuit) occupent la moitié des emplois réguliers à temps plein notamment dans les secteurs de l’éducation, de la santé et des services sociaux, une proportion qui augmente avec la spécialisation des postes (ARK, 2011; Lévesque et Duhaime, 2021). Cette présence importante de travailleur·euses qallunaat, bien souvent temporaire, comporte des défis pour l’organisation du marché du travail ainsi que pour les relations entre Inuit et qallunaat.
En effet, la présence de ces travailleur·euses temporaires fait partie intégrante de l’héritage du colonialisme dans l’Inuit Nunangat. Historiquement, l’administration des services du Nunavik a été contrôlée par les gouvernements provincial et fédéral et la prestation a été, quant à elle, assurée largement par des travailleur·euses temporaires. Bien que l’éducation, la santé et les services sociaux soient perçus comme des secteurs construits autour de la bienveillance, ils ont participé aux stratégies gouvernementales de sédentarisation, d’assimilation et d’intégration des Inuit dans la « société moderne » canadienne (CVR, 2015). Alors que le paysage de l’emploi au Nunavik demeure peu changé, la compréhension de l’expérience quotidienne des travailleur·euses qallunaat reste limitée.
Ancrée dans les théories des relations Autochtones/Allochtones et des études sur la blanchité, cette recherche explore le vécu des travailleur·euses du care au Nunavik pour éclairer les structures et les mécanismes perpétuant les rapports de domination. Si les questions de racisme ont souvent été étudiées du point de vue des groupes opprimés, peu d’attention a été accordée aux structures qui assurent la domination des personnes blanches ainsi qu’à leur vécu (Moreton-Robinson, 2000). À partir d’entretiens (n=21) réalisés dans le cadre d’un projet de maîtrise auprès de qallunaat ayant travaillé en éducation, en santé et dans les services sociaux au Nunavik, cette proposition vise à examiner comment le quotidien des travailleur·euses qallunaat au Nunavik est marqué par des dynamiques de pouvoir entre Inuit et qallunaat. Elle cherchera également à comprendre les stratégies et les mécanismes que ces travailleur·euses adoptent pour naviguer ces interactions.
Bien que la blanchité cherche à être présentée comme non marquée par la race (Cervulle, 2012), il sera possible de constater que le quotidien des travailleur·euses qallunaat est caractérisé par des dynamiques de pouvoir qui consolident leur position sociale. Confronté·es aux inégalités structurelles qui les avantagent, les travailleur·euses adoptent diverses stratégies leur permettant de naviguer les inconforts relatifs aux dynamiques de pouvoir. Les données issues du projet jettent un éclairage nouveau sur la manière dont l’héritage colonial structure les rapports de hiérarchie et garantit aux travailleur·euses qallunaat des privilèges, impactant ainsi les relations entre Inuit et qallunaat. Les analyses ont également permis d’identifier des trajectoires clés des travailleur·euses en fonction des stratégies adoptées. Les résultats de ce projet offrent ainsi une meilleure compréhension des relations entre Inuit et qallunaat, notamment dans le vécu quotidien des rapports de domination, et du rapport des travailleur·euses qallunaat à leur expérience professionnelle au Nunavik.
Isabelle Godbout (École nationale d’administration publique), « La reconnaissance des groupes : une analyse critique, féministe et comparative des professions infirmière et de travail social au Québec »
La reconnaissance vise à rendre visible un sujet ou un objet comme possédant les propriétés adéquates au regard d’une situation particulière (Honneth, 2005). Elle a rarement été étudiée selon les revendications émanant de mouvements ou groupes sociaux en vue de leur reconnaissance organisationnelle ou institutionnelle (Lazzeri et Caillé, 2004) et selon leur capacité à jouer leur rôle de parties prenantes dans l’action publique (Jetté, 2017).
Plusieurs facteurs peuvent influencer la reconnaissance accordée à une profession. Dans le domaine de la santé, les réformes dans l’organisation des soins et services, l’allocation collective des ressources façonnées par les politiques publiques (Schlesinger, 2002) et les tensions entre les professionnels de la santé (Couturier et Belzile, 2021; Boyer et al., 2010) ont été identifiées comme des facteurs importants. Étudier la reconnaissance accordée aux professions infirmière et de travail social pourrait apporter des réponses aux enjeux que connait actuellement le réseau de la santé et des services sociaux (RSSS) québécois.
P.2. Transition énergétique, genre et nationalisme
Jeudi 30 mai 13h45 à 15h15
Présidente et discutante : Janique Dubois (Université d’Ottawa)
Sarah-Jane Vincent (Université Laval), « Pétrole, pouvoir, et privilège : Les traces de la pétromasculinité dans la transition énergétique au Canada »
Alors que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sonne l’alarme quant à la nécessité d’accélérer de manière drastique la lutte contre les changements climatiques, une partie de la population reste indifférente, sceptique ou bien nie l’urgence de la situation. Cette réticence, motivée par le déni de la réalité des changements climatiques, ou par des doutes quant à leurs impacts, entrave considérablement la transition énergétique. Dans cet article, nous mobilisons le concept de « pétromasculinité », tel que défini par Daggett (2018), afin d’examiner les manifestations de ce phénomène au sein de la société canadienne. En croisant les dimensions du conservatisme social, du soutien aux industries fossiles et de l’inaction environnementale, nos résultats révèlent une présence tangible de cette forme de masculinité axée sur le pétrole, et suggèrent qu’elle constitue un obstacle significatif à l’adoption de politiques et de pratiques favorables à la transition énergétique.
Annabelle Olivier et Marc-André Bodet (Université Laval), « Les effets de la parentalité sur les attitudes climatiques »
Plusieurs études se sont attardées aux barrières psychologiques de l’action (Gifford, Lacroix et al. 2018, Vieira, Castro et al. 2023). La perception que les changements climatiques auront lieu dans un horizon temporel et spatial « lointain » est l’une de ces barrières (Zaval, Markowitz et al. 2015). Lorsqu’il est question d’adopter des attitudes et comportements proclimats (pro-climat attitudes), un des défis repose dans la tendance humaine à se préférer soi-même face à d’autres individus qui nous apparaissent loin géographiquement ou temporellement (Zaval, Markowitz et al. 2015). Dans l’optique de favoriser l’action climatique, nous pouvons nous intéresser aux mécanismes qui nous permettraient de surmonter cette tendance à négliger les horizons temporels plus lointains. Notre étude a pour but de savoir si le fait d’avoir des enfants est l’un de ces mécanismes. Notre problématique est la suivante : « Est-ce que la parentalité permet de surmonter des barrières à l’action climatique ? ». Nous faisons l’hypothèse qu’avoir des enfants rend les parents plus enclins à adopter des attitudes proclimats. La parentalité permettrait en ce sens de réduire les barrières socio-temporelles des changements climatiques, ainsi que certaines barrières morales et politiques de l’action.
Notre étude est introduite par une revue de littérature. Dans celle-ci, nous observons que le « green parenthood effect », l’idée selon laquelle d’avoir des enfants augmente les attitudes et comportements proclimats, fait l’objet de débat. Nous avons identifié quatre hypothèses qui soutiennent notre position, et une qui la conteste, ou du moins la nuance. Nous recevrons les résultats de notre étude dans les prochains jours. À la lumière de la revue de littérature, nous nous attendons ainsi à ce que la parentalité augmente les attitudes et comportements en faveur de l’atténuation des changements climatiques. Il sera également question d’examiner si cet effet est particulièrement observable chez les individus disposant déjà d’attitudes proclimats, ou pas.
En matière de retombées scientifiques, prouver l’existence du « green parenthood effect », permettrait de s’intéresser aux raisons qui sous-tendent cette hausse de l’adoption d’attitudes et de comportements pro-climats. Ces mécanismes identifiés chez les parents pourraient-ils être reproduits dans la population en général afin d’augmenter l’action climatique ? En effet, les résultats empiriques de notre recherche ouvriraient la voie à une avenue pour mitiger les barrières psychologiques soulevées précédemment. Cela s’avère également une retombée sociale non négligeable dans un contexte de crise climatique où nous devons agir rapidement.
En conclusion, l’objet de notre étude est directement en lien avec le thème du 61ème Congrès de votre organisation : la politique au quotidien. Effectivement, nous explorons le lien entre le fait d’avoir des enfants avec l’acceptabilité sociale nécessaire pour mettre en œuvre les changements requis. En ce sens, nous mettons en lumière la manière dont la parentalité, un élément phare du quotidien d’une majorité de personnes, affecte une lutte sociale et politique fondamentale de notre époque : la lutte climatique, et ce, à travers le prisme de l’acceptabilité sociale.
P.3. Le discours des élites dans différents médias : genre, identité et pouvoir
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Mercredi 29 mai, 15h30 à 17h00
Responsables : Tania Gosselin (Université du Québec à Montréal) et Allison Harell (Université du Québec à Montréal)
Les représentations du pouvoir sont une force puissante dans la construction de l’opinion publique. Ces représentations présentent, construisent, et reproduisent les compréhensions partagées du pouvoir dans la société. Dans ce Panel, nous proposons d’explorer comment divers médias représentent les acteurs politiques et les gouvernements, en portant une attention spéciale à la nature genrée et racisée des représentations. Trois formes de médias sont explorées : les médias sociaux, les téléromans et les manuels scolaires. Dans ces différents « lieux » du discours des élites, les quatre communications mettent de l’avant qui parle, pour qui, et comment.
Janika Gilham-Leblanc (Université du Québec à Montréal), « Le style communicationnel populiste du parti Alternative für Deutschland (AfD): la « crise » de l’interdiction des fournaises à gaz »
À l’automne 2023, une loi votée par le parlement allemand a interdit l’installation de fournaises alimentées au gaz ou au mazout en vue de limiter la dépendance au gaz russe et de réduire les émissions polluantes. Le projet de loi avait suscité des débats houleux, opposant même les partis membres de l’Ampelkoalition au pouvoir (la coalition des « feux de circulation », en référence aux couleurs des trois partis qui la composent). Le parti de droite radicale Alternative für Deutschland (AfD) continue à dénoncer cette loi, qui aurait contribué à nourrir les appuis au parti lors de récentes élections régionales et municipales. L’AfD est fréquemment taxée de populisme. Dans cette communication, nous nous intéressons au populisme en tant que phénomène communicationnel distinct de l’idéologie. Nous utilisons la controverse du « boiler ban » pour tester la proposition selon laquelle l’AfD mobilise un style communicationnel populiste.
Benjamin Moffitt (2014) conçoit le populisme comme une performance qui s’articule autour d’une crise. Dans cette optique, le populisme se caractérise par l’identification d’une crise et son amplification en ciblant un ou des groupes en tant que responsables. Des solutions simples à des problèmes complexes sont proposées par les leaders populistes et propulsées dans l’espace public par l’usage des médias, surtout sociaux. Une analyse de contenu des publications en ligne du parti nous permettra d’identifier (1) la manière dont le parti « performe » la crise; (2) qui en est responsable; et (3) les différentes solutions proposées. Le corpus sera constitué des publications des pages Facebook de l’AfD et de celles de ses deux leaders, Tino Chrupalla et Alice Weidel, lors des élections régionales
Sophie Painchaud (Université du Québec à Montréal), « Stéréotype de genre dans les médias : le cadrage des politiciennes dans les téléromans »
Plusieurs textes, au fil des ans, ont soulevé la question d’une certaine représentation des politiciennes dans les médias (Trimble, Treiberg et Girard, 2010 ; Lemarier-Saulnier et Lalancette, 2012 ; Deason 2021), démontrant au passage la présence d’un stéréotype de genre. Ce stéréotype contribuerait, entre autres, à dépeindre les femmes en politique comme empathiques, maternelles, intéressées par l’éducation, la santé et la culture, en plus d’être aux prises avec des difficultés à concilier le travail et la famille.
On peut se demander si ce stéréotype de genre s’applique aussi à la configuration de politiciennes présentes dans les téléromans. Ceux-ci occupant depuis longtemps une place unique au Québec et se voulant un élément identitaire qui nous distingue du reste du Canada (Desaulniers, 1996), il apparaît pertinent d’y analyser le cadrage des politiciennes. À ce sujet, la télésérie La Candidate (2023, Radio-Canada), de par son caractère récent et sa trame tournant principalement autour de la politique, représente un cas d’étude intéressant. Une grille d’analyse ancrée dans la représentation des politiciennes dans les médias me permettra de répondre à la question suivante : en quoi le personnage d’Alix Mongeau permet-il de confirmer ou d’infirmer les théories sur le stéréotype de genre des politiciennes ?
Evens Mensah Ouvor (Université du Québec à Montréal)), « Une mémoire exclusive : Comment les discours révisionnistes sur la colonisation créent-ils des conditions de non-appartenance à la nation françaises pour les citoyens afro-descendants ? »
Le 4 octobre 2020, le ministre de l’Education Nationale français, Jean Michel Blanquer déclare sur une chaîne de télévision que le manque d’intégration des immigrés s’explique par une politique de repentance qui nuirait à “l’image forte” de la République Française. Il étaye son argument en soulignant la nécessité d’honorer la mémoire des Pieds Noirs qui auraient énormément souffert pendant la guerre d’Algérie et qui fustigent la représentation du passé colonial de l’ancien empire. De tels propos – d’autant plus qu’ils sont tenus par un représentant de l’Etat et de son système éducatif – révèlent une position sur la façon dont l’histoire coloniale devrait être enseignée. Par ailleurs, ils font également écho à la proposition de loi no 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés qui entend promouvoir les “valeurs de la République” et encourager la fierté d’être français en omettant le passé houleux de l’État. Il s’agit d’une opération d’envergure nationale visant à améliorer l’image du pays et à unifier les différentes communautés qui le composent. Le gouvernement français lui-même doit donc être considéré comme le vecteur d’une mémoire particulière qui ne coïncide pas forcément à celle des descendants africains et des historiens. Son récit est véhiculé à travers un système éducatif auquel chaque jeune du pays est tenu de participer. Nous devons alors nous pencher sur ces divergences afin de réaliser quels éléments historiques ont été omis du récit national et de comprendre pourquoi les citoyens d’ascendance africaine ont du mal à l’accepter. Plusieurs études ont examiné la manière dont la colonisation a été dépeinte dans les livres d’histoire, et nombre d’entre elles ont critiqué sa représentation positive. Nous pouvons alors nous poser la question suivante: Dans quelle mesure et à travers quels éléments les livres d’histoire et d’éducation civique constituent-ils un discours nationaliste exclusif sur la colonisation et ses effets? Nous tâcherons de répondre à cette question en procédant à une analyse de contenu portant sur 40 manuels d’Histoire-Géographie utilisés dans les lycées français entre durant les dix dernières années. Nos résultats préliminaires nous aiguillent vers une rhétorique qui met l’emphase sur des figures héroïques, un partage des blâmes entre colons et colonisés et une intention initialement noble.
Tania Gosselin (Université du Québec à Montréal) et Carol-Ann Rouillard (Université de Sherbrooke), « Les femmes expertes dans les médias sociaux durant la pandémie de COVID-19 »
L’opinion experte dans les médias revêt une importance dans la mesure où elle contribue à orienter les débats publics et les processus de prise de décision (Niemi et Pitkänen, 2017). Alors que les voix exprimées par les femmes apportent à la gouvernance des perspectives et des valeurs différentes de celles généralement exprimées par les hommes (Guppy et Luongo, 2015), celles-ci ont été sous-représentées parmi les groupes d’expertise et de prise de décision entourant la gestion sanitaire (van Daalen et al., 2020). Cette période a également été marquée par une exacerbation des inégalités hommes-femmes, notamment sur le plan économique (Mooi-Reci et Risman, 2021).
Cette communication se penche sur la présence et la mobilisation de l’expertise en lien avec la COVID-19 dans les médias sociaux. Nous examinons comment l’expertise se déploie et quels acteurs la véhiculent (politicien.nes, journalistes, membres du public) sur X (Twitter) pendant la première année de la pandémie. La littérature, largement ancrée dans les médias dits traditionnels, montre que les femmes expertes sont moins présentes et moins citées dans les médias. Lorsqu’elles sont citées, c’est plus souvent de manière indirecte, et leur titre moins susceptible d’être mentionné que dans le cas d’un expert. Nous testons ces hypothèses à l’aide de plus de 50 000 gazouillis associés aux mot-clics #covid19quebec et #covid19qc publiés entre avril 2020 et mai 2021.
P.4. Cabinets ministériels et affiliations politiques
Jeudi 30 mai, 9h00 à 10h30
Président et commentateur : Benjamin Ferland (Université d’Ottawa)
Kamila Kolodziejczyk (Université d’Ottawa), « Corruption : Un double désavantage pour la représentation des femmes au sein des cabinets ministériels »
La recherche a établi que la corruption freine la nomination des femmes à des postes ministériels. Cependant, nous ne savons pas ce qu’il advient des femmes une fois qu’elles sont nommées au cabinet ministériel. La corruption augmente-t-elle leurs chances d’être reléguées à un portefeuille moins important ? Ou bien deviennent-elles des membres égales du cercle intérieur du pouvoir une fois qu’elles ont accédé au cabinet et ne subissent donc pas d’autres désavantages ? Nous répondons à ces questions en nous basant sur un nouvel ensemble de données mondiales sur la représentation des femmes au sein des cabinets. Pour ce faire, nous avons collecté à la main des données sur la composition des cabinets dans le monde en 2022, y compris des informations sur le sexe et le portefeuille ministériel de chaque membre du cabinet, à partir des sites web des gouvernements nationaux. Grâce à des statistiques descriptives et inférentielles, nous trouvons la preuve d’un double désavantage : non seulement la corruption rend l’accès au cabinet plus difficile pour les femmes, mais une fois qu’elles y sont, leurs chances d’être nommées à un portefeuille prestigieux sont également diminuées.
Eric Montigny et Marc André Bodet (Université Laval), « Les transitions générationnelles au sein des cabinets ministériels : une analyse des cas du Québec, de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse »
À partir d’une base de données originale, cette communication examinera les transitions générationnelles souvenues au fil des ans au sein des Conseils des ministres de quatre juridictions canadiennes, soit le Québec, l’Ontario, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Il examinera aussi de façon plus spécifique les causes électorales et les conséquences politiques de ces transformations générationnelles.
Engi Abou-El-Kheir (Université d’Ottawa), « La polarité des affiliations politiques des Canadiens arabes »
Les Canadiens d’origine arabe constituent une population importante au Canada, en particulier au Québec et en Ontario, qui influencent les résultats des élections. La littérature montre que les Canadiens arabes, ou les immigrants d’origine arabe, qui viennent de cultures plus traditionnelles que la plupart des citoyens d’origine canadienne, votent massivement pour le Parti libéral. Nous émettons l’hypothèse que les Canadiens arabes et les immigrants arabes au Canada se positionnent idéologiquement plus à droite, mais votent principalement pour le Parti libéral. Cette recherche vise à découvrir la raison de ce décalage et à déterminer si les musulmans et les chrétiens arabes sont similaires ou différents à cet égard. Des méthodes mixtes seront utilisées. L’ensemble de données primaires est créé à partir des répondants d’origine arabe de l’Étude électorale canadienne (EEC), de 2000 à 2021, à partir desquelles des statistiques descriptives et une régression logistique multinomiale sont analysées pour en dégager les tendances et l’importance, en se concentrant sur les hypothèses centrales formulées dans la littérature sur la loyauté des minorités envers le Parti libéral. Des entretiens avec des Canadiens d’origine arabe ont été réalisés. Les statistiques descriptives préliminaires basées sur les données de l’EEC confirment notre hypothèse centrale, tandis que la régression multinomiale et les entretiens développent ces résultats pour fournir des explications et des interprétations plus détaillées.
P.5. Politiques publiques et réactivité politique
Jeudi 30 mai, 10h45 à 12h15
Président et commentateur : Daniel Stockemer (Université d’Ottawa)
Olivier Jacques (Université de Montréal), « Baisse des revenus et réaction politique contre les États-providence avancés. »
Quelles sont les conséquences du ralentissement de la croissance des revenus observé dans les démocraties capitalistes avancées pour la politique des États-providence avancés ? Nous soutenons que les baisses de revenus entraînent une réaction politique contre les impôts et l’État-providence. Nous développons un cadre théorique liant la baisse des revenus à un soutien moindre aux impôts qui redistribuent les revenus du présent vers l’avenir et de soi-même vers les autres. Nous testons notre argument sur des données de panel provenant des États-Unis et créons un nouvel ensemble de données correspondant à des informations uniques sur les changements de revenus avec des données transnationales au niveau micro sur les préférences politiques et le comportement électoral. Nous constatons que les personnes dont les revenus diminuent sont plus susceptibles de soutenir une baisse des impôts et une réduction des dépenses. Nous démontrons aussi que les politiques d’austérité réduisent le soutien au candidat sortant lorsque les revenus des citoyens augmentent, mais l’augmente lorsque les revenus diminuent. Par conséquent, les baisses de revenus sapent le soutien aux États-providence dans les démocraties capitalistes avancées.
Éric Desrochers (Université d’Ottawa), « La représentation des citoyens au sein d’États fédéraux »
Mon article traitera de la relation entre les politiques préférées des citoyens et celles mises en œuvre par leurs gouvernements. J’examinerai comment la représentation substantive des citoyens diffère entre les régions des fédérations, en accordant une attention particulière aux effets de certaines des caractéristiques associées au fédéralisme (décentralisation fiscale, partage des compétences, hétérogénéité sociale, bicamérisme et incongruence du système de partis). Je m’appuierai sur des corpus littéraires présentant différentes approches de la représentation politique, en particulier sur des études portant sur la représentation substantive et sur le fédéralisme. Alors que les études précédentes sur la représentation substantive se sont généralement concentrées sur l’opinion publique des États dans leur ensemble, je crois être en mesure de donner un aperçu de certaines des inégalités de représentation présentes au sein des fédérations.
Ma première contribution est de mieux relier la littérature sur la représentation substantive à la vaste littérature sur le fédéralisme. D’une part, les études sur la représentation substantive ont développé des concepts et des mesures clairs de la représentation, à savoir la congruence citoyens-élites et la réactivité, mais elles n’ont pas réussi à saisir les particularités de la représentation politique inhérente aux fédérations. D’autre part, la littérature sur le fédéralisme a proposé des idées normatives concernant la représentation, mais n’a pas réussi à saisir les développements récents qui caractérisent les études sur la représentation substantive. L’objectif de cet article est donc de proposer de nouvelles conceptualisations de la représentation substantive qui prennent mieux en compte les attentes normatives associées au fédéralisme et de développer des attentes théoriques expliquant le rôle du fédéralisme sur la représentation substantive des citoyens au sein des fédérations ainsi qu’entre elles.
Benjamin Ferland (Université d’Ottawa), « (Non-)réactivité des élus à l’égard de certaines demandes citoyennes au Canada »
La relation entre les élus et leurs citoyens de circonscription est au cœur du processus démocratique au Canada. Les récents débats sur la réforme électorale ont souligné l’importance de cette relation. En particulier, la représentation locale était l’un des cinq principes guidant la création et les travaux du Comité spécial sur la réforme électorale en 2016. En effet, dans un pays aussi diversifié géographiquement que le Canada, les besoins locaux varient considérablement d’une région à l’autre et les députés représentent des acteurs cruciaux afin de représenter ces intérêts régionaux au niveau national. De plus, les élus constituent l’un des liens les plus directs pour les citoyens lorsqu’ils doivent interagir avec l’État sur des enjeux administratifs, de service, ou politiques. Ainsi, les citoyens communiquent régulièrement avec leurs élus pour différentes demandes de service et d’accompagnement. Dans ce contexte de travail de circonscription, il est généralement attendu que les élus traitent les requêtes citoyennes sur un même pied d’égalité. Cela implique que les élus (et leurs employés) devraient se montrer aussi sensibles à l’égard de différents groupes de citoyens et ne devraient pas privilégier certains groupes par rapport à d’autres. L’objectif de l’étude est de vérifier empiriquement cette attente normative. À cette fin, nous avons mené une série d’expériences auprès d’élus au Canada afin d’évaluer la qualité de la représentation politique de différents groupes minoritaires. En particulier, nous examinons si les élus discriminent les immigrants, les membres de la communauté LGBTQ+, et les francophones dans leurs réponses aux demandes citoyennes. Le devis expérimental consiste à contacter les élus par courriel pour une requête où l’identité du citoyen est randomisée (c.-à-d., son appartenance à un groupe minoritaire ou non). Ce devis permet ensuite de comparer les taux de réponses afin de mesurer s’il existe des inégalités dans les réponses des élus à l’égard de ces groupes. L’étude considère également plusieurs caractéristiques individuelles des élus (ex : l’idéologie et l’âge) et de leurs circonscriptions (ex : la compétitivité électorale et la proportion d’immigrants, de francophones, etc.) qui pourraient influencer les inégalités dans les taux de réponses. Par conséquent, l’étude met en lumière plusieurs facteurs contribuant aux inégalités de représentation dans les circonscriptions électorales au Canada.
P.6. L’engagement en recherche ou la recherche sur l’engagement (Table ronde)
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Mercredi 29 mai, 13h45 à 15h15
Responsable: Andréanne Brunet-Bélanger (Université de Montréal)
La table ronde du CPDS se consacre à explorer les relations complexes entre l’engagement et les chercheur·euses dans le domaine des sciences sociales, visant à approfondir notre compréhension des liens entre l’engagement en tant qu’objet d’étude et les positions d’engagement adoptées par les chercheur·euses, qu’elles soient implicites ou explicites.
Notre démarche cherche, d’une part, à examiner les divers aspects de l’engagement en tant que domaine de recherche, mettant en lumière les répercussions théoriques et méthodologiques qui en découlent. Nous adopterons une approche éclectique pour traiter les différentes formes d’engagement, explorant en détail les modèles distincts issus des mouvements sociaux.
D’autre part, en scrutant attentivement les attitudes d’engagement sous-jacentes chez les chercheur·euses, notre objectif est de révéler leur influence sur l’ensemble du processus de recherche, depuis la formulation des questions jusqu’à la collecte des données et à l’analyse des résultats. Cette analyse des postures d’engagement vise à dégager une compréhension approfondie de la façon dont les convictions des chercheur·euses façonnent leur relation avec le terrain et le sujet, contribuant ainsi à la richesse et à la complexité des résultats obtenus.
Notre attention se porte spécifiquement sur la recherche axée sur l’engagement quotidien, que ce soit dans l’étude de l’engagement politique des jeunes végétarien·ne·s et végane·e·s au Québec ou dans l’analyse des mouvements d’agriculteur·rice·s sans terre en Amérique latine. Notre perspective large sur l’engagement provient de nos terrains d’enquêtes et de la volonté de nos enquêté·e·s de perturber l’ordre établi par le biais d’actions politiques quotidiennes.
La table ronde vise à mettre en lumière la diversité des formes d’engagement envisageables, dans un contexte où les chercheur·euses adoptent souvent une posture engagée, que ce soit de manière implicite ou explicite. Nous aspirons ainsi à enrichir la réflexion autour du rôle de l’engagement dans la recherche et son effet sur la compréhension des mouvements engagés.
Modératrice : Andréanne Brunet-Bélanger (Université de Montréal)
Participant.e.s :
Jean-Philippe Chaunier (Université de Montréal)
Étienne Sinotte (Université de Montréal)
Alexia Renard (Université de Montréal)
P.7. Entre résistance et reproduction des rapports de pouvoir : les objets culturels observés à travers une lentille féministe
Responsables: Sophie-Anne Morency (Université du Québec à Montréal) et Audrey Pepin (Université du Québec à Montréal)
Les productions culturelles sont souvent considérées comme de simples objets de divertissement et la science politique a longtemps tardé à les prendre au sérieux. Pourtant, elles diffusent des discours qui participent activement à la construction de nos subjectivités et de nos identités. Ce panel analysera donc la culture Internet et les séries télévisées comme des objets culturels porteurs de la politique au quotidien. Par le biais de présentations issues de diverses disciplines, notamment la sociologie, la science politique et la communication, nous proposons d’utiliser une lentille féministe pour observer comment ces objets culturels diffusent des discours aux multiples orientations politiques.
Certains objets culturels reproduisent en effet des normes sociales oppressives ou des stéréotypes dégradants envers certains groupes marginalisés : on peut penser aux préjugés racistes et sexistes, à la lesbophobie ou à la fétichisation de la sexualité lesbienne, etc. (Hall, 1997). Les objets culturels peuvent aussi participer à la diffusion des discours antiféministes, notamment en mobilisant des tactiques de l’antiféminisme « ordinaire » (Descarries, 2005) ou en reproduisant des discours propres à la crise de la masculinité (Dupuis-Déri, 2018).
À l’inverse, d’autres productions culturelles s’inscrivent dans une perspective de résistance politique. À la manière des contre-publics subalternes de Fraser (2003), elles permettent l’émergence de contre-discours remettant en question les normes dominantes et redéfinissant les identités, les intérêts et les besoins des groupes marginalisés dans une perspective émancipatrice (Muñoz, 1999). Ces contre-discours peuvent provoquer une prise de conscience du caractère politique des expériences quotidiennes et permettre une reprise de pouvoir des personnes opprimées sur les narratifs les concernant (Rosenthal, 1984).
Finalement, d’autres objets culturels se révèlent « inclassables », par leurs discours ambigus où se chevauchent émancipation et reproduction des rapports de pouvoir. Ils s’inscrivent notamment dans des médiums, comme les réseaux de télévision ou les médias sociaux, qui cherchent à rendre profitables les objets culturels qui y sont diffusés. Cet impératif de rentabilité peut forcer certaines productions culturelles militantes à se rapprocher du discours dominant afin de rester accessibles et consommables par de larges publics. Les créateur·rice·s doivent alors naviguer dans ce contexte et trouver un juste milieu pour profiter des opportunités que leur offrent ces plateformes sans trop dénaturer leur message.
Nos communications proposent donc d’observer les diverses façons dont le politique s’immisce dans le quotidien à travers l’analyse d’objets culturels. Nos recherches permettent de constater que les objets culturels sont loin d’être superficiels, mais qu’ils constituent au contraire des espaces où se (re)produisent des discours adoptant des positions politiques très diversifiées. Comme l’expose Stuart Hall, « la culture est un lieu où se jouent et se rejouent des affrontements symboliques et où des idéologies de classe, race, ethnicité, sexualité, nationalité ou genre tentent d’imposer leur hégémonie face à des minoritaires qui luttent discours au poing, traduisant toujours en d’autres langues – forcément hybride et sans origine – les termes selon lesquels ils sont représentés » (Hall, 1997). Ces productions culturelles méritent donc d’être analysées et considérées comme des sujets d’étude sérieux, au même titre que la politique traditionnelle.
Jeudi 30 mai, 13h45 à 15h15
Sophie-Anne Morency (Université du Québec à Montréal), « Crise de la masculinité et antifémisme « ordinaire » : Analyse de la télésérie québécoise Les mecs »
Audrey Pepin (Université du Québec à Montréal), « Représentations féministes de l’intimité sur Instagram : quel potentiel politique ? »
Amy Rhanim (Université du Québec à Montréal), « Construire son identité lesbienne grâce à la culture populaire : l’influence de la série The L Word à Montréal »
Lamia Djemoui (Université du Québec à Montréal), « The Handmaid’s Tale : critique féministe de l’injonction moralisatrice à la honte comme outil de contrôle du corps et de la sexualité féminine »
P.8. Défis de l’administration publique et culture stratégique
Jeudi 30 mai, 13h45 à 15h15
Président et commentateur : Luc Turgeon (Université d’Ottawa)
Maxime Boucher (Université d’Ottawa), Christopher A. Cooper (Université d’Ottawa),
Erin Sullivan, (Université Leiden), « Décision et incertitude : les activités de lobbying et l’attribution des contrats publics au Canada »
Cet article aborde la question des activités de lobbying dans le contexte des processus d’attribution des contrats publics au Canada. Notre approche mobilise la littérature sur les activités de lobbying et l’attribution des contrats publics pour expliquer comment les contrôles administratifs et politiques, ainsi que la nature des institutions parlementaires, peuvent exercer un effet dissuasif ou incitatif sur les stratégies de lobbying des entreprises.
Selon nos propositions théoriques, les rapports de force entre les institutions politiques, de même que les contrôles administratifs du processus d’attribution des contrats publics, créent différentes sources d’incertitude. En retour, la nature et l’intensité de ces sources d’incertitude influencent la décision des entreprises privées et des agences gouvernementales d’investir du temps et des ressources dans des rencontres de lobbying.
Pour vérifier ces hypothèses, notre cadre de recherche utilise des données systématiques sur les activités de lobbying et l’attribution de contrats publics par les ministères du gouvernement canadien afin d’étudier l’impact de la taille – en montant de dollars – des contrats publics sur le volume des activités de lobbying. Le principal objectif de la recherche est de déterminer si l’attribution d’un plus grand montant d’argent en contrats publics est associée à une augmentation du volume de lobbying effectué par les entreprises actives dans ce domaine. En complément, le second objectif est de mesurer l’impact des sources d’incertitudes sur l’intensité des échanges entre les lobbyistes, fonctionnaires et ministres.
Mykola Durman (Université de Kherson et École nationale d’administration publique),
La communication propose d’examiner l’expérience ukrainienne en matière d’administration publique en temps de guerre. Avec nos collègues de l’ENAP et le soutien des Fonds de recherche du Québec (FRQ), nous mettons en œuvre le projet scientifique «L’administration publique pendant et après la guerre», dans lequel nous étudions l’expérience ukrainienne actuelle.
Cette communication vise à présenter les problèmes de l’administration publique ukrainienne et les méthodes utilisées pour les résoudre, qui ont montré leur efficacité dans des conditions de guerre. Ces enjeux comprennent notamment la destruction de mécanismes bien établis de l’administration de l’État (problème de gestion), un changement radical de la structure de l’économie et la perte d’une partie importante des recettes budgétaires (problème économique), ainsi que l’aggravation des problèmes sociaux et démographiques (humain problème de capital).
Afin de résoudre ces problèmes, l’Ukraine a déjà testé la large diffusion des registres électroniques et la mise en œuvre des principes de bonne gouvernance et d’e-gov, l’adoption rapide de lois et de réglementations, qui ont permis de simplifier les processus de l’administration publique, ainsi que le soutien international à l’économie et au système financier de l’Ukraine de la part de partenaires internationaux (y compris du Canada).
Nous souhaitons également décrire d’autres mécanismes qui ont prouvé leur efficacité et proposer un large débat sur les questions qu’ils soulèvent.
Nicolas-François Perron (Université du Québec à Montréal), « La culture stratégique québécoise à l’aune de la guerre en Ukraine »
Dès le début de la guerre en Ukraine en février 2022, les élus de l’Assemblée nationale du Québec ont adopté à l’unanimité une motion de solidarité avec le peuple ukrainien, soulignant « le droit du peuple ukrainien de vivre dans un pays en paix, prospère et souverain » et leur « souhait d’une résolution pacifique basée sur la négociation et le respect du droit international ». Au même moment, dans sa déclaration d’appui au dépôt de cette motion, le député Fontecilla expliquait en nuançant que « le Québec doit être un acteur de la paix et non pas jeter de l’huile sur le feu, s’élancer dans une surenchère militariste ».
La Constitution canadienne est sans équivoque concernant les prérogatives fédérales sur les enjeux de défense. Néanmoins, les élus provinciaux du Québec ne se privent pas d’émettre des avis à l’égard d’enjeux de guerre et de paix. Ceci s’explique en grande partie par la paradiplomatie identitaire du Québec, caractérisée la prise de position « au nom de la spécificité de valeurs ‘pacifiques’ du peuple québécois, respectueux du droit international et du multilatéralisme », plutôt que de motivations souverainistes ou électoralistes (Massie et Lamontagne 2018). La motion du 23 février 2022 traduit une telle volonté d’exprimer la spécificité des attitudes québécoises. Le Bloc québécois a soutenu la fourniture d’armes à l’Ukraine en expliquant que « la nation québécoise est pacifique. La nation ukrainienne est pacifique […] vos gens ont le droit de défendre ceux qu’ils aiment ». Cependant, cette posture a fait l’objet de critiques dans les médias francophones au Québec, certains estimant que l’aide à l’Ukraine constitue une provocation de la part de l’OTAN, un appui à l’impérialisme américain ou contrevient à la légitimité de la sphère d’influence russe en Ukraine.
Les attitudes québécoises à l’égard de la guerre en Ukraine témoignent-elles de la spécificité du pacifisme québécois ou reflètent-elles plutôt un appui à l’impérialisme ? S’appuyant sur la notion de culture stratégique québécoise, cette communication propose une analyse de quatre hypothèses communément avancées afin de comprendre la particularité des attitudes québécoises à l’égard des enjeux de sécurité internationale. Celles-ci portent sur l’anti-impérialisme états-unien et de l’OTAN, le besoin de sécurité russe, la critique de l’État de droit ukrainien et l’antimilitarisme.
La communication repose sur une analyse de contenu de la couverture médiatique au Québec de la guerre en Ukraine entre le 1er novembre 2021 et le 22 février 2024 au sein de médias francophones (Le Devoir, La Presse, le Journal de Québec) et anglophone (Montreal Gazette). De plus, nous examinons la rhétorique des élites des principaux partis politiques québécois durant la même période, ainsi que les sondages nationaux et québécois en ce qui a trait au conflit. L’analyse examine le niveau d’intérêt (saillance), les principaux narratifs (cadres), ainsi que l’ampleur et la nature des divergences entre et au sein de la société québécoise à l’égard de l’invasion russe de l’Ukraine. Ceci permet de contribuer au débat quant à la spécificité et aux caractéristiques propres à la culture stratégique québécoise.
P.9. Une question d’accent? La place de l’accent dans la construction identitaire au Québec et ailleurs
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Responsable: Antoine Bilodeau (Université Concordia)
Malgré d’importantes transformations, les marqueurs visuels telles que la race et l’ethnicité demeurent des signaux déterminant pour définir les termes de l’appartenance et de la construction identitaire au Québec et ailleurs dans le monde. Toutefois, au-delà des marqueurs visuels, des études indiquent que les marqueurs sonores, tel que l’accent, peuvent également être centraux dans la construction identitaire et ainsi constituer une source d’exclusion. Les termes d’appartenance et la construction identitaire ne dépendent donc pas seulement de l’apparence, mais aussi de la façon dont on parle. Ce panel propose une série de papiers explorant le rôle de l’accent dans la construction identitaire au Québec et ailleurs et ses implications pour la relation à l’immigration et la diversité ethnoculturelle. Ce panel est organisé par l’Initiative de recherche sur l’immigration.
Jeudi 30 mai, 15h30 à 17h00
Haroun Aramis et Antoine Bilodeau (Université Concordia). « Parler français ou bien le parler? Le rôle de la langue et de l’accent dans la construction de l’identité québécoise et leurs effets sur les attitudes envers la diversité ethnoculturelle »
Philippe Chassé (Université de Montréal) « Les accents étrangers et régionaux, un obstacle pour les candidats politiques au Québec ? »
Antoine Bilodeau (Université Concordia), « Qui peut parler au nom de « nous » ? Une expérience explorant le rôle de l’ethnicité et de l’accent dans la représentation politique en Écosse »
P.11. Participation publique, marketing politique et démocratie
Président et commentateur : Luc Turgeon (Université d’Ottawa)
Mario Gauthier (Université du Québec en Outaouais) et Louis Simard (Université d’Ottawa) « Participation publique et effets sur la décision : rendre compte des 45 ans de pratiques du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement »
L’urgence climatique, l’impérative transition énergétique et la multiplication des critiques récentes à l’endroit de la démocratie participative posent la question de la pertinence de la participation publique et de ses effets sur la décision. La participation publique : qu’est-ce que ça donne? En d’autres termes, comment mesurer l’influence des dispositifs participatifs sur l’action publique et les grands projets ? Cette présentation propose de rendre compte de la relation entre participation publique et décision autour de l’expérience de 45 ans du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement du Québec (BAPE). À partir de l’analyse des données d’une banque de plus de 400 projets, plusieurs variables sont étudiées afin de cerner ce qui compte dans la fabrique de la décision. Le BAPE est une institution qui fait partie du paysage quotidien des québécoises et québécois. Il est régulièrement réclamé par la société civile et incarne la participation publique. Le BAPE est un organisme public et indépendant qui jouit d’une réputation internationale. Prévu par la Loi sur la qualité de l’Environnement (LQE) et plus précisément dans le cadre de la Procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement, il mène des enquêtes et des audiences publiques en matière d’environnement, d’énergie, d’extraction des ressources et d’aménagement du territoire. Les audiences publiques du BAPE sont non seulement un lieu privilégié d’apprentissage et de mise à jour des connaissances et des pratiques pour l’ensemble des parties prenantes concernant une grande diversité de projets, mais surtout, pour les fins qui nous intéressent, une source d’influence sur la décision et l’action publiques notamment par les recommandations et les avis formulées par les commissions.
Alexandre Fortier-Chouinard (Université de Toronto), « Les effets de la participation des élèves à la gouvernance scolaire sur le développement de leur pensée politique ».
Les études sur la participation des élèves à la prise de décision démocratique indiquent que les conseils d’élèves ont des conséquences bénéfiques sur l’engagement politique des jeunes, mais peuvent aussi renforcer certaines inégalités sociales. Le programme d’Élections Québec Vox populi : ta démocratie à l’école! fournit des ressources pédagogiques et séances de formation aux écoles primaires et secondaires qui s’y inscrivent concernant leurs conseils d’élèves, à condition qu’elles s’engagent à respecter certaines pratiques démocratiques. Ce programme n’a pas fait l’objet d’une étude publique. La présente étude vise à faire état des pratiques démocratiques des écoles participant à Vox populi et de leur potentiel pour réduire les inégalités sociales.
Les données mobilisées incluent des rapports non publiés d’Élections Québec, des données longitudinales sur les caractéristiques socio-démographiques des écoles participantes et des données de sondage sur les perceptions de différents acteurs des pratiques démocratiques dans leur école. Les analyses montrent que les élèves, le personnel enseignant et les directions d’école ont généralement une perception positive du soutien offert aux élèves délégués et de leur capacité à exprimer leurs points de vue, mais jugent que la direction d’école est moins impliquée et empêche parfois la réalisation de projets mis de l’avant par les conseils d’élèves. D’autre part, les écoles participantes ont tendance à être situées en milieu favorisé.
Émilie Foster (Université Carleton), « Marketing malaise au Québec: étude des perceptions citoyennes à l’égard de la couverture médiatique de la politique et du marketing politique »
L’état de la démocratie dans le monde suscite de vives inquiétudes. La perception de crise (Davis 2019) ou de malaise démocratique renvoie à la démocratie représentative, alors que les citoyens vivant dans des régimes démocratiques accordent une forte légitimité à la démocratie en tant que régime politique. Cependant, ils sont plus critiques, voire sceptiques, à l’égard des pratiques démocratiques (Citrin et Stoker 2018; Norris 2022). Ce phénomène porte plusieurs étiquettes: déficit démocratique (Norris 2011), désaffection démocratique (Torcal et Montero 2006; Clarke et al. 2018) et malaise démocratique (Giasson, Lees-Marshment et Marland 2012a; Jacquet 2017; Di Gregorio 2021).
Différentes pistes sont évoquées dans la littérature pour mettre en lumière les origines du malaise démocratique depuis les années 1970. Deux de ces pistes concernent la couverture stratégique axée sur le jeu, souvent négative, de la politique par les médias (Cappella and Jamieson 1997; Shehata 2014; Hopmann, Shehata, and Strömbäck 2015; Zoizner 2018), ainsi que l’invasion du marketing en politique (Giasson, Lees-Marshment, and Marland, 2012; Foster, 2018; 2023).
P.12. Les cadres de la politique en Afrique : entre rituels, jeux et tromperies
Mercredi 29 mai, 9h00 à 10h30
Présidence et commentateur : Philippe Frowd (Université d’Ottawa)
Raoul Tamekou Tsowa (Université de Montréal/Idées-Afrique), « Fondements d’une ethnographie des coulisses du pouvoir en Afrique »
L’objectif de cette communication prospective est de poser les jalons épistémologiques, théoriques et méthodologiques pour la réalisation d’une ethnographie des espaces privés où se joue et se déploie le pouvoir politique au quotidien en Afrique. Sur le plan épistémologique, ce projet entend rompre avec les analyses traditionnelles du politique en Afrique centrées sur les institutions formelles, les discours publics et les « grands hommes ». Il postule la nécessité d’une immersion au cœur des coulisses pour saisir de l’intérieur les rouages concrets de l’exercice du pouvoir. Théoriquement, cette démarche s’inscrit dans le prolongement des travaux de Goffman et de sa « microsociologie » attentive à l’échelle des interactions. Elle mobilise également les concepts de « gouvernance réelle » (De Sardan) et de « normes pratiques » qui offrent des grilles de lecture fécondes du politique en Afrique. Sur le plan méthodologique, l’ethnographie des coulisses implique un travail d’observation directe au plus près des acteurs, dans une posture d’immersion prolongée au cœur même des espaces du pouvoir (bureaux, domiciles, réunions officieuses…). La communication discutera des défis d’accès à ces terrains et des stratégies permettant de les appréhender au plus près, dans une démarche réflexive et éthique indispensable pour ce type d’enquête sensible. En somme, à travers cette exploration des conditions d’analyse des coulisses du pouvoir africain, est proposé un agenda de recherche, à même d’ouvrir de nouveaux « fronts de débat » dans le champ des études politiques africanistes.
Jean Roger Abessolo Nguema (Université de Douala/Idées-Afrique, « Le concept goffmanien de « cadre-analyse » à l’épreuve de la science politique africaniste »
Erving Goffman fait autorité dans l’analyse politique contemporaine, et d’une manière notable, dans la compréhension fine de l’interaction sociale, de la communication et de la construction de l’identité sociale en contexte de stigmatisation. Le concept de « cadre-analyse« de l’expérience sociale forgé par Goffman, et privilégié (parfois sans aucun effort de déconstruction) par ceux qui se réclament de la pensée goffmanienne, est heuristiquement porteur pour cerner les rituels, les jeux et les tromperies dans des contextes fort variés. Il y aurait certainement une certaine affinité entre ce concept et les contributions à la problématique de la démocratie en Afrique, des tenants de la politique par le bas et d’autres tendances concurrentes (subsumés sous le vocable de l’analyse politique africaniste, pour des besoins de commodité). Mais, le concept de « cadre-analyse« est peu ou prou utilisé dans l’analyse politique africaniste. Cependant, de manière conceptuelle, la mise à l’épreuve du concept de « cadre-analyse« avec les contributions à la problématique de la démocratie (au triple sens d’institution juridique, de pratique et de représentation sociales) permettrait d’envisager deux pistes de réflexion, qui constituent autant de parties du texte final à présenter. Une telle mise à l’épreuve atteste la pertinence du concept de « cadre-analyse« en Afrique, indépendamment de la spécificité des terrains et objets africains par rapport aux terrains et objets de son contexte d’émergence, d’une part. Elle facilite un amendement partiel, tout en enrichissant ledit concept de nouvelles variables opérationnelles.
Jean Emmanuel Minko A Bitegni (Université de Maroua/ CEGD) Saisir les trajectoires d’un État-pouvoir. « Se miniaturiser dans l’hôtel pour mieux surveiller et gouverner le territoire à l’aune de la transition démocratique au Cameroun. »
À la considération mbembeienne de la souveraineté comme « le pouvoir et la capacité de dire qui pourra vivre et qui doit mourir », l’on peut y voir la capacité de l’État à pénétrer une nanostructure comme l’hôtel dans l’optique de surveiller son territoire dans un contexte de transition démocratique. Avril 1991, le Cameroun est embarqué dans des technologies sociopolitiques, qui sont l’expression du vent de la démocratie, venu de l’Est, à savoir les villes mortes, les émeutes etc. Ces dispositifs politico-militarisés à cause du contexte qui l’exigeait, ont en retour fait face à des subjectivations populaires, laissant transparaître l’émergence des rapports d’inimitié entre l’État-société. L’hôtel Lacarde accueillait toutes les réunions et les conférences des partis politiques de l’opposition, qui exigeaient la tenue d’une conférence tripartite nationale (Pouvoirs publics, oppositions et société civile) à Douala, est incendié criminellement. Cet hôtel, appartenant à l’homme d’affaires Kadji Defosso, logeait en cette période d’état d’urgence l’un des leaders de l’aile dur du mouvement contestataire du régime Biya, à la personne Djeukap Kamegni. Une telle brutalité au sens d’Achille Mbembe a contribué à la toxicité démocratique, et finissant par l’acidification de la démocratie en elle-même. Une réalité de l’urgence qui conduit à l’usage de l’hôtel comme une technologie politique de gouvernement territorial, aux enjeux de pouvoir et à une autre forme de pouvoir politique. À partir de cette réalité, l’hôtel, cette nanostructure, va connaître une pénétration libérale au sens de Luc Sindjoun du politique et de la politique. Au Cameroun, il est pour le politique, un lieu de circulation du pouvoir politique, et encore un champ politique, où s’affrontent rudement et durement les différentes élites politiques et tendances politiques. Il revient de faire le décryptage de la miniaturisation de l’État au Cameroun à l’ère de la transition démocratique. L’hôtel est un dispositif politique, qui fabrique une imagerie et une liturgie de l’activité politique au Cameroun. Il joue un rôle dans la lecture, l’analyse et l’architecture politique de l’État pouvoir au Cameroun. Ce dernier par ces subjectivités et subjectivations nécropolitiques entre l’État et société, est une unité de production politique qui se reconfigure à travers une batterie de mécanismes, de dispositifs, d’activités et d’appareils traditionnels et émergents afin de faire face aux nouvelles formes d’épreuves dans la conservation du pouvoir-avec l’idée du pouvoir comme celui mutant d’Achille Mbembe. Des subjectivations qui produiront à la longue des relations de tensions et l’émergence des rapports d’inimitié selon Achille Mbembe. Par la piste d’une socio-anthropologie politique de la domination histoire du Cameroun, cette réflexion s’appuie sur des éléments documentaires, explicatifs et empiriques, centrés sur les récits de vie et les témoignages issus des différentes entrevues à la fois avec des acteurs hôteliers, administratifs et politiques, pour expliquer l’expression d’un virilisme dans la classe politique et la société civile à l’aune de la transition démocratique et de l’instrumentation de la sempiternelle question de l’ethnicité et du néo-autoritarisme au Cameroun.
Georges Mulumbeni (Université de Lubumbashi République démocratique du Congo), « La démocratie dans les relations Internationales africaines contemporaines : une analyse des aspects formels et procéduraux »
Le sommet France-Afrique de la Baule du 20 juin 1990 peut être considéré comme une époque charnière entre deux types d’organisation politique et institutionnelle en Afrique ; celui de l’Afrique dictatoriale symbolisée par les partis uniques et des régimes de pouvoir sans partage et celui à la manière de l’occident, caractérisée par la démocratisation des institutions inspirée par les conférences nationales et par l’organisation des élections multipartites. Il se fait cependant que depuis la fin de la guerre froide, le continent noir tente d’évoluer sur le chantier tracé par l’occident en organisant difficilement les élections qui, pourtant, se veulent ouvertes, transparentes, libres et démocratiques. En effet, si par-ci c’est la convocation desdites élections qui pose un problème car nombreux sont ces pays qui ne respectent pas le cycle électoral tel que prévu par leur constitution ou la loi électorale ; par-là c’est le déroulement et l’issu desdites élections qui constituent un casse-tête, non seulement pour les dirigeants africains, mais aussi pour tout analyste qui tenterait d’étudier et chercherait à comprendre la réalité démocratie par les organisations des élections en Afrique. D’où des revendications portant sur l’organisation des élections ou leur déroulement et sur leur issu qui constituent la source principale des désaccords entre les tenants du pouvoir et l’opposition. Depuis la fin des années 1990 trois, quatre voir même plus d’élections générales ou spécifiques s’organisent dans les pays africains avec le même scénario, celui des désaccords à l’organisation et contestations des résultats : jamais les élections ne se sont déroulées à la régulière ; ce sont les plus forts qui finissent par s’imposer.
Dans les relations internationales africaines, il s’est installé une nouvelle forme de la gouvernance celle du retour des militaires au pouvoir après surtout après l’organisation des élections controversées et contestées dans certains pays. Aujourd’hui est-il encore possible de penser une démocratie en Afrique au-delà des élections ? Si oui comment l’Afrique peut-elle évoluer en dehors des certaines valeurs considérées comme universelles ? Nous allons dans le cadre de la présente recherche interroger les forces et les faiblesses des aspects formels et procéduraux des élections telles observées dans les pays de l’espace politique de l’Afrique.
P.13. Repenser la politique africaine
Mercredi 29 mai, 13h45 à 15h15
Présidence et discusant.e. : Érick Duchesne (Université Laval)
Zanfongnon Serge Eric Migan (Université du Québec à Montréal), « Pratique et utilité de l’évaluation des politiques publiques de lutte contre la pauvreté en Afrique francophone subsaharienne : cas des politiques de réduction de la pauvreté »
Deux raisons importantes justifient l’évaluation des programmes d’ajustement structurels et des politiques publiques de lutte contre la pauvreté en Afrique francophone subsaharienne. La première a trait à l’ampleur des défis à relever en matière de réduction de l’ (extrême) pauvreté. La deuxième est que l’aide dans ces États africains et son maintien sont conditionnés par l’évaluation de ces programmes et politiques mis en œuvre grâce aux bailleurs que sont la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International. Malheureusement, la réponse aux politiques néolibérales de ces bailleurs se traduit également à travers leur discours dans les processus d’évaluation de ces programmes. S’intéresser donc à l’évaluation de ces programmes néolibéraux permet de montrer que l’acteur local qu’est le gouvernement a une influence limitée dans le processus évaluatif. De ce fait, nous orientons nos travaux vers la question principale suivante : Comment les discours idéologiques (néolibéralisme) de ces bailleurs (BM et FMI) influencent-ils le processus évaluatif des programmes et politiques de lutte contre la pauvreté en Afrique francophone subsaharienne ?
En nous intéressant à la communauté épistémique des évaluateurs, et à travers la comparaison entre l’étude de cas du Bénin, du Cameroun et du Burundi, l’objectif de notre analyse vise à démontrer comment le discours néolibéral de la Banque mondiale et du FMI se maintient lors du processus évaluatif de ces programmes par le biais de leurs évaluateurs fonctionnaires. À cet effet, nous allons réaliser une revue documentaire incluant l’analyse du contexte institutionnel, et du processus de réalisation des évaluations.
Nicolas Klingelschmitt (Université du Québec à Montréal, « Quelle autonomie pour les solutions des institutions multilatérales africaines aux problèmes sécuritaires africains ? »
Les organisations internationales africaines (Tcheuwa, 2022) renforcent depuis le début du XXIe siècle la structure et les mécanismes d’action de l’architecture de paix et de sécurité africaine (APSA) (Döring et al., 2021) dans la lignée idéologique des pères fondateurs de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) du groupe de Casablanca prônant un panafricanisme institutionnalisé notamment dans le domaine de la sécurité (Boukari-Yabara, 2014 ; Tcheuwa, 2022), à l’époque resté lettre morte. Cet objectif et le narratif qui l’accompagne ont réémergé après l’échec des opérations de paix menées par l’ONU sur le continent dans les années 1990. Parallèlement, l’acquisition de compétences par les Communautés Économiques Régionales (CER) dans les affaires de paix et de sécurité, notamment à travers les interventions de la CEDEAO au Libéria et en Sierra Leone durant la même décennie, a également participé à sa concrétisation. Depuis 2002, l’Union Africaine (UA), dotée à la fois d’un Conseil de Paix et de Sécurité et d’un département des « affaires politiques, paix et sécurité » au sein de sa commission participe à l’échelle continentale à une transition de la non-interférence du temps de l’OUA à une non-indifférence. Cette volonté est véhiculée par des valeurs de solidarité entre États du continent partagées au sein des communautés de pratique (Adler et Pouliot, 2011) constituées par les diplomates et fonctionnaires internationaux africains évoluant au sein de l’APSA (Glas, 2018). Les « solutions africaines aux problèmes africains » invoquées par ces communautés de pratique sont-ils synonymes d’une autonomie de la sécurité collective africaine ?
Un tel objectif implique une souveraineté décisionnelle des acteurs Étatiques et institutionnels africains qu’ils composent dans la gestion des enjeux de paix et de sécurité sur le continent (Muchie et al., 2017). Cette souveraineté décisionnelle doit néanmoins nécessairement s’accompagner d’une autonomie financière.
A ce titre, le financement de l’APSA constitue une problématique à laquelle se consacre cette communication, « l’indépendance budgétaire » des institutions de l’APSA vis-à-vis de partenaires internationaux étant pour l’instant loin d’être acquise (Stapel et Söderbaum, 2019). A l’inverse, nos recherches, que cette communication présente, montrent que les budgets des CER et des organes de l’Union Africaine (UA) composant l’APSA (Engel, 2021) reposent en grande partie sur le soutien financier de partenaires extérieurs au continent, en particulier de l’Union Européenne (UE) et des États européens.
Sur le plan méthodologique, notre recherche est issue d’une analyse de rapports d’organisations régionales et d’entretiens semi-dirigés avec des diplomates et fonctionnaires évoluant au sein de l’APSA réalisés en 2023 et 2024. Notre recherche explore à la fois le point de vue de partenaires exogènes de l’APSA, notamment d’États membres de l’UE, celui de fonctionnaires internationaux évoluant au sein de différents organes de l’UA chargés des affaires de paix et de sécurité, et celui de diplomates en exercice représentant des CER auprès de l’UA.
La communication mettra en exergue le paradoxe entre le narratif flou des « solutions africaines aux problèmes africains » (Yohannes et Gebresenbet, 2021) et la dépendance des institutions de l’APSA à des financements exogènes. Elle montrera également l’étendue de la coopération entre l’UE et l’UA et relèvera les mécanismes visant à préserver une gestion afrocentrée de l’APSA.
Version PDF du Programme
Version PDF du programme
Il est possible de le télécharger le programme final en version pdf en cliquant ici.