ÉVÉNEMENTS SPÉCIAUX
Mot de bienvenue
8h00 | Mot de bienvenue du Président de la SQSP, Serge Granger, Université de Sherbrooke
8h05 | Mot de bienvenue de Jean-Pierre Perreault, Vice-recteur à la recherche et aux études supérieures, Université de Sherbrooke
8h10 | Mot de bienvenue d’Anick Lessard, Doyenne de la Faculté des lettres et des sciences humaines, Université de Sherbrooke
8h15 | Mot de bienvenue d’Isabelle Lacroix, Directrice de l’École de politique appliquée, Université de Sherbrooke
8h20 | Informations techniques sur le déroulement du Congrès
Conférence principale: Christine Labrie
Christine Labrie, députée de Sherbrooke, Québec Solidaire
Diviser pour mieux régner : observations empiriques sur l’exercice du pouvoir de la CAQ
Description :
Derrière les multiples appels à la solidarité du gouvernement Legault, l’exercice du pouvoir de la CAQ laisse régulièrement entrevoir une volonté de diviser pour mieux régner. Que ce soit à travers la gestion de la crise sanitaire, les négociations du secteur public et même le financement du communautaire, de nombreuses décisions sont perçues comme des tentatives de désolidariser la communauté et les mouvements sociaux. Nous laisserons-nous berner?
Assemblée générale annuelle de la SQSP
L’Assemblée générale se déroule chaque année durant le Congrès annuel de la Société québécoise de science politique et convoque tous les membres de la SQSP.
Concours « Ma thèse en 3 minutes »
Participant-es
TABLES RONDES
TR01. La réforme du mode de scrutin au Québec: Analyse du projet de loi n°39 et perspectives référendaires
Responsables: Henry Milner, Université de Montréal (henry.milner@umontreal.ca) et Julien Verville, Cégep de Sorel-Tracy (julien.verville@cegepst.qc.ca)
Les modes de scrutin sont au cœur de la démocratie représentative. Ils matérialisent l’expression de la volonté populaire et définissent les rapports de pouvoir entre partis politiques pour la durée d’un mandat. Pour plusieurs citoyens, les modes de scrutin demeurent toutefois une institution invisible, dont ils connaissent peu les mécanismes. L’actuel débat sur la réforme du scrutin majoritaire uninominal à un tour (SMUT) donne l’occasion aux Québécoises et Québécois de se réapproprier cette institution parlementaire et d’envisager un nouveau mode de scrutin aux élections provinciales. Depuis les années 1960, l’idée de réformer le mode de scrutin a progressé au sein de la société québécoise. Des résultats électoraux ont produit à l’occasion de fortes distorsions électorales et la force de ces anomalies (inversion de rang et majorité écrasante) fut suffisamment importante pour mettre à l’ordre du jour la réforme du mode de scrutin au sein des partis, mais elles ne forcèrent pas les acteurs politiques à agir, ni n’ont enflammé l’opinion publique. Au cours de cette période, quatre gouvernements québécois ont promis qu’ils allaient réformer le SMUT, mais n’ont finalement pas agi sur la question. Aujourd’hui, le nouveau gouvernement de la Coalition avenir Québec s’est engagé à maintes occasions à réformer le mode de scrutin. En septembre 2019, il a présenté son projet de loi n°39 (Loi établissant un nouveau mode de scrutin) et a tenu par la suite des consultations particulières et des audiences publiques. Avec la Covid-19, l’échéancier gouvernemental a été reporté et l’étude détaillée du projet de loi, qui devait normalement reprendre au début de 2021, n’avait toujours pas été entamée à la Commission des institutions, et ce, en date de mars 2021. Dans le cadre du 58e congrès annuel de la SQSP, la présente table-ronde se veut donc une discussion autour des multiples enjeux entourant le débat sur la réforme du mode de scrutin dans le contexte québécois. Les différents participants auront l’occasion de se pencher sur plusieurs questions :
- Quelles sont les modalités du mode de scrutin mixte avec compensation régionale contenues dans le projet de loi n°39 et quels sont les effets envisageables pour le Québec ?
- Quelles sont les règles envisageables concernant le référendum sur la réforme du mode de scrutin, prévu pour octobre 2022 ?
- Que peut-on retenir des précédentes campagnes référendaires canadiennes sur la réforme du mode de scrutin ?
Participant-es :
- Ruth Dassonneville (dassonneville@umontreal.ca)
- Louis Massicotte (massicotte.3@ulaval.ca)
- Jean-Pierre Derriennic (Jean-Pierre.Derriennic@pol.ulaval.ca)
- Brian Tanguay (btanguay@wlu.ca)
TR02. Les clivages dans les populismes d’hier à aujourd’hui: les ambiguïtés d’une parole attribuée au peuple
Responsable: France Giroux, Collège Montmorency et UQAM (france.giroux@hotmail.com)
Le populisme est un phénomène culturel et politique polysémique dont le caractère polymorphe a pour effet de nourrir des inquiétudes reliées aux clivages politiques et à la polarisation. Une série de questions cruciales surgit : comment définir le populisme actuel comparé à celui des « Narodniki » dans l’Empire des tsars Nicolas I et Alexandre II ? Peut-on concevoir cette forme contemporaine du populisme comme un retour des années 1930 ou y a-t-il une divergence avec le fascisme dans le rapport à la démocratie ? Faut-il, en revanche, théoriser un populisme de gauche ? Si l’on ne veut pas d’une antidémocratie, faut-il cesser de priver de toute légitimité une protestation qui vient de la rue et l’écouter au-delà des clivages ?
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TR02.1
Communications :
- André Mineau, UQAR (andre_mineau@uqar.ca) : « Les origines du populisme dans le contexte de la Russie du XIXe siècle »
Le but de cette communication est de réfléchir sur les origines du populisme, dans le contexte de la Russie en particulier, pour mettre en lumière les liens qui relient le populisme aux grands courants idéologiques dont nous sommes aujourd’hui les héritiers. Il s’agira de jeter un peu d’éclairage sur les relations entre le libéralisme, la philosophie des Lumières et les populismes de gauche, au tournant du XXe siècle. On pourra voir ensuite les rapports et les similitudes, le cas échéant, avec l’époque actuelle.
- Frédéric Boily, Université de l’Alberta (fboily@ualberta.ca) : « Le populisme et le retour aux années trente : les limites d’une comparaison »
Cette communication questionne la pertinence des thèses qui cherchent à interpréter le populisme comme un retour des années 1930. Il affirme que les fascismes possèdent un caractère spécifique qui les rend irréductibles aux formes contemporaines du populisme. Il identifie le rapport à la démocratie comme étant le lieu d’une divergence fondamentale entre les deux courants. Les fascismes voulaient ultimement abolir la démocratie au profit d’une expérience totalitaire de régénération de l’homme, alors que les populismes d’aujourd’hui cherchent à se présenter comme « démocratiques », en prétendant rendre au peuple une parole qu’on lui aurait confisquée.
- Danièle Letocha, Université d’Ottawa (dletocha@uottawa.ca) : « Un populisme de gauche ? »
Cette communication s’intéresse au populisme dit « de gauche », afin de voir « s’il peut exister une telle pratique politique dans les démocraties libérales où nous vivons ». Elle passe en revue les différentes variations autour du concept de peuple ; elle part de l’Antiquité, tout en rappelant que les auteurs anciens insistaient déjà sur les dangers inhérents au gouvernement du demos. La conférencière présente les mouvements qui, au Canada et au Québec, pouvaient être dits populistes. Elle formule ensuite une critique de la thèse de Chantal Mouffe ; il s’agit de Pour un populisme de gauche (2018), essai qui définit et promeut une réplique à l’efficacité du populisme de droite qu’on voit progresser dans plusieurs pays européens ; Chantal Mouffe y affirme que seul le populisme de gauche pourra dépasser le marxisme devenu anachronique.
- France Giroux, Collège Montmorency et UQAM (france.giroux@hotmail.com) : « Pourquoi il faut écouter la rue au-delà des clivages politiques »
Cette communication examine l’amoindrissement du dialogue, voire la surdité de la classe politique à la parole des citoyens. Or, le dialogue entre les citoyens et la puissance publique relève des exigences démocratiques : il est à la base du contrat social sous lequel nous avons librement consenti de vivre. Nous, les citoyens, nous écoutons le gouvernement ne serait-ce que par l’obéissance aux lois qu’il promulgue. En contrepartie, le gouvernement, lui aussi, doit nous écouter. Autrement il encourt le risque de favoriser la montée de la « droite populiste » : cela s’est produit notamment en France durant l’effervescence du mouvement des Gilets jaunes dont la tendance était principalement, mais non pas exclusivement, à droite. Le soulèvement dans toute la France de ces militants qui sont aussi des citoyens –ils chantent souvent La Marseillaise– dépasse vite le seuil des revendications de départ : ces citoyens visent à transformer la nation démocratique dont ils ne comprennent plus la marche dans le contexte de la mondialisation. Sa problématique se formule comme suit : pourquoi faut-il écouter et comprendre ce peuple rassemblé dans la rue, capable de créer et de mettre en place, en occupant massivement l’espace public, un processus partagé par une collectivité ? Au-delà des différences, se constitue-t-il une identité collective capable de participation ou de représentation dans certaines instances de la société ?
17 mai 2021 @ 13h30-15h00
TR03. Les apories des politiques autochtones au Canada: quelles perspectives?
Responsable: Sabrina Bourgeois, Université Laval (sabrina.bourgeois.1@ulaval.ca)
Descriptif de la table-ronde :
Mis à l’écart lors de la création du Canada, les Autochtones se sont aujourd’hui imposés comme des acteurs incontournables de la politique canadienne. Au cours des dernières décennies, leurs mobilisations politiques et sociales leur ont permis d’obtenir des avancées importantes notamment en ce qui concerne leurs droits fondamentaux et ancestraux. Ils ont obtenu le droit de vote, ont reçu des excuses officielles et des compensations financières pour les pensionnats, et ont parfois signé des traités modernes en vue d’acquérir une plus grande autonomie. Cependant, pour beaucoup, ces avancées semblent encore insuffisantes et peinent à renverser les rapports de pouvoir à leur avantage. La Loi sur les Indiens suscite toujours autant de débats, le statut juridique des Premières Nations est toujours celui de la tutelle et les écarts socio-économiques entre les nations autochtones et les canadiens sont encore très grands. Les enjeux, défis et contradictions des politiques autochtones questionnent profondément la dynamique coloniale de l’État canadien, mais aussi les interactions complexes et les nombreux clivages entre Autochtones et allochtones dans une période où l’on parle pourtant de réconciliation.
Dans ce contexte, la parution récente de l’ouvrage de Thierry Rodon, « les apories des politiques autochtones au Canada », est un événement notable et inédit dans la littérature académique québécoise et canadienne, tant par le caractère exhaustif des sujets traités que par sa portée pédagogique et critique. Cet atelier propose ainsi de partir de cette ouvrage afin d’interroger les transformations contemporaines des relations entre Autochtones, gouvernements provinciaux et fédéral, et la société canadienne dans un sens large. À l’heure où les rapports de diverses commissions et les décisions juridiques mettent de l’avant les inégalités et les discriminations, en les rendant plus visibles que jamais par les médias en ligne et les réseaux sociaux, la parution du livre de Thierry Rodon nous permet de croiser les perspectives de leaders autochtones et de politologues. Est-ce qu’un réel changement de paradigme dans les relations avec les Autochtones est possible? Par quels processus institutionnels, politiques et culturels ces marginalisations socio-économiques se maintiennent-elles, et comment envisager leur dépassement? Quelles perspectives peuvent nous offrir les leaders autochtones sur les défis et opportunités auxquelles sont confrontées leurs communautés? Quels sont les axes de recherche en études autochtones à prioriser en science politique de nos jours?
Participant-es :
- Michèle Audette, Conseillère principale en matière de réconciliation et d’éducation autochtone à l’université Laval
- Hélène Boivin, présidente de la commission Tipelimitishun
- Christa Scholtz, professeure en science politique à l’Université McGill (christa.scholtz@mcgill.ca)
- Simon Dabin, doctorant en science politique à l’UdeM (simon.dabin@umontreal.ca)
- Thierry Rodon, Université Laval (thierry.rodon@pol.ulaval.ca)
TR04. Mobilisations et stratégies d’action des mouvements antiféministes de droite et d’extrême-droite
Responsables: Héloïse Michaud, UQAM (michaud.heloise@courrier.uqam.ca), Véronique Pronovost, UQAM (vpronovost@gmail.com) et Elena Waldispuehl, Université de Montréal (waldispuehl@gmail.com)
En s’intéressant aux continuités et aux ruptures entre les espaces en ligne et hors ligne, cet atelier vise à comprendre les processus d’émergence, de développement et de reproduction des mouvements antiféministes de droite et d’extrême droite. Ces derniers se cristallisent autour des mobilisations (néo)conservatrices, nationalistes et masculinistes dans un contexte « d’intersectionnalité des haines » (Bard, 2019) et de « matrice des oppressions multiples » (Hill Collins, 1990). Entre « postféminisme », crise de la masculinité (Dupuis-Déri, 2012; 2018) et doctrine de la « pilule rouge » pour sortir de « l’illusion du féminisme » (Ging, 2017), plusieurs acteurs antiféministes considèrent le mouvement(s) féministe(s) comme la cause de nouvelles souffrances pour les hommes (Blais et Dupuis-Déri, 2015; Lamoureux et Dupuis-Déri, 2015). Ils et elles insinuent que l’égalité entre les genres est atteinte, tout en soutenant que les violences contre les femmes sont d’abord et avant tout un problème individuel. Ces discours invalident ainsi les présupposés féministes (Moraga, 1983; Crenshaw, 1989; Collins, 1990) qui argumentent que les violences sont systémiques.
Les mouvements de droite et d’extrême droite, et la montée des discours de l’alt-right avec leur rhétorique complotiste en ligne (Nagle, 2017), participent-ils à une transformation des différentes formes d’antiféminisme? Font-elles émerger de nouvelles formes de militantisme? Peut-on réellement parler de l’émergence de nouvelles pratiques ou d’une transformation des pratiques existantes? Quelles sont les processus de mobilisation en ligne et hors ligne pour les mouvements antiféministes de droite et d’extrême droite? Si plusieurs chercheur.e.s avancent qu’il importe de sortir d’une dynamique entre mouvement et contre-mouvement (Avanza, 2018; 2019), il est néanmoins nécessaire de comprendre les stratégies d’action et le répertoire tactique des antiféministes (Bard, 2019). Cela est d’autant plus important de mesurer et comprendre les conséquences plurielles de ces tactiques et stratégies sur le(s) mouvement(s) féministe(s) dans un contexte social et politique où les droits des femmes* sont de plus en plus menacés à l’échelle internationale. Nous pouvons notamment penser à la remise en cause de l’avortement, des droits des personnes LGBTQ+, à l’islamophobie par des gouvernements autoritaires et des groupes conservateurs et réactionnaires. Dans le cadre de cet atelier, nous nous intéressons donc à la mobilisation antiféministe de la droite et de l’extrême droite et plus particulièrement aux motivations de leurs membres, à leurs intérêts, à leur processus d’institutionnalisation ainsi qu’aux stratégies déployées. Quelles sont les stratégies des acteurs antiféministes ? Quels sont les effets de la mobilisation des discours antiféministes et masculinistes de plus en plus structurés en ligne autour de la manosphère (Jane, 2017)? Comment les antiféminismes s’imbriquent-ils avec d’autres systèmes d’oppression comme le racisme, le classisme, la LGBTQI+phobie ou l’islamophobie?
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TR04.1
Communications :
- Denis Carlier, UQAM (denis.carlier@gmail.com) : « Les cercles concentriques de l’antiféminisme : Essai de typologie »
L’internationalisation et l’interdisciplinarisation de la recherche francophone sur l’antiféminisme favorisent depuis plusieurs années la recherche d’un terrain commun à même de rassembler la diversité des approches existantes, portant notamment sur la logique d’action ou les réseaux militants du contremouvement, sur les stratégies rhétoriques ou la fonction politique du discours, etc. En 2019, Christine Bard proposait ainsi de définir l’antiféminisme comme un « contremouvement de pensée et d’action qui s’oppose au féminisme ». Outre cette dynamique de rapprochement, le dynamisme du champ de recherche et le croisement renouvelé de perspectives diverses forcent également à la réévaluation de postulats et de notions jusqu’à présent peu discutées. David Paternotte questionne par exemple les limites du concept de ressac (backlash). De même, Martina Avanza invite à considérer les dynamiques autonomes et l’hétérogénéité interne aux contremouvements plutôt que de les analyser par opposition aux mouvements d’auto-émancipation. Enfin, la notion d’« intersectionnalité des haines » proposée par Christine Bard soulève de nombreux questionnements sur la manière adéquate de caractériser les formes actuelles d’antiféminisme. Ma présentation se situe dans le prolongement de cet effort, en proposant un modèle développé aux fins d’une recherche de doctorat en cours à partir des travaux sur l’antisémitisme des historiens Michael R. Marrus et Robert O. Paxton. Je distinguerai ainsi l’antiféminisme militant de l’antiféminisme d’opinion et de l’antiféminisme diffus, qui fonctionnent de manière interdépendante mais aussi relativement aux théories et mouvements sociaux auxquels il s’oppose. L’objectif de ma présentation sera de défendre la productivité heuristique de ce modèle en trois cercles concentriques, en m’attardant en particulier sur l’apport d’une analyse de l’antiféminisme diffus à l’étude des contremouvements antiféministes. En dépit d’un travail théorique de la part de Francine Descarries autour de l’antiféminisme ordinaire, la spécificité du caractère diffus d’un certain nombre de manifestations de l’antiféminisme tarde à se trouver théorisée, avec une banalité du discours de haine surtout décrite en termes de moindre intensité, par opposition à un idéal-type militant. À partir des réflexions de Philomena Essed sur le « racisme quotidien », je proposerai d’aborder cette ordinarité comme expression de représentations antiféministes incorporées par le processus de socialisation. Je proposerai ensuite de considérer l’existence de ces représentations comme l’une des conditions de possibilité de l’activisme antiféministe. Comme je le justifierai, la formulation d’une justification d’apparence altruiste au discours et aux pratiques antiféministes apparait dans cette hypothèse nécessaire à la défense d’un projet haineux : à l’échelle subjective, elle est d’une part nécessaire pour rationaliser la défense des privilèges, tandis qu’à l’échelle normative elle lui fournit une légitimité au nom de la recherche du bien commun.
- Danielle Coenga-Oliveira, UQAM (coenga_oliveira.danielle@courrier.uqam.ca) : « Antiféminismes « anti-genre » et démocratie au Brésil »
En 2018, le Brésil célébra les trente ans de la Constitution fédérale en vigueur. La Charte nommée symboliquement de Constitution citoyenne marqua le rétablissement des droits politiques et sociaux enlevés par les militaires dans la longue période de dictature au pays (1964-1985). Ce document représente l’instauration du Brésil comme un État démocratique du droit dans lequel toutes les personnes sont égales devant la loi (Brasil, 1988). Les commémorations de la trentaine de la démocratie ont néanmoins été affectées par essor d’une droite conservatrice. Cela accompagne et donne force à une vague ouvertement antiféministe « anti-genre » qui prendre une place importante dans le pays. Dans ce contexte, les discours « anti-genre », comme une colle symbolique (Kováts et Põim, 2015) qui rassemblait les oppositions aux droits des femmes et des personnes LGBTQI+, deviennent un outil politique à l’intérieur du Congrès national. En 2014, « l’idéologie du genre » était l’ennemi principal des parlementaires religieux conservateurs (liés, entre autres, aux Fronts parlementaires pentecôtistes, catholique apostolique romain et de la famille). Cela était explicite lors de la définition du Plan national d’éducation – une loi définissant les lignes directrices de l’éducation dans la prochaine décennie. Organisé·e·s, ces parlementaires ont réussi à en enlever toutes les propositions politiques visant à promouvoir l’égalité de genre et raciale et la diversité d’orientations sexuelles. Les discours défendus par cette droite, toujours existante, mais en ascension, considèrent les droits humains, les droits des femmes et des personnes non-hétérosexuelles et les actions pour promouvoir la non-discrimination des groupes sociaux subalternisés comme une idéologie de gauche qui doit être combattue (Miguel, 2016 ; Abreu et Allegretti, 2016 ; Fernandes, 2017 ; Miskolci et Campana, 2017). En 2018, le discours contre « l’idéologie de genre » eut aussi une place importante dans la campagne présidentielle du candidat conservateur Jair Bolsonaro. Aujourd’hui, menant un programme ouvertement antiféministe « anti-genre », ce gouvernement instaure un contexte politique qui devient une réelle menace à la protection et à la promotion des droits des femmes et des personnes LGBTQI+ dans le pays (Compagnon, 2018). Cette présentation propose, dans un premier moment, un lien théorique entre les études des antiféminismes et celles de l’anti-genderisme pour comprendre l’antiféminisme « anti-genre » dans l’État brésilien. Ensuite, les actions de l’actuel gouvernement brésilien pour faire avancer l’agenda antiféministe « anti-genre » seront exposées. Finalement, une analyse de l’utilisation des moyens établis par la démocratie (soit à travers les projets de loi, les décrets présidentiels et des actes ministériels) pour la mise en place d’un antiféminisme d’État sera soulignée.
- Héloïse Michaud, UQAM (michaud.heloise@courrier.uqam.ca) et Véronique Pronovost, UQAM (vpronovost@gmail.com) : « Cartographie exploratoire des mobilisations antiféministes de l’extrême-droite dans le Québec contemporain »
Au cours de l’année 2019-2020, une recherche exploratoire a été menée par une équipe de chercheures du Chantier sur l’antiféminisme du Réseau québécois en études féministes (RéQEF). L’objectif principal de cette recherche était de réaliser une cartographie de l’extrême-droite québécoise. Plus précisément, l’équipe s’est intéressée aux articulations entre extrême-droite et antiféminisme. Dans le cadre de cette présentation, nous souhaitons observer comment la présence de mouvements sociaux alliés (au moins au sujet de certaines thématiques sociopolitiques) parviennent à s’influencer, à s’imbriquer, voire à se co-construire. Dès lors, nous nous poserons la question suivante : En quoi les mouvements d’extrême-droite actuels participent-ils d’une certaine restructuration des mouvements antiféministes québécois? La thèse que nous défendrons trouve origine dans les concepts de “matrice de la domination” de la théoricienne afro-féministe Patricia Hill Collins (1990) et d’“intersectionnalité des haines” de l’historienne Christine Bard (2019). Si le premier concept visait à souligner l’imbrication des oppressions multiples, que les théories de l’intersectionnalité (Crenshaw, 1989) permettaient d’analyser, le second montre que les haines sont également conjuguées et qu’il importe en ce sens de les analyser dans leur imbrication. Ainsi, cette communication vise à tracer une esquisse des croisements et des imbrications idéologiques propres au triangle constitué par l’extrême-droite, le conservatisme et l’antiféminisme. Notre recherche étant à finalité exploratoire, notre analyse sera limitée : nous examinerons les grandes tendances mais nous ne pourrons explorer les tenants et aboutissants de tels croisement en profondeur. Cependant, nous nous questionnerons sur les effets des mouvements et individus de l’extrême-droite au Québec sur la restructuration du mouvement antiféministe contemporain, qui pour avancer, doit demeurer masqué. Nous verrons en quoi ces mouvements peuvent se rejoindre dans une « intersectionnalité des haines ». Pour ce faire, dans un premier temps, nous mettrons en exergue quelques éléments rhétoriques observés, en lien avec l’antiféminisme, portés et diffusés par l’extrême-droite sur leurs diverses plateformes virtuelles ainsi que dans les médias (e.g. le fémonationalisme). La discussion se poursuivra en abordant plus explicitement les stratégies de normalisation de la rhétorique d’extrême-droite dans l’espace public. Il sera intéressant de noter que certaines de ces stratégies sont aussi employées par des franges du mouvement antiféministe québécois, comme le polissage et le camouflage. Le polissage consiste en une forme de déradicalisation du discours porté dans l’espace public afin d’accroître la légitimité ainsi que l’acceptabilité sociale d’un.e acteur.trice ou d’une idée. Le camouflage s’inscrit dans une volonté de développer un entre-soi sécuritaire, qui permet aux divers acteurs de s’exprimer librement sans crainte de représailles. Nous analyserons comment ces deux stratégies peuvent être employées conjointement dans le but de dissimuler une face cachée de l’extrême-droite où les expressions misogynes et sexistes sont les plus décomplexées.
20 mai 2021 @ 8h30-10h00 -
TR04.2
Communications :
- Elena Waldispuehl, Université de Montréal (elena.waldispuehl@umontreal.ca) : « Antiféminisme en ligne et enjeux de (cyber)sécurité: une analyse comparative des cyberviolences contre les activistes féministes en France et au Québec »
Le caractère participatif et interactif du Web social a contribué à la transformation du militantisme féministe avec l’émergence du blogging et des médias sociaux. Dès lors, les féministes occupent les espaces en ligne pour organiser leurs luttes, résister aux différentes structures d’oppression et rendre saillantes leurs revendications. Or, cette visibilité féministe n’est pas sans risque ou conséquence. Par le biais d’une comparaison des espaces de contestation de la France et du Québec, nos résultats montrent que les activistes féministes sont très fréquemment la cible de cyberviolences qui menacent leur intégrité physique et psychologique. Ces violences s’expriment notamment par des menaces de mort et de viol, des pratiques de doxxing, de stalking et même d’agressions physiques au regard du continuum en ligne et hors ligne. Nous observons un processus de politisation des violences en ligne, qui sont de plus en plus organisées et coordonnées par différents individus et groupes antiféministes de la manosphère et même de l’extrême droite. Les cyberviolences sont de plus en plus des armes politiques qui sont utilisées pour neutraliser et épuiser en provoquant d’importantes répercussions biographiques et militantes. Nos résultats confirment ainsi que les menaces antiféministes sont inhérentes à l’engagement féministe (Blais, 2019) et qu’une intersection des haines (Bard, 2019) s’organise en ligne contre les féministes. Enfin, la positionnalité des activistes influence le type de violences, sa gradation, ses formes et sa systématisation si bien que nous observons un coût différencié de l’exposition en ligne.
- Victor Vey, ENS de Lyon (victor.vey@ens-lyon.fr) : « La « dissidence » et le rire : analyse de l’humour antiféministe d’extrême-droite sur YouTube en France »
À l’instar de la montée de l’alt-right outre-Atlantique, les discours d’extrême-droite se sont développés en France au cours des années 2010, en particulier au sein de la « dissidence », une nébuleuse de groupes et d’individus qui réalisent la majeure partie de leurs activités en ligne. Celle-ci a notamment largement investi le média social YouTube pour diffuser ses idées. Si l’extrême-droite en ligne est l’objet de l’attention d’une recherche toujours plus importante, cette dernière s’est surtout intéressée au contenu idéologique des discours et à des supports textuels (forums, Twitter, Facebook), laissant de côté les supports vidéos et humoristiques. En outre, celle-ci a porté un intérêt relativement limité à la dimension antiféministe de ces discours. C’est précisément ces deux manques que cette communication cherche à explorer. Elle vise à interroger la place de l’antiféminisme dans les discours des youtubeurs d’extrême-droite et l’efficacité politique de leur usage de l’humour. Il repose sur l’analyse du contenu d’un corpus de vidéos YouTube des deux vidéastes les plus visibles de la « dissidence » : le Raptor et Papacito. Il est composé de 49 vidéos (24 du Raptor, 16 de Papacito), toutes disponibles en ligne. Nous avons d’abord trouvé chez ces vidéastes un discours de crise de la masculinité omniprésent et systématiquement associé à des enjeux nationalistes et/ou identitaires, leur idéologie d’extrême-droite étant donc fondamentalement antiféministe. Nous avons ensuite identifié deux structures humoristiques communes aux deux vidéastes : la « punchline » et le « portrait ». La première renvoie à la stylisation d’une menace d’usage de violence physique. La seconde renvoie à une description objectivante d’individus ou de groupes qui peut être péjorative si elle s’applique à un groupe adversaire ou méliorative si elle s’applique à un ou des modèles masculins. Ces formes spécifiques d’humour permettent à la fois de dénigrer, d’exclure ou d’inférioriser les adversaires politiques (en particulier les féministes ou des individus supposés féminisés) et de susciter de l’adhésion ou de la mobilisation contre elleux, mais aussi de rendre sympathiques, d’idéaliser ou d’ériger en modèles des traits, des attitudes, des caractères ou des individus masculins d’extrême-droite et enfin de susciter de l’engouement ou de l’enthousiasme par la virtuosité recherchée du travail humoristique. Enfin, leur usage de l’humour permet d’entretenir un certain flou entre forme et contenu (on ne rit pas de ce qui est dit mais de la manière dont c’est dit) et entre le sérieux et le potache (on ne le pense pas vraiment, on dit ça juste pour rire) qui participe à une normalisation des discours d’extrême-droite.
20 mai 2021 @ 10h30-12h00
TR05. Élections générales québécoises de 2022 : encore une place pour la souveraineté et/ou le nationalisme ?
Responsables: Pascale Dufour, Université de Montréal (pascale.dufour@umontreal.ca) et Éric Montigny, Université Laval (eric.montigny@pol.ulaval.ca)
Descriptif de la table ronde :
Dans le numéro 39 (3) de la revue Politique et Sociétés, dirigé par Pascale Dufour et Éric Montigny, paru à l’occasion des 50 ans du Parti Québécois, les auteurs et autrices du numéro proposent un regard multidisciplinaire sur les effets que provoque la présence de forces politiques et sociales souverainistes sur le jeu et les dynamiques politiques d’une société. Lors de cette table ronde, nous poursuivons la réflexion entamée en partant de la perspective des élections générales québécoises de 2022 : que faire du mouvement indépendantiste alors que la CAQ autonomiste est maintenant le principal porteur du nationalisme québécois ? Alors que le PQ a connu en 2018 un fort recul de ses résultats électoraux et que QS se revendique tout autant de l’indépendantisme, quel va être le principal véhicule politique des aspirations souverainistes d’une partie de l’électorat ? S’agira-t-il d’un enjeu de premier plan ? Comment repenser la question nationale et le statut politique du Québec dans un contexte où les changements climatiques s’imposent de plus en plus aux agendas politiques des États et des sociétés civiles ? En quoi le contexte de pandémie mondiale que traverse le Québec influe-t-il sur les options souverainistes ? Et comment concilier un projet de société indépendantiste à la nécessité d’une communauté politique inclusive ?
Participant-es :
À partir de leur champ d’expertise privilégié, les professeures et professeurs Martin Papillon (Université de Montréal), Valérie-Anne Mahéo (Université Laval), et Jean-Philippe Gauvin (Université Concordia), discuteront de ces enjeux. La professeure Mireille Paquet (Université Concordia) animera la table ronde.
ATELIERS
A01. Médiatisation de la politique: logiques et pratiques. 10 ans de recherche en communication politique au GRCP
Responsables: Mireille Lalancette, UQTR (mireille.lalancette@uqtr.ca) et Frédérick Bastien, Université de Montréal (f.bastien@umontreal.ca)
Descriptif de l’atelier :
La communication est au cœur de l’activité politique, qu’elle soit partisane, gouvernementale, citoyenne ou médiatique. Au cours des 10 dernières années, les chercheur.e.s du Groupe de recherche en communication politique (GRCP) ont réalisé différents travaux portant sur la médiatisation de la politique. Cet atelier, qui s’inscrit dans le processus de développement d’un ouvrage collectif, offrira donc un condensé de ces recherches.
Le méta-concept de «médiatisation» fait l’objet d’une littérature récente et principalement européenne. Il désigne l’ensemble des transformations générées par les médias dans les relations entre les acteur.trice.s (ex. citoyen.ne.s, militant.e.s, organisations non-gouvernementales) et les institutions politiques. Ces transformations se caractérisent par une dualité : elles se manifestent simultanément par l’intégration des médias au fonctionnement des institutions sociales, de même que par leur développement en tant qu’institution sociale autonome et animée d’une «logique» propre de fonctionnement.
Le chercheur suédois Jesper Strömbäck (2008, 2011) distingue quatre dimensions de la médiatisation du politique, qui constituent autant de phases dans le processus de transformation des rapports entre le politique et les médias: 1) la prépondérance des médias comme sources d’information des acteurs politiques et, en particulier, des citoyens; 2) l’autonomie des médias qui s’affranchissent des institutions politiques; 3) l’induction d’une logique médiatique dans les contenus transmis par les médias; et 4) le changement du comportement des acteur.tice.s et du fonctionnement des institutions politiques en fonction de la logique médiatique.
Si la médiatisation de la politique est bien étudiée en Europe, elle l’est moins de ce côté de l’Atlantique et encore moins en français. Les recherches menées au sein du GRCP visent à combler ces lacunes et permettent de jeter un regard informé sur des phénomènes politiques et médiatiques tels que le cadrage, la rhétorique numérique, l’acceptabilité sociale de grands projets en passant par la communication liée aux enjeux environnementaux, aux campagnes électorales, à l’étude des opinions politiques et à celle des usages des médias sociaux par les acteur.trice.s politiques.
Alors que la communication politique se pratique aujourd’hui dans des espaces médiatiques qui se redéfinissent et se complexifient, non seulement en raison de leur multiplication, mais également en termes des enjeux politiques, économiques et sociaux fondamentaux impliqués, cet atelier sera une occasion unique de faire le point et se demander : Comment la médiatisation politique évolue-t-elle au Québec? Quels sont les logiques qui la guident? Quels impacts les transformations de l’espace médiatique ont-elles sur les pratiques de la communication politique?
À l’heure des fakes news et de la désinformation il importe, selon nous, de pousser plus loin la réflexion à propos de la médiatisation de la politique laquelle implique une relation complexe entre les médias, les acteur.trice.s politiques, les groupes d’intérêts et les citoyen.ne.s.
Pour ce faire, l’atelier sera organisé autour d’une réflexion en 3 axes : 1) les pratiques, 2) les discours et 3) les publics de la médiatisation de la politique. Les panels permettront d’offrir une variété d’éclairages sur celle-ci et d’ainsi mieux comprendre la médiatisation, ses logiques et ses pratiques. Ces présentations seront ensuite rassemblées dans un ouvrage collectif.
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A01.1 – Les pratiques de médiatisation du politique
Communications :
- Mireille Lalancette, UQTR et Frédérick Bastien, Université de Montréal : « Médiatisation de la politique: le regard de la communication politique »
Dans le cadre de cette communication d’introduction de l’Atelier, nous présenterons les notions clés liées à la médiatisation. Ce qui permettra de répondre à ces questions : Qu’est-ce que la médiatisation de la politique et comment celle-ci informe-t-elle les enjeux de communication politique? Quelles logiques sont mises de l’avant par la médiatisation? Quelles influences ces logiques ont-elles sur les pratiques de la communication politique? Pourquoi est-il important d’étudier la communication politique dans ce contexte? Cette présentation permettra de mettre la table pour les communications qui seront au cœur de l’Atelier (Frédérick Bastien et Mireille Lalancette)
- Stéphanie Yates, UQAM et Justine Lalande, UQAM : « Lobbying des acteurs politiques et gouvernementaux : enjeux d’influence et d’acceptabilité sociale »
Si le lobbyisme est souvent associé aux discussions derrière des portes closes entre les puissants de ce monde, dont les pourparlers sont vus comme visant à avantager leurs intérêts respectifs, le lobbyisme dit « indirect », largement mobilisé, fait de la place publique le principal lieu d’influence. La médiatisation des revendications des groupes d’intérêt – qu’ils soient privés, publics ou même citoyens – vise à rallier l’opinion publique afin que celle-ci fasse à son tour pression sur les décideurs publics. Plusieurs stratégies peuvent être déployées en ce sens : création de coalitions, campagnes de relations publiques, usage des médias sociaux, instrumentalisation de l’expertise, recours à des figures d’autorité, mobilisation directe des citoyens (mieux connue sous son appellation anglaise grassroots lobbying) ou son pendant factice, l’astroturfing. Dans tous les cas, ces stratégies de médiatisation, qui se déploient souvent en parallèle à des démarches de lobbyisme plus conventionnelles, contribuent à donner l’impression d’un large appui aux positions ainsi défendues. En vertu de cette logique médiatique, celles-ci gagnent en légitimité, leurs défenseurs faisant valoir que les revendications mises de l’avant, parce que largement appuyées, sont socialement acceptables et devraient donc guider la prise de décision publique. Nous proposons, dans ce chapitre, de nous pencher sur ces jeux d’influence indirecte ultimement destinée aux décideurs publics, en décrivant les principales stratégies de médiatisation déployées dans ces contextes et les effets de telles démarches sur les dynamiques d’acceptabilité sociale. Des exemples concrets seront mobilisés afin d’illustrer le propos.
- Olivier Turbide, UQAM : « Relations journalistes-politiciens à l’ère numérique. Entre collaboration obligée et compétition pour le contrôle de l’information »
Même à l’ère des médias sociaux, la relation journaliste-politicien demeure au cœur de l’exercice de la démocratie et n’a rien perdu de sa pertinence. Au-delà de leur dimension rituelle, l’entrevue et la conférence de presse, pour ne nommer que ces deux activités de presse, constituent des moments phares au cours desquels les citoyens, via les questions des journalistes, peuvent demander des comptes (accountability) aux politiciens (Kumar, 2005; Montgomery, 2011). Cela étant dit, en se soumettant à la critique journalistique, ces derniers ne font pas seulement preuve d’une transparence que l’on pourrait qualifier de «calculée», mais, à travers cette médiatisation, ils peuvent profiter de l’autorité attribuée à la parole journalistique (Thompson, 2005). Parce que celle-ci est réputée indépendante des manœuvres marketing, le discours politique qui y prend place, soupesé, contextualisé, confronté aux avis d’experts et d’opposants, se présente dès lors comme (plus) fiable, jouant un rôle stratégique dans l’édification d’une indispensable relation de confiance avec les citoyens. Considérant l’importance de ces enjeux, cette coopération obligée, on le devine, est généralement marquée par une dynamique conflictuelle où « chacun essaie d’exercer une influence sur le comportement de l’autre et, finalement, tente d’acquérir et de maintenir, à l’encontre de l’autre, une maîtrise sur le mécanisme de construction de l’actualité politique » (Charron, 1994, p. 11). À la faveur de travaux récents (Chiblois, 2014; Broustau et Francoeur, 2019), il apparaît que ce constat que dressait Jean Charron en 1994 demeure pertinent. Cependant, les changements technologiques et culturels, la professionnalisation de la politique de même que la précarité du travail journalistique ont modifié les modalités d’accomplissement de cette relation. Le présent chapitre propose en ce sens de faire un retour sur les relations journalistes/politiciens un peu moins de trente ans après le portait qu’en dressait Charron, en abordant, d’abord, à un niveau macro : 1) les contraintes actuelles du journalisme politique et des relations médias en politique et 2) les grandes stratégies mises en place par les acteurs pour atteindre leurs objectifs respectifs. Ensuite, à un niveau micro, à partir de travaux en analyse du discours (Erriksson et Östaman, 2013; Clayman et al. 2006; Turbide, 2015; Hutchby, 2017), nous rendrons compte de certaines tactiques discursives, rhétoriques, interactionnelles impliquées dans la négociation de ce rapport de pouvoir et ce, dans deux activités de communication : l’entrevue télévisée et la conférence de presse.
- Éric Montigny, Université Laval : « Organisation électorale et transformation interne des partis à l’ère numérique »
La médiatisation du politique à l’ère du numérique a beaucoup été conceptualisée en considérant l’influence des médias d’information. On a donc davantage étudié l’intégration des outils technologiques dans les stratégies de communication politique. En revanche, il existe peu de travaux nous permettant d’évaluer les effets de ces changements sur l’organisation interne des partis politiques. Avec l’intégration des technologies numériques, une véritable révolution est en cours quant à la façon de faire campagne et de mobiliser les électeurs. Cela survient au moment où le militantisme partisan classique est également remis en question par les nouvelles générations. La tempête est donc parfaite. Cela a des implications sur l’organisation même des partis politiques. Tant sur le plan de leurs structures que pour le déploiement de leurs ressources humaines et matérielles, ceux-ci tentent d’évoluer pour s’adapter. Dans cette nouvelle ère, quels sont les besoins des partis quant au nombre et aux types de militants ? Quelles sont les effets de ce virage numérique sur l’expertise recherchée, donc sur le profil des professionnels qu’ils recrutent? Quelle influence cela a-t-il sur leur démocratie partisane interne? Dans cette contribution, j’expliquerai en quoi l’organisation interne des partis s’ajuste au développement des technologies numériques. C’est notamment le cas de cadres qui ne recrutent plus autant d’organisateurs locaux qu’autrefois et ce, au profit de professionnels ayant des compétences avancées en informatique et en traitement de données. De la même manière, les dirigeants de campagnes électorales se questionnent sur les tâches à confier à leurs militants. En plus de réfléchir aux effets structurants de ces transformations, les constats présentés s’appuient sur une série d’entrevues réalisées avec des élus, des militants, des organisateurs et des cadres de partis politiques représentés à l’Assemblée nationale et à la Chambre des communes.
- Pénélope Daignault, Université Laval : « Les stratégies de marketing social : le cadrage des enjeux sociaux et environnementaux »
Le marketing social est à la fois une pratique et un champ de recherche. Il se distingue principalement de son pendant commercial par la nature de ses objectifs : les changements comportementaux. D’abord utilisé en santé publique, le marketing social a depuis investi de nombreux autres domaines d’intervention, dont la sécurité, l’environnement, l’humanitaire et l’éducation à la citoyenneté. Les démonstrations de son efficacité pour influencer certaines pratiques et normes sociales sont nombreuses, au point où il constitue aujourd’hui l’un des principaux leviers du changement social. Dans un premier temps, j’aborderai le concept incontournable de marketing mix, en y ajoutant les composantes « publics » et « politique ». Les notions de bénéfices attendus, de coûts et de barrières comportementales, de même que celles de segmentation du public-cible, de publicité sociale et de cadrage émotionnel seront présentées à travers le prisme du contexte social et médiatique actuel. L’inscription d’un problème social dans les préoccupations du public passe souvent par sa médiatisation. À cet effet, de nombreuses problématiques mises en exergue par des campagnes de marketing social, tout en étant liées à des enjeux politiques (ex. : la lutte aux changements climatiques), sont imbriquées dans un système d’inter-influence entre des instances – citoyennes, communautaires, médiatiques, politiques, etc. – qui négocient la visibilité d’un problème social dans l’agenda médiatique. Dans certains cas, cette médiatisation exerce une pression politique qui mène vers le développement de politiques publiques (ex. : une taxe carbone). En ce sens, les domaines d’intervention investis par le marketing social peuvent tous être considérés comme « politisables ». C’est notamment ces rapports d’inter-influence qui seront discutés et illustrés dans la seconde partie. Dans les sections suivantes, il sera question des pratiques de marketing social à l’aune des multiples enjeux et défis posés par les récentes transformations sociales et technologiques.
- Shelley Boulianne, McEwan University et Thomas Galipeau, Université de Montréal : « Médias socionumériques et citoyens: enjeux d’engagement politique et engagement civique »
Cette communication examine les concepts et les thèses qui font débat sur l’étude du rôle des médias sociaux dans l’engagement civique. Le chapitre montrera d’abord qu’il est crucial de bien comprendre l’architecture numérique des différentes plateformes pour analyser l’impact des algorithmes et des autres concepts qui se rattache à ce type de médias. Il sera notamment question de présenter les travaux qui soutiennent et ceux qui critiquent l’importance des chambres à écho et l’exposition accidentelle aux messages politiques. La communication décrira comment les diverses plateformes s’en remettent aux algorithmes pour fournir du contenu aux utilisateurs. De plus, ces algorithmes sont déterminants dans le processus de dissémination de la désinformation, c’est-à-dire du contenu qui peut être vérifié comme étant avéré ou faux. Bien qu’il y ait de grandes préoccupations par rapport aux chambres à échos, à l’exposition accidentelle et à la désinformation, ces débats sont recadrés dans le plus large contexte de l’usage des médias sociaux, par exemple, l’effet d’information. Les individus qui recourent aux médias sociaux dans le but de s’informer tendent à augmenter leur engagement social et le capital social. Cependant, ces effets sont assez limités. En effet, la majorité des utilisateurs se connectent pour socialiser avec leurs proches ou leurs amis, se distraire, ou mettre à jour leur profil en ligne.
17 mai 2021 @ 8h30-10h00 -
A01.2 – Les logiques et les discours issus de la médiatisation de la politique
Communications :
- Colette Brin, Université Laval, Valérie-Anne Mahéo Le Luel, Université Laval, Virginie Hébert, Université Laval, Claudia Baptista Claros, McGill University, Kimiz Dalkir, McGill University, Normand Landry, TELUQ, Philip Jackson et Thierry Giasson, Université Laval : « Éducation aux médias : logiques d’information et de médiation »
Au cours des dernières années, de nombreuses initiatives ont été lancées au Canada et ailleurs dans le monde afin de répondre aux inquiétudes suscitées par le phénomène de la désinformation en ligne. Parmi celles-ci, plusieurs outils et ressources numériques ont été conçus pour aider les internautes à se prémunir contre les « fausses nouvelles » sur Internet. L’efficacité de ces interventions, tout particulièrement pour des personnes de milieux défavorisés et hors du cadre scolaire, n’est toujours pas établie. De manière générale, l’abondante littérature scientifique sur la désinformation numérique et ses concepts voisins (p.ex. propagande, mésinformation, malinformation) fait état de résultats contradictoires, voire paradoxaux quant aux conditions de réception et de propagation de contenus problématiques par des usagers. Ces travaux s’intéressent peu aux inégalités sociales et numériques, et négligent d’observer les manières avec lesquelles ces inégalités peuvent interférer avec les initiatives cherchant contrer la désinformation en ligne. Cette étude est née du constat d’un manque de connaissances scientifiques à cet égard. Le chapitre présentera un état des lieux de la recherche et les résultats préliminaires d’une expérience de terrain randomisée (avec mesures pré/post, groupe témoin et placebo) auprès de plusieurs centaines de participants dans différentes régions du Québec. Avec notre partenaire HabiloMédias, ONG canadienne spécialisée en éducation aux médias, nous avons créé un atelier entièrement nouveau avec du contenu directement lié à la pandémie, facilement accessible sur téléphone mobile. Nous examinons si cet atelier en ligne stimule la sensibilisation à la désinformation, augmente la capacité d’identifier des contenus douteux et celle d’appliquer certaines techniques de vérification de l’information.
- Dominic Duval, UQAM et Philippe R. Dubois, Université Laval : « Couverture médiatique des promesses électorales: enjeux de médiatisation et de reddition de comptes »
Ce chapitre propose d’étendre la réflexion entourant les promesses électorales en considérant celles-ci comme des produits de l’offre politique. Jusqu’à présent, l’ensemble de la littérature sur les promesses électorales prend son ancrage dans la « représentation promissoire » de Janes Mansbridge (2003). Cette approche théorique rend bien compte des dynamiques associées à la reddition de compte, mais exclue implicitement un certain nombre de considérations que nous estimons importantes. Plus spécifiquement, les plateformes électorales dans lesquelles se retrouvent les promesses sont des documents de communication. Celles-ci s’inscrivent dans une logique de marketing politique (Lees-Marshment, 2001) où l’offre politique est construite pour répondre aux besoins et aux intérêts de segments précis de l’électorat, ciblés pour leur « rentabilité » électorale. De ce fait, les programmes électoraux servent à rejoindre des publics bien précis, et non pas l’ensemble des citoyens. En plus de contribuer à l’effort de d’agenda-building et de priming dans l’espace médiatique, les promesses jouent aussi un rôle dans la mobilisation électorale de segments précis à titre de composante à part entière de la stratégie communicationnelle. De ce fait, nous estimons qu’il est problématique d’évacuer ces considérations en ne considérant les promesses électorales qu’uniquement comme des véhicules de politiques publiques. Afin d’appuyer cette réflexion, ce chapitre compare l’offre politique, c’est-à-dire les promesses électorales retrouvées dans les plateformes du Parti Libérals (PL), des Néo-Démocrates (NPD) et des Conservateurs (PPC puis PC), aux demandes des citoyens, ou plus spécifiquement l’item d’opinion publique « Support for Spending » de CORA pour différents domaines de politiques et ce pour la période allant de 1993 à 2015.
- Tania Gosselin, UQAM : « Médiatisation et genre »
La médiatisation est rarement mise en lien direct avec le genre. Pourtant, arguer qu’une ou des logiques médiatiques caractérisées notamment par la personnalisation, la conversationalisation et la dramatisation influencent la sphère politique invite à se pencher sur les effets de cette transformation sur le lien entre femmes et politique. En mettant à l’avant-plan les personnes, notamment les leaders de parti/gouvernement, et les caractéristiques personnelles plutôt que les partis ou les idéologies, la personnalisation et la conversationalisation pourraient avoir des effets variables selon le genre des politicien.nes et candidat.e.s. Il en va de même pour la dramatisation, avec l’accent qu’elle place sur les émotions dépeintes et suscitées. Des travaux récents montrent que les contenus médiatiques sont moins différenciés qu’auparavant dans le traitement des candidats et élu.e.s, notamment en Amérique du Nord. Des études sur les effets des stéréotypes de genre sur les évaluations des candidates montrent également des effets variables selon les contextes partisans, les sujets saillants, etc. La médiatisation donne une prime aux marqueurs d’authenticité et « d’ordinarité », à l’accessibilité des politicien.nes, de même qu’aux émotions; elle pourrait donc contribuer à changer les discours et les comportements des femmes en politique, de même que la manière dont ils sont perçus. Il ne s’agit pas ici de nier la prévalence des stéréotypes ni la pertinence de continuer à les étudier – au contraire. Si la médiatisation participe à un changement significatif de l’organisation même de la sphère politique et publique, elle peut offrir une perspective pertinente sur les stéréotypes de genre et leurs effets.
- Philippe R. Dubois, Université Laval, Thierry Giasson, Université Laval et Alex Marland, Memorial University of Newfoundland : « Le marketing et le branding des institutions politiques »
Les partis politiques, et les candidats qui se présentent sous leur bannière, doivent composer avec plusieurs défis importants comme la perte de confiance envers les institutions politiques, la transformation du militantisme politique, la fluctuation de la participation électorale ou la baisse de l’attachement partisan. Pour répondre aux exigences d’un électorat à la fois plus exigeant envers les élites politiques, mais aussi plus imprévisible dans ses décisions, les partis politiques canadiens ont adopté une approche marketing – le marketing politique – qui influence autant l’élaboration de leurs campagnes électorales (phase stratégique) que leur déploiement sur le terrain (phase tactique). S’ajoute au marketing politique le branding, utilisé pour présenter une image globale de l’offre politique. La théorie sur le marketing politique pose que les élites politiques ont intégré et adapté les techniques du marketing commercial à la sphère politique afin de répondre aux intérêts et aux demandes de cibles électorales, de rétablir et d’entretenir une relation de confiance avec elles et, ultimement, de remporter des élections. Cette présentation expose les éléments centraux du marketing politique, et s’intéresse plus particulièrement au concept de branding politique. Par l’étude du cas du Premier ministre canadien Justin Trudeau, elle met en lumière les logiques qui y sont inhérentes, à la fois en contexte électoral et de gouvernance. Enfin, la présentation expose les perspectives de recherche futures associées au branding politique compte tenu de son intégration grandissante au sein des démocratie occidentales et, ce, à tous les niveaux de gouvernement.
- Thierry Giasson et Virginie Hébert, Université Laval : « Les stratégies de marketing social : le cadrage des enjeux sociaux et environnementaux »
Le concept de cadrage est désormais l’un des plus populaires du champ de la communication politique. Néanmoins, il demeure peu exploité dans la littérature sur la médiatisation du politique (de Vreese, 2014, p. 137), processus par lequel la logique médiatique transforme les rapports entre politique et médias (Strömbäck, 2008 ; Esser et Strömbäck, 2014). Pourtant, les pratiques de cadrage peuvent être révélatrices du degré de médiatisation ; elles témoignent à la fois de l’interventionnisme des journalistes dans les contenus médiatiques, et des efforts stratégiques déployés par les acteur.trice.s politiques pour adapter leurs communications à la logique des médias. Dans cette présentation, nous entendons montrer l’utilité du concept de cadrage pour mieux comprendre les processus dynamiques de la médiatisation du politique. Après avoir présenté différentes définitions et approches du cadrage, nous nous attarderons à sa dimension stratégique. Nous insisterons sur la phase de construction des cadres (frame building) en traitant : 1) du cadrage stratégique des acteur.trice.s de la communication politique qui s’affrontent pour définir et promouvoir leurs propres grilles de lectures des enjeux, et 2) du cadrage journalistique par lequel les journalistes sélectionnent, contestent ou adoptent ces cadres politiques. À la lumière de différents travaux, nous réfléchirons enfin à l’interaction entre ces deux formes de cadrage, à leur implication sur les pratiques de communication politique et, plus largement, sur le processus de médiatisation.
- Vincent Raynauld, Emerson College et Mireille Lalancette, UQTR : « Médias socionumériques et politique : enjeux de personnalisation, d’intimisation et de célébritisation à l’ère digitale »
La personnalisation du politique a joué un rôle majeur dans les stratégies de communication et de mobilisation des politicien.ne.s canadien.ne.s au cours des dernières décennies. Cette approche se distingue par le fait que les caractéristiques personnelles et professionnelles des politicien.ne.s, ou de manière plus spécifique des leaders des partis politiques, occupent une place de choix dans le message politique contemporain. Elles peuvent également influencer la manière dont les membres du public sont exposé.e.s à la chose politique ainsi que leur évaluation et leur compréhension des enjeux d’importance. Plusieurs facteurs sociaux, économiques et technologiques liés à la médiatisation du politique ont contribué à l’évolution de la personnalisation du politique. Ce chapitre de livre s’intéresse plus particulièrement aux changements plus récents en lien avec l’émergence et la popularisation successive de différents médias socionumériques. En effet, les propriétés structurelles et techniques des médias socionumériques ont engendré une redéfinition de la personnalisation du politique, ainsi que plusieurs sous-dynamiques dont l’intimisation et la célébritisation. Il est possible d’identifier deux volets à cette redéfinition. En premier lieu, les propriétés des médias socionumériques ont forcé les politicien.ne.s à revoir plusieurs facettes de leurs stratégies de communication, que ce soit la structure et le ton de leurs messages ou les tactiques utilisées pour diffuser et attirer l’attention sur ces derniers. En second lieu, elles ont mené à une refonte des attentes du public en lien avec leur réception des messages politiques et de leur contacts avec les politicien.ne.s. Bien que plusieurs chercheur.euse.s se soient intéressé.e.s à la médiatisation du politique, ce chapitre offre une contribution particulière et importante en se concentrant sur la personnalisation du politique sur les médias socionumériques qui risque de gagner en importance au cours des prochaines années.
17 mai 2021 @ 10h30-12h00 -
A01.3 – Les logiques et les publics de la médiatisation de la politique
Communications :
- Yannick Dufresne, Université Laval : « Sondages et communication politique : enjeux d’opinion publique »
La fragmentation de l’espace médiatique pose un défi de mesure de l’opinion publique. Alors que les sondages conventionnels pouvaient à l’époque aspirer à mesurer un signal citoyen catalysé par l’exposition à des médias de masse, l’hétérogénéité de l’environnement communicationnel actuel diffuse ce signal. Il est en effet plus difficile à l’ère des médias sociaux qu’auparavant d’évaluer la saillance publique des enjeux politiques et son adéquation avec les processus classiques de mise à l’agenda. Cette situation est à la fois la cause et l’effet de recours à des techniques de segmentation fine de l’opinion publique afin de mieux la cerner et potentiellement l’influencer. Aux défis, non nouveaux mais grandissants, de collecte de données représentatives, les sondeurs doivent donc aussi composer avec une complexification potentielle de leur objet d’étude. Ce chapitre met en perspective ces nouveaux défis de mesure d’opinion publique dans un contexte de médiatisation de la politique. Il retrace les origines et les fondements théoriques de l’utilisation de données massives pour l’étude de l’opinion publique et du comportement politique. Le concept de saillance individuelle, et sa distinction avec celui de la saillance publique, est défini et présenté comme base de segmentation fructueuse d’une campagne de microciblage visant à influencer la population.
- Fenwick McKelvey, Concordia University, Mireille Lalancette, UQTR, Saskia Kowalchuk, Concordia University et Simon Fitzbay, UQTR : « Nouveaux publics de la politique : les mèmes politiques comme discours critiques »
Dans le cadre de cette communication, nous aborderons les mèmes politiques comme nouvelles formes de participation politique et comme discours critiques sur la politique et ses acteurs. Nous définirons d’abord ce que sont les mèmes et ce qui les caractérisent. Par la suite, nous expliquerons en quoi et comment ces mèmes s’inscrivent dans les répertoires d’action politiques numériques. Puis nous aborderons quelles sont les logiques à l’œuvre lorsque les citoyens créent, font la curation et partagent les mèmes. Il sera notamment question de plateformisation de la politique, de viralité et de discours critiques à propos de politique. Ces trois éléments étant au cœur des phénomènes mimétiques. Nous continuerons cette présentation en réfléchissant sur la manière dont les mèmes internet affectent les pratiques politiques des citoyens et citoyennes, des acteurs et actrices politiques et aussi de leurs conseillers et conseillères en communication. Nous discuterons alors de la manière dont les citoyens et citoyennes s’emparent des mèmes afin de participer au discours politique et du potentiel de faire du marketing citoyen grâce aux mèmes. Nous réfléchirons au fait que les acteur.trice.s politiques perdent le contrôle de leurs discours et de leurs images avec les mèmes. Cela pose donc de nouveaux défis aux conseillers et conseillères en communication qui doivent trouver des manières de travailler avec ces nouveaux discours et formes d’implication politiques. Enfin, nous terminerons en ouvrant sur les manières d’envisager les retombées des mèmes dans le monde politique et social et comment les communicateurs et communicatrices actuel.le.s et futures doivent les prendre en compte dans leur travail.
- Frédérick Bastien et Simon Thibault, Université de Montréal : « La politisation du système médiatique »
L’étude de la médiatisation du politique exige aussi de considérer l’hypothèse inverse, celle d’une politisation du champ médiatique. À cette fin, le concept de parallélisme politique apparaît fécond et sera au cœur de cette contribution. Hallin et Mancini (2004) le définissent comme le degré auquel la structure du système médiatique épouse celle du système politique, par un alignement entre les organisations qui composent le premier et les tendances idéologiques qui caractérisent le second. Dans un système médiatique libéral comme au Canada, le contenu des médias d’information et le profil sociopolitique de leur auditoire sont deux dimensions pertinentes du parallélisme politique. Nous soutenons qu’un certain parallélisme est observable sur divers enjeux, en particulier ceux liés à la diversité culturelle : les contenus et l’auditoire de plusieurs médias d’information présentent une orientation politique qui les éloignent de la neutralité ou de l’équilibre, des caractéristiques pourtant fondamentales au journalisme d’information. Les mécanismes potentiellement à l’œuvre pour expliquer cet alignement – notamment les stratégies commerciales visant à occuper certaines niches du marché et les préférences politiques des propriétaires de ces médias – seront l’objet d’une discussion particulière. Notre démonstration reposera sur la triangulation entre diverses sources de données : enquête auprès d’experts des médias, entretiens semi-dirigés avec des professionnels des médias et sondages d’opinion publique. Nous dégagerons quelques implications pratiques de ces constats, en particulier du point de vue de l’éducation aux médias et de la nécessaire distinction entre les genres médiatiques et journalistiques.
- Mireille Lalancette, UQTR et Frédérick Bastien, Université de Montréal : « Conférence de clôture. Médiatisation de la politique : mutations de l’espace public »
Cette conférence fera le point sur les communications présentées lors du colloque en répondant aux deux questions suivantes : Quels enjeux pour l’étude de la communication politique la médiatisation pose-t-elle dans les prochaines années? Quelles logiques et quelles pratiques la médiatisation fait-elle ressortir?
17 mai 2021 @ 13h30-15h00
A02. Les gouvernements perpétuels en Afrique subsaharienne: diviser pour perdurer
Responsables: Brice Stéphane Ondigui Avele, The Harriet Tubman Institute (bsondigui@gmail.com), Armelle Cressent, The Operational Research Society, Philippe Awono, Institut International pour la Francophonie et Eugène Arnaud Yombo Sembe, Université de Yaoundé II-Soa
Descriptif de l’atelier :
Né sur les cendres de l’État colonial, l’État contemporain africain a hérité de son prédécesseur un certain nombre de réflexes notamment en termes de gestion autoritaire et violente du pouvoir (Petithomme, 2007). Les deux modèles sont en effet, dans leurs différentes trajectoires, fortement structurés par l’usage de la violence (politique) même si on peut en relever des différences tant au niveau de la manifestation que du degré de celle-ci. Si les indépendances ont consacré de jure la « mort » de l’État colonial avec ses pratiques et partant la naissance d’un État « moderne », il n’y a eu dans les faits (et dans la plupart des cas en Afrique noire) qu’un changement cosmétique au point où d’aucuns ont tôt fait de parler « d’État néocolonial » en référence à l’État contemporain africain (Ardant, 1965). C’est que le colon avant « partir », a pris soin de placer à la tête de ces États nouvellement indépendants des dirigeants à sa solde. Ces derniers, usant de toute sorte de violence politique, mettront en place de manière presque naturelle ou mieux encore structurelle, des régimes autoritaires (Bourmaud, 2006). Au départ quasi indéboulonnables, ces régimes dans lesquels le décès du président et le coup d’Etat constituent les principaux modes d’alternance au pouvoir vont connaître entre la fin des années 1980 et le début de la décennie 1990, des bouleversements sans précédents qui iront jusqu’à modifier en profondeur l’échiquier politique mondial. En effet, en 1989, Une « vague de démocratisation » dont les remous de manqueront d’atteindre l’Afrique va balayer l’Europe de l’Est, provoquant au passage la dislocation du bloc soviétique ; Sur le continent africain précisément, elle va entraîner la chute de plusieurs autocrates qui, pressés par ce contexte international et déjà bousculés à l’interne par des mouvements révolutionnaires divers, ne résisteront pas à la dynamique du « temps mondial ». Toute chose qui laisse alors augurer des lendemains meilleurs en termes de gouvernance et de démocratie en général sur le continent. Ici et là, la mode terminologique est aux « rassemblements » et autres « républiques » démocratiques. Des analyses portées par des transitologues ayant le vent en poupe semblent reconnaître en ces évènements des traits universels du passage à la démocratie (O’Donnell, Schmitter et Whiterhead, 1984). C’est pour beaucoup le temps de l’avènement de la fin de l’histoire et du dernier homme; le temps de la dissémination de la démocratie (Fukuyama, 1992).
Seulement, le monde va rapidement déchanter. En réalité, il s’agira plus derrière ces « nouvelles démocraties » d’autoritarismes dissimulés sous le prisme Janusien (Owona Nguini et Menthong, 2018). En effet, lorsqu’elles n’opposent pas une résilience farouche aux pressions de démocratisation, les dictatures africaines vont simplement tels des phœnix, renaître de leurs cendres. Des autocrates chassés du pouvoir au lendemain des conférences nationales souveraines réussissent l’exploit de revenir sur la scène politique et pour certains, de s’y imposer ou d’imposer les leurs. Aujourd’hui, plus de vingt ans après cette fameuse vague de démocratisation, nombre de ces régimes sont toujours au pouvoir. Ils ont certes consentis à se réinventer dans une sorte de « démocratie passive » ou « janusienne », mais ils restent des régimes violents, privateurs des droits et libertés, sources de frustrations, de chaos et désolation. Toute chose qui rend encore plus intéressant le questionnement de leur longévité.
L’analyse des technologies de gestion du pouvoir au sein de ces États révèle une instrumentation de la division par l’ordre régnant. Celle-ci prend des formes diverses (ethnique ou plu généralement communautaire, idéologique, socioéconomique, spirituelle et même générationnelle), mais l’objectif semble pour chaque cas être le même: empêcher que n’émergent des fronts sociaux ayant un ancrage national et républicain, susceptibles de constituer un bloc face au régime autocrate (Owona Nguini, 2004, Owona Nguini, 2015).
L’objectif de cet atelier est de questionner cette trajectoire de perpétuation des régimes autocrates en Afrique pour en saisir les contours, les dynamiques et surtout les singularités susceptibles de renseigner sur l’appropriation africaine de la maxime philippienne « diviser pour mieux régner ». Il s’agit également d’un prétexte pour (re)penser le pouvoir perpétuel en Afrique, en sortant des schémas classiques et idéalistes fondés sur « l’illusion » de l’universalisme de la démocratie (O’Donnell, Schmitter et Whitehead, 1984). Une perspective qui permet non seulement de débarrasser l’analyse du pouvoir perpétuel du prisme hérétique prégnant chez la plupart des transitologues, mais aussi de réinterroger le sens même de la perpétuation du pouvoir pour l’élargir à la perpétuation des positions de domination (politique) ; une ouverture qui découvre à côté du « pouvoir perpétuel », une « opposition perpétuelle ».
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A02.1 – Repérer les dominations (positions) politiques perpétuelles : épistémologie du pouvoir perpétuel
Communications :
- Eugène Arnaud Yombo Sembe, Ph.D, Université de Yaoundé 2/Nkafu Policy Institute: « Ce que durer au pouvoir veut dire. Éléments pour une sociologie réflexive du pouvoir perpétuel »
Comment fait-on pour durer au pouvoir ? Du moins, qu’est-ce qui explique le « pouvoir-durer-au-pouvoir » ? Comment donc comprendre dans la démocratie allemande, l’absence de transition par la durée au pouvoir d’Angela Merkel depuis près de deux décennies ? Comment se maintiennent les derniers totalitarismes en Chine, en Corée du Sud, en Russie ? D’où vient-il que des régimes en Afrique, en Asie et en Europe de l’Est se soient perpétués, souvent assez longtemps dans la longue durée ? Cette réflexion sur le pouvoir perpétuel se veut être d’emblée indissociable, suivant la pensée de Claude Lefort sur le totalitarisme, d’une interrogation sur l’essence de la démocratie (Lefort, 1994). Aussi l’intérêt que cet article a aujourd’hui réside-t-il moins dans sa critique des phénomènes autoritaires, autocratiques, totalitaires que dans la conceptualisation politique qu’il opère, et à partir de laquelle se trouvent réinterrogés les principes des sociétés démocratiques modernes. L’hypothèse directrice de son analyse est que le pouvoir perpétuel ne se laisse concevoir qu’en regard de la démocratie et sur le fond de ses ambiguïtés », et dans la mesure où ces « ambiguïtés » sont irréductibles et constitutives, la possibilité demeure toujours ouverte d’un dérèglement de la logique démocratique. C’est précisément parce que le pouvoir perpétuel « surgit » de la démocratie, qu’il n’opère pas seulement une inversion, un renversement radical, mais qu’il s’empare en même temps de certains de ses traits et leur apporte un prolongement fantastique, comme cela est visible dans la dynamique d’uniformisation de la société dans les régimes néo-totalitaires contemporains. Penser le pouvoir perpétuel à partir d’une réflexion sur les représentations qui composent sa matrice idéologique et empirique, consiste à initier un travail qui nous rendra attentif aux recettes sociales que peut contenir une certaine vision du pouvoir dans un contexte souvent marqué par le respect de quelques considérations démocratiques (élections, libertés publiques, etc.). Par-delà l’affirmation d’un pouvoir perpétuel, s’exprime souvent le modèle d’une société qui s’instituerait autour des divisions, exact parallélisme d’avec les sociétés démocratiques. C’est dire que pouvoir perpétuel et démocratie ne sont toujours pas opposables. La démocratie est le régime et la forme de société qui participe de la contradiction, de la volonté populaire majoritaire, des libertés publiques et il revient à l’analyse du pouvoir perpétuel de montrer que ce n’est ni cette contradiction, ni cette loi de la majorité et ce respect des libertés qui la met en péril, que la volonté d’imposition d’une conception prescriptive et déterministe ; dans le sens où les leçons ou recettes héritées des observations passées sont souvent propagées de manière mécanique, sous la forme de théorèmes institutionnels pour arriver à des conclusions qui sont présentées comme des acquis scientifiques. Cet article prend sur lui de revenir sur le fondement même de la science politique en ce qu’elle interroge les logiques de pouvoir, les transactions, les confits et les concurrences loyales et déloyales autour de la conservation du pouvoir dans les ordres politiques informés par les logiques de pouvoir de longue durée. De sorte que les questionnements de « l’ancien » et du « nouveau » pouvoir perpétuel se recoupent afin de saisir les héritages historiques, les constances et les ruptures entre les anciens régimes et les nouveaux. Sur le fond, penser le pouvoir perpétuel, signifie questionner la persistance souvent légitimée ou non, des logiques monarchiques, autocratiques, autoritaires, néo patrimoniaux, dans les États démocratiques et en voie de démocratisation.
- Yvan Issekin, Université de Yaoundé 2/Cerpad : « ‘L’opposition perpétuelle’ comme composante du ‘gouvernement perpétuel’ au Cameroun. La diffraction de l’offre partisane d’opposition à l’élection présidentielle comme stratégie de survie politique (1990-2018) »
La compétition électorale est l’une des arènes institutionnelles à partir desquelles le gouvernement perpétuel comme un gouvernement « à durée illimitée » (Owona et Menthong, 2018) se reproduit au Cameroun. La diffraction de l’offre partisane d’opposition à l’élection présidentielle apparait comme un site d’observation de la reproduction du pouvoir perpétuel. Entendu comme la multiplication croissante des candidatures partisanes d’opposition au cours des 5 élections présidentielles pluralistes (5 candidats en 1992, 6 en 1997, 15 en 2004, 22 en 2011, 7 en 2018), ce phénomène électoral affaiblit le niveau du camp des oppositions, dans un scrutin présidentiel uninominal à un tour aux effets mécaniques défavorables aux « petites candidatures » (Dolez et Laurent, 2010). Il s’agit dans cette réflexion, de montrer en quoi cette multiplication des candidatures des partis d’opposition participe au gouvernement perpétuel au Cameroun, en créant une « opposition perpétuelle » qui est considérée comme une opposition « à durée illimitée ». En d’autres termes, comment est-ce que la diffraction de l’offre partisane des oppositions à l’élection présidentielle participe à une opposition perpétuelle perçue comme une stratégie de survie politique au Cameroun ? Notre hypothèse est que cette augmentation de ces candidatures partisanes à ce scrutin présidentiel est le résultat des stratégies de survie des forces d’opposition face au gouvernement perpétuel, en tentant d’exister pour contrôler des territoires et des mandats politiques issus des cycles politico-électoraux entre 1992 et 2018 Pour ce faire, nous allons mobiliser un dialogue entre sociologie et géographie électorales (Gombin et Rivière, 2014) pour rendre compte des dynamiques territoriales portées par ces candidatures de l’opposition. Il s’agit d’étudier à la fois, la sociologie des comportements électoraux et la construction des systèmes géopolitiques locaux (Giblin, 2012, Subra, 2016, Bailoni, 2018) par cette dispersion des candidatures des oppositions, les représentations qu’elles portent dans l’entretien d’une opposition perpétuelle connexe au gouvernement perpétuel. En mobilisant d’abord une approche documentaire pour recueillir les candidats des oppositions et leurs résultats électoraux à l’élection présidentielle, nous mobiliserons une veille médiatique pour analyser les discours autour de ce phénomène paradoxal. Nous présenterons dans une première partie, l’ancrage empirique de la diffraction de l’offre électorale des oppositions entre 1992 et 2018. Nous continuerons en dégageant les liens entre la géographie électorale de ces oppositions et la perpétuation du gouvernement perpétuel dans une seconde et dernière partie.
- Idriss Miskine Buitchocho, Université de Paris : « Théoriser la continuité disruptive, une apologie de la gouvernance perpétuelle en Afrique centrale »
L’analyse de la perpétuité des gouvernements en Afrique Centrale suscite beaucoup d’attention dans plusieurs champs disciplinaire. Elle est cependant domine par l’identité colonialiste, l’instrumentalisation communautaire et ethnique, de la bonne gouvernance, de l’état de droit et des logique de développement. Mais notre communication s’étalera expressément sur quatre points : (1) La nécessité d’une observation afro centrée et non émotive, non participante (2) La gouvernance perpétuelle, comme moyen d’institutionnalisation de la politique du ventre (3) La gouvernance perpétuelle comme un instrument de construction de la rupture colonialiste (4) Le revirement de bord des démocraties autoritaires : la chine, la Russie.
- Philippe Awono Eyebe, Université Jean Moulin Lyon 3 et Christel Dior Tamagui, Université Rennes 1 : « Culture politique et démocratisation dans les démocraties fragiles »
Le vent de démocratisation qui a soufflé dans les années 90 a reprofilé le paysage politique dans les pays d’Afrique. C’était donc le moment de la rencontre avec un idéal libéral auquel il fallait socialiser les masses. Trente ans plus tard, la démocratisation escomptée reste visiblement fragile. Cette supposée fragilité dessine les cartes pour une instrumentalisation des masses de sorte qu’elles soient utilisées dans la fabrique cosmétique de la démocratie sans toutefois en comprendre les enjeux. Ainsi, les masses vont suivre ou pas un leader sans en saisir véritablement son fondement idéologique, donnant ainsi l’impression que le problème n’est pas tant l’instrumentalisation des masses par les leaders afin de diviser pour mieux régner, mais le problème est aussi celui de la non maîtrise véritable des enjeux de démocratisation. Autrement, la question de la culture politique serait ici à pointer du doigt pour saisir l’éthos même de la démocratisation du point de vue du rapport aux masses, cela même s’il y a une élite qui se forme et essaye de peser dans le jeu démocratique. Cet article vise à saisir l’entreprise de division non pas sou l’angle de l’instrumentalisation par les politiques, mais sous l’angle d’une absence de consistance en termes de culture démocratique. Cela permet d’apprécier les jeunes démocraties à partir d’une double fragilité. Fragilité institutionnelle mais aussi fragilité cognitive et culturelle. L’entreprise de division pour régner peut par conséquent avoir plusieurs ressorts explicatifs.
20 mai 2021 @ 8h30-10h00 -
A02.2 – Les dynamiques de perpétuations du pouvoir en Afrique
Communications :
- Fabrice Ndingouing Mvougoua, Université de Yaoundé 2: « Le gouvernement perpétuel entre droit de la politique et politique du droit : le rôle des constitutions africaines dans les gouvernements perpétuels »
Par principe, gouvernement perpétuel et démocraties sont opposables tant l’un est contraire au principe de l’autre. Cette opposabilité de principes fait émerger un questionnement sur les technologies juridiques et institutionnelles et leur rôle dans la fabrication des gouvernements perpétuels au travers de la politique. En clair, c’est l’usage politique du droit et l’usage juridique de la politique qui sont ici mis en question. Parlant de l’usage politique du droit, il s’agit des récupérations politico institutionnelles et parfois rationnelles que subit le droit de la part des acteurs politiques, en vue de faire perdurer un régime. Parlant de l’usage juridique de la politique, il s’agit de montrer comment s’opère la mise en forme des règles constitutionnelles devant encadrer la démocratie. Cette réflexion par donc d’l’hypothèse de la tension entre droit et politique comme moteur des gouvernements perpétuels. Elle chercher à comprendre comment cette tension trouve un écho dans la mise en sens de régimes perpétuels d’abord chez les intellectuels qui font ces lois et ensuite chez ceux qui doivent les utiliser à leurs fins, mais surtout aux fins de l’immobilisme démocratique. Le savant et le politique ont donc chacun une responsabilité dans la fabrication institutionnelle et intellectuelle du gouvernement perpétuel.
- Aristide Mono, Université de Yaoundé 2 : « ‘Ennemi de la nation’ et grammaire de déligitimation des projets d’alternance en Afrique »
Depuis les indépendances, les discours des ordres dirigeants d’Afrique à l’œuvre, dans leurs moments agonistiques, ont toujours accordé une place majeure à l’identification des forces politiques concurrentes aux « ennemis de la nation ». Cette qualification prend selon les contextes ou les locuteurs des variations sémantiques qui vont de l’étiquette de déstabilisateurs à celle de commandos d’égorgeurs en passant par celles de pourfendeurs de la république, comploteurs, terroristes ou maquisards pour ne citer que ces cas. Si la légitimité de la mobilisation d’une telle grammaire demeure fortement exposée à de vives polémiques entre défenseurs de la diabolisation objective et celle instrumentale, il reste néanmoins qu’elle porte une forte dose de disqualification des opposants, armés ou non. La disqualification observée joue ici une fonction double, d’abord elle permet d’éjection de l’opposition du champ concurrentiel loyal ou conventionnel suivant l’éthique républicaine. L’opposition est présentée au peuple comme une force anti-républicaine. Ensuite, elle permet de frapper les opposants de disgrâce aux yeux du peuple en qualifiant leurs projets vis-à-vis de la nation de funeste (opposition anti-nation). Bref d’une manière ou d’une autre cette rhétorique autour de l’ennemi de la nation délégitime les projets d’alternances portés par des factions politiques opposées aux régimes dominants du moment où ceux-ci sont rapidement diaboliser tentant ainsi de les rendre impopulaire voire les jeter à la vindicte populaire. Dans le cadre de notre contribution, nous comptons nous s’appesantir sur le cas spécifique de la « diabolisation instrumentale » des opposants pour montrer qu’elle constitue une ressource parmi tant d’autres de perpétuation de certains pouvoirs en Afrique. La diabolisation instrumentale, à travers la grammaire d’« ennemi de la nation », consiste pour ces producteurs à faire des recours des opposants à des répertoires illégaux (subversion ou violence) de pression politique des opportunités de délégitimation de leurs projets d’alternance, ventilant de ce fait les voies du pouvoir perpétuel. A rebours de cette classification des porteurs de projets d’alternance dans le camp des « ennemis de la nation », la rhétorique permet de ventiler davantage les voies du pouvoir perpétuel qui essaye de s’arroger l’exclusivité du respect de la légalité républicaine et de l’amour de la nation même si au fond la réalité indique une toute autre chose. Notre analyse compte puiser sur les expériences de pouvoir perpétuel dans la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) plus précisément le Cameroun, la Guinée équatoriale, le Congo Brazzaville et le Tchad.
- Hubert Christian Bitogo, Université de Yaoundé 2 Soa: « Le leadership perpétuel en Afrique au sud du Sahara : comment la Socialisation politique contribue à la consolidation des régimes autocratiques en Afrique subsaharienne »
« L’union fait la force », cette phrase, proverbe, ou cri de ralliement est immensément répandu en Afrique de manière générale, et traduit l’essence véritable de l’identité africaine. En Démocratie, l’union est primordiale et y tient une place particulière, dans ce sens qu’aucune nation ou État ne peut espérer survivre dans la discorde, l’instabilité ou le désordre. Malheureusement, ceci une réalité pour de nombreux pays africains, en particulier au sud du Sahara. Cet état de chose, tragique, il faut le dire et le regretter ici, tire son émanation à la source de la constitution ou la naissance de ces États. Les anciennes administrations coloniales, ayant pendant plusieurs décennies bénéficiées des avantages économiques et financiers que leur conférait la gestion des territoires sous leur autorité, vont s’atteler à favoriser l’arrivée au pouvoir, au moment des Indépendances, des élites locales acquises à leurs intérêts, tout en combattant et s’acharnant sur une autre catégorie de leaders, dépeints comme extrémistes, anarchistes, jusqu’au boutistes, et même, communistes, en pleine guerre froide. Des « gouverneurs noirs », comme ils étaient appelés, pour signifier que rien n’avait alors changé, et qu’ils n’étaient que des puissants relais de leurs anciens « maîtres ». Ces élites acculturées, déconnectées, et plus habituées au faste, luxe, et divers bienfaits que procure l’exercice du pouvoir, vont transformer les systèmes dont ils sont les héritiers, les arrimer aux réalités locales, afin de s’assurer un enrichissement aussi soudain que scandaleux. Tout au long de cette réflexion, nous montrerons avec des éléments aussi bien matériels que symboliques, comment ces dirigeants sont parvenus au fil du temps, à rester à la tête de leur pays.
- Aimé Protais Bounoung Ngono et Amandine Alemouka Adeboda, Université de Yaoundé 2 Soa : « Le rôle des institutions militaires dans la perpétuation du pouvoir en Afrique : Cameroun, Tchad et Zimbabwe dans une perspective comparée »
La réflexion sur le pouvoir perpétuel en Afrique est une réflexion davantage articulée autour de l’élite du pouvoir mais, de l’élite du pouvoir vu davantage à partir de ces élites politiques. C’est une réflexion d’ailleurs intéressante dans la mesure où ce sont ces élites qui travaillent dans le sens du reprofilage, l’adaptation, la résilience et la persistance des régimes et pouvoirs qui durent longtemps en Afrique contemporaine. Toutefois, cette réflexion s’est rarement intéressée au rôle et à la place des institutions militaires et notamment, l’élite militaire dans l’absence de transition dans un certain nombre de pays africains. Ceux-ci ont été minorés ou frappés d’interdit analytique. Seulement, est-ce qu’on peut envisager aujourd’hui la perpétuation du pouvoir, la solidité du pouvoir, la résilience des régimes, le renversement du pouvoir ; est ce que l’on peut envisager la transition du pouvoir et le renouvellement du personnel politique en dissociant cela des intérêts des militaires ? Ce questionnement incline davantage à une reformulation des termes de référence conceptuels et problématise la responsabilité des armées dans le maintien des régimes et pouvoirs sempiternels en tant qu’elles apparaissent comme des actrices stratégiques de soutien. Sur la base d’une analyse comparée des situations camerounaises, tchadiennes et zimbabwéennes, nous démontrons que l’armée constitue une institution centrale, déterminante et incontournable dans le changement politique ou l’allongement des pouvoirs sans fin en Afrique. S’inscrivant dans la tradition des travaux de sociologie politique des armées, cet article ambitionne démontrer que le pouvoir perpétuel dans ces pays est l’expression et le résultat d’une conspiration/connivence hégémonique entre l’armée et l’élite du pouvoir.
20 mai 2021 @ 10h30-12h00 -
A02.3 – Le pouvoir perpétuel en Afrique : entre pressions, résilience et efficacité managériale
Communications :
- Prisca Helene Assiene Bissossoli, Université de Yaounde II et Eric Bertrand Lekini, Université de Dschang : « Penser le gouvernement perpétuel dans la politique de la jeunesse au Cameroun: regards croisés sur une catégorie d’action publique, plurielle et incrementalisée »
La vague de démocratisation qui a balayé l’Afrique centrale au début des années 1990 a apporté une « innovation dirigeante » particulière qui ne déroge pas de la démocratie, celle du Gouvernement perpétuel. Cette stratégie dirigeante pourtant propre aux calculs politiques renseigne sur la fixation de l’incertitude pour ne pas dire la non-connaissance totale de toutes les alternatives possibles pour résoudre un problème. Cette incertitude qui patauge dans les méandres de la transitologie, est analysée à travers le prisme sectoriel de la politique de la jeunesse dans une perspective nouvelle d’action publique. Action publique derrière laquelle se profile la main invisible du référentiel global du gouvernement perpétuel et de la débrouille gouvernementale face à un problème persistant. Cette contribution a pour ambition de fournir une analyse des dynamiques du gouvernement perpétuel à l’œuvre dans la politique de la jeunesse au Cameroun en interrogeant les ressorts de l’action publique en direction des jeunes. A travers l’intérêt porté au gouvernement perpétuel, l’on voudrait théoriquement et empiriquement mettre en relief le caractère conditionnel du modèle incrémental à la compréhension et la démarche de pérennisation du problème jeune. Ainsi, l’importance accordée ici d’une part à la construction du problème jeune comme un problème public continu et perpétué et d’autre part à sa mise en scène comme catégorie pérenne, constituée et reconstituée dans le temps, s’offre comme une porte d’entrée de facture néo institutionnaliste (historique et stratégique) pour l’étude de la relation entre Gouvernement perpétuel et politique de la jeunesse.
- Netton Prince Tawa, Université Alasssane Ouattara de Bouaké : « Finalement, est-ce pour avoir divisé? Autopsie de la réussite politique de l’ère Ouattara en Côte d’Ivoire (2011-2020) »
Depuis 1993, année de la disparition de Félix Houphouët-Boigny, la Côte d’Ivoire est entrée dans une ère d’instabilité politique. Le dauphin constitutionnel que s’est choisi le premier président ivoirien a vu son règne s’abréger tragiquement par un coup d’État. Le régime de la transition issu de ce coup de force, connut lui aussi, l’instabilité due aux dissensions internes, avant de s’achever brusquement après dix mois d’exercice du pouvoir d’État. Par suite, le régime politique de Laurent Gbagbo issu du processus électoral de 2000 n’a pas connu bien meilleure fortune. En effet, dès septembre 2002, c’est-à-dire deux années seulement après son avènement aux commandes de l’État, le régime de la Refondation faisait face à une rébellion armée, montant d’un cran l’épreuve d’instabilité politique. Cette contestation de son leadership s’est achevée avec l’arrestation de Laurent Gbagbo et la prise des commandes de l’État par Alassane Ouattara le 11 avril 2011. Ainsi, tous les régimes auront succombé à l’instabilité politique, tous, sauf celui d’Alassane Ouattara ! En effet, si quelques assauts militaires ont été enregistrés contre son régime dès les premières années de son premier mandant, les clameurs déstabilisatrices se sont définitivement tues à partir de 2017, au lendemain de l’entame de son second mandat. L’année 2020 marque ainsi la fin de son second mandat avec en perspective l’organisation de nouvelles élections qui verront certainement le passage du flambeau à un nouveau leadership politique. Comment peut-on expliquer la stabilité politique et sociale observée en Côte d’Ivoire sous la gouvernance Ouattara entre 2011 et 2020 ? Cette communication interroge les déterminants de la stabilité politique et sociale depuis l’avènement du régime Ouattara. Ce faisant, elle soupçonne le recours par l’unique Premier ministre du président Houphouët-Boigny à la maxime et à la pratique politique « Divide ut regnes », aussi vieille que le monde, formalisée par Philippe II.
- Ousmanou Nwatchock A Birema, Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC) et Christel Dior Tamegui, Université de Rennes : « Les « gouvernements perpétuels » d’Afrique centrale face à l’hégémonie libérale : dissonances idéologiques et bricolages diplomatiques »
Trente années après la chute du Mur de Berlin et les démocratisations cosmétiques qui ont travaillé les systèmes de gouvernance africains, la question de la conversion sérieuse des pays d’Afrique centrale au libéralisme global reste d’actualité. Au-delà des simples affichages et des postures incantatoires auxquelles nous ont habitués les dirigeants de ces pays, il reste que la sous-région Afrique centrale demeure un pôle d’expérimentation de la « résistance » des pouvoirs en place aux valeurs et contraintes du libéralisme global. En ce sens, leurs trajectoires séparées semblent avoir plutôt valorisé la structuration de systèmes de perpétuation des pouvoirs en place en travestissant, dans les faits et dans les normes, les fondamentaux de la démocratie, de l’État de droit et des droits humains. Et pourtant, l’on n’a toujours pas réussi à « renverser » démocratiquement la plupart de ces régimes, lesquels ont même réussi à utiliser fréquemment la démocratie et l’État de droit contre les oppositions politiques et les peuples. Ainsi, que ce soit au Cameroun, au Tchad, au Congo, en Guinée Équatoriale ou au Gabon, l’idée de « gouvernements perpétuels » ne semble pas avoir perdu de sa substance, puisque tant sur les plans biopolitique qu’idéologique, l’on a maintenu une certaine continuité politique dont les quelques phases de troubles sociaux n’ont jamais déstabilisé. Les pouvoirs dans ces différents pays ont souvent su harmoniser le discours politique avec la docilité des armées, souvent promptes à défendre les ordres gouvernants qu’à protéger le droit dans son esprit et sa lettre. Si dans les registres internes les espaces protestataires se sont lentement réduits, on note sur le plan de la coopération internationale une montée en force de l’hostilité vis-à-vis de ces pouvoirs en place, sans que cela n’ébranle certes les stabilités politiques savamment entretenues par des armées largement acquises aux causes des dirigeants. Alors, par quels mécanismes les « gouvernements perpétuels » d’Afrique centrale réussissent-ils à se légitimer face aux « prophètes » internationaux du libéralisme ? Cette question vise à explorer les schémas de légitimation internationale des « gouvernements perpétuels » d’Afrique centrale CEMAC. Pour y arriver, nous proposons d’analyser, de façon empirique, les modalités de gestion des dissonances idéologiques entre ces régimes (Cameroun, Tchad, Gabon, Guinée Équatoriale et Congo) et la communauté internationale, promotrice du registre libéral d’une part, et d’autre part d’explorer les stratégies diplomatiques mises en place çà et là pour atténuer les effets de l’hostilité internationale à leur égard.
- Arnold Martial Ateba, Université de Yaoundé II : « Diviser l’opinion et construire l’illusion démocratique : à propos de l’interdiction/autorisation de manifester au Cameroun »
Le texte qui consacre le recours à la manifestation publique au Cameroun est la loi n° 90/055 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et manifestations publiques. Dans son contenu, cette loi définit le régime juridique des manifestations publiques, l’autorité compétente en la matière, les conditions à remplir et les délais à respecter pour obtenir un visa de manifester, les cas d’exception et de restriction, les possibilités de recours ainsi que les sanctions prévues. Selon ce texte, pour avoir lieu, une manifestation doit auparavant être signalée par ses organisateurs auprès du sous-préfet du territoire sur lequel ils envisagent de l’organiser. Celui-ci leur délivre un récépissé de déclaration. S’il estime que celle-ci représente une menace de trouble à l’ordre public, il peut lui assigner un autre lieu (ou itinéraire) ou l’interdire par simple arrêté qu’il notifie aux organisateurs. Dans ce dernier cas, la loi donne à ceux-ci une possibilité de recours devant les juridictions compétentes. Le problème est que, dans son interprétation, ce texte constitue l’une des principales pommes de discorde entre l’autorité administrative et les acteurs qui demandent à manifester. Deux tendances fortes s’illustrent ici. D’une part, les gouvernants et leur adeptes, le parti au pouvoir (RDPC) depuis 35 ans et ses partisans; d’autre part, ceux qui veulent manifester (le plus souvent, les partis d’opposition (SDF, MRC) et leur partisans) pour revendiquer. Il faut noter que, soupçonnées de trouble à l’ordre public, la quasi-totalité des manifestations publiques sollicités par les membres de l’opposition sont systématiquement rejetées et leurs marches, interdites. À l’inverse, les marches des adeptes du parti au pouvoir et des soutiens du gouvernement sont autorisées. Pour les partisans du parti au pouvoir et du gouvernement, le Cameroun a des institutions démocratiques qui fonctionnent normalement et c’est dans ce cadre que sont traités les problèmes de la Nation. Ce n’est pas à la rue d’en décider. Pour ceux qui veulent manifester, les interdictions de manifester, qui plus est prise par des Sous-préfet inféodés au parti au pouvoir sont inconstitutionnelles et anti-démocratiques. Cette recherche vise, à travers une approche interactionniste, à soutenir l’argument que cette confrontation des opinions à la liberté de manifester est soutenue et entretenue par les gouvernants en place en vue de construire, sous des dehors apparemment irréprochables, l’illusion démocratique.
- Guy Beaudry Jengu Jengu, Université de Yaoundé II : « Diviser le net pour perdurer aux commandes de l’État: les gouvernements perpétuels face aux défis des réseaux socionumériques »
Internet en général et les réseaux socionumériques en particulier ont permis l’apparition d’un nouvel espace public que l’imaginaire public tend à croire hors de portée de l’action des États d’Afrique noire. C’est ainsi qu’on a pu voir ces plateformes servir de base de lancement à de nombreux mouvements contestataires calqués sur le modèle des printemps arabes, succès en moins. Toutefois, à la faveur des récentes élections présidentielles dans cette zone du Sud du continent africain, on a pu se rendre compte que les gouvernants en quête d’éternité au pouvoir ont mis en place les moyens de contrôler l’espace social numérique au même titre que les autres secteurs de la vie sociale. Le biopouvoir de Foucault s’est exercé sur internet dans une entreprise de capture et de régentation des espaces virtuels d’expression et de coordination de l’opposition politique. C’est de cette dynamique dont nous voulons rendre compte à partir de l’étude des usages de Facebook et de Whatsapp au Cameroun durant la campagne présidentielle de 2018. La « démocratisation ambivalente » est également mise en évidence entre ouverture et pluralisme apparents et fermeture et autoritarisme réels.
20 mai 2021 @ 13h30-15h00
A03. La (dé)mondialisation imaginaire : crises globales ou crise de la mondialisation? Identité, légitimité, souveraineté
Responsables: Marjolaine Lamontagne, Université McGill (marjolaine.lamontagne@mail.mcgill.ca) et Charles Berthelet, UQAM
Descriptif de l’atelier :
La mondialisation en tant que processus d’intégration est un thème privilégié de l’économie politique et a été amplement étudiée du point de vue de ses conséquences pour la souveraineté étatique, tant dans sa dimension juridique que politique (relative à l’effectivité). Or, tout processus de construction ou d’intégration économique, juridique et politique comporte aussi sa dimension symbolique et imaginaire (Bouchard, 2019). Celle-ci rappelle que la souveraineté étatique est inhéremment sous-tendue par des enjeux d’identité (les frontières discursives et imaginées de la communauté politique et son rapport au monde et aux autres communautés [McSweeney, 1999]) et de légitimité (la reconnaissance symbolique et pratique de l’autorité politique, telle qu’elle s’aligne ou non avec la répartition légale des compétences ou des pouvoirs [Sending, Pouliot et Neumann, 2015]). Pour plusieurs, les dynamiques constitutives de la mondialisation ont consacré l’obsolescence du modèle de l’État-nation territorial, ou entraînent du moins son dépassement progressif à mesure que se constitue un imaginaire global transcendant les frontières étatiques et porteur de nouvelles identités et légitimités, voire de nouvelles formes de (post)souveraineté (Beck, 2014). Lorsque surviennent des bouleversements d’une envergure globale comme les changements climatiques ou la pandémie de COVID-19, cet imaginaire mondial et sa construction graduelle semblent mis à rude épreuve. Plusieurs questions complémentaires se posent alors à l’observateur attentif. Existe-il déjà un imaginaire mondial suffisamment constitué pour que ces événements soient envisagés comme de véritables crises globales, ou ceux-ci n’entraînent-ils pas plutôt la mondialisation vers une crise accentuée par le manque de résilience ou l’absence de son imaginaire intégrateur et fédérateur ? Cet imaginaire mondial demeure-t-il encore à construire ou a-t-il déjà entamé son déclin ? La montée du populisme antimondialiste ou le retour du nationalisme et du protectionnisme économiques offre-t-il de surcroît un avant-goût d’une « démondialisation » imaginaire ? En temps de crises, quelles identités ou légitimités cet imaginaire fournit-il aux acteurs et entités politiques domestiques autant qu’interétatiques, et quelles réactions ou contestations suscite-t-il ? Le but premier de cet atelier est d’inviter les participants à réfléchir personnellement et collectivement à ces questions et à y offrir leurs perspectives et réponses partielles. En vue d’éviter à la fois certains des pièges du nationalisme et du mondialisme/cosmopolitisme méthodologiques, l’atelier invite en outre ses participants à considérer du point de vue de ses implications imaginaires et symboliques une perspective « à paliers multiples » (Hooghe et Marks, 2003). En effet, à l’ère de la mondialisation et particulièrement en temps de crise(s), les identités et les légitimités politiques se concurrencent, se contestent et se déplacent entre plusieurs « niveaux » d’autorité ou de souveraineté territoriale, en faisant notamment place à divers régionalismes (locaux et sous-continentaux). Combien de villes « globales » ne se réclament-elles pas, par exemple, d’une identité mondialisée ou d’une légitimité d’action qui leur proviendrait de leur appartenance à la sphère globale en dépit même des politiques de leur État souverain ? Peut-on alors affirmer que la démondialisation entraînerait nécessairement un retour à la nation, et, inversement, le dépassement de cette dernière équivaudrait-il inévitablement à un élan vers la mondialisation ?
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A03.1 – De l’économie politique à l’économie symbolique de la mondialisation
Présidence du panel: Marjolaine Lamontagne, Université Mcgill et Charles Berthelet, UQAM
***Ce panel est annulé et le début de l’atelier 3 aura lieu à 10h30, mercredi le 19 mai 2021***
19 mai 2021 @ 8h30-10h00 -
A03.2 – Imaginaires (inter)nationaux et gouvernance à paliers multiples (1): Les voies/voix de la (post)souverainté
Présidence du panel: Florence Faucher, Institut d’études politiques de Paris
Communications :
- Marjolaine Lamontagne, Université Mcgill et Charles Berthelet, UQAM
Mot d’ouverture
- Stéphane Paquin, ENAP : « La mondialisation : une maladie imaginaire »
Depuis une trentaine d’années, on a tendance à amplifier, parfois grossièrement, la portée de la mondialisation et à en déformer la réalité. Selon plusieurs, l’accélération de la mondialisation conduit à l’avènement d’un monde « sans frontières », exacerbant la concurrence entre les nations. Ces critiques face à la mondialisation sont-elles justifiées ? C’est en examinant les données sur la performance économique et sociale des pays sociaux-démocrates et libéraux, en décortiquant la situation de l’emploi et en expliquant les inégalités qui y sévissent que nous pouvons cerner la portée de la mondialisation dans nos vies. Les conclusions sont claires : l’État-providence est bien vivant et la social-démocratie est toujours le modèle économique et social le plus performant.
- Charles Berthelet, UQAM : « En Vert et contre l’État (souverain). De la protodiplomatie à la paradiplomatie contestataire : conflits de souveraineté, souverainetés conflictuelles »
À la suite des processus d’autodétermination externe entamés au Québec dans la foulée des référendums de 1980 et de 1995, les deux premières décennies du 21e siècle (2000-2020) ont aussi permis d’observer plusieurs cas d’un phénomène connu sous le nom de « protodiplomatie », soit des actions et des relations internationales conduites par une entité gouvernementale non souveraine dans le but explicite d’obtenir le statut d’acteur souverain sur la scène internationale – et donc de faire sécession de l’État central souverain duquel elle était jusqu’alors en partie constitutive. En des circonstances très éloignées, les représentants du Kosovo ou du Kurdistan d’une part, et ceux de la Catalogne et l’Écosse d’autre part, ont par exemple mis en pratique l’instrumentalisation ou la mobilisation des ressorts internationaux de leur entité gouvernementale respective (officielle ou non) afin de faire valoir et reconnaître la légitimité de leur revendication à la pleine souveraineté étatique et internationale autant que d’assurer – avec ou sans succès – l’effectivité d’une déclaration de souveraineté par le biais de cette même reconnaissance. Or, la protodiplomatie, considérée à la fois comme une activité distincte et comme une sous-catégorie de la paradiplomatie (laquelle ne vise généralement pas la sécession), est souvent perçue comme la forme la plus conflictuelle du second phénomène et celle qui, presque nécessairement, engage la plus forte contestation de la souveraineté territoriale établie d’un État reconnu comme souverain par ses pairs internationaux (eux-mêmes « souverains »). La présente communication met en question cette impression largement partagée en proposant que la paradiplomatie, du moins dans ses formes les plus autonomes et affirmées, se trouve à contester de manière plus profonde et fondamentale le principe westphalien de souveraineté territoriale (alors comprise comme indivisible et unitaire) tel qu’encore appliqué – du moins dans les discours et les règles explicites – au sein du système hiérarchique international et des instances officielles de la gouvernance mondiale. À l’aide d’indicateurs couvrant les trois dimensions (idéationnelle, institutionnelle et relationnelle) de la souveraineté telles que soulevées par de larges pans de la littérature académique, les cas de la Californie (2016-2018) et du Québec (2006-2012) serviront à illustrer cette proposition de recherche et à en vérifier la pertinence dans la mesure de l’affirmation et de l’implication respectives de leur gouvernement fédéré dans la lutte globale contre les changements climatiques. Alors qu’ils y ont tous deux ouvertement contesté les orientations politiques et diplomatiques de leur gouvernement fédéral « souverain », ces cas de « paradiplomatie contestataire » montrent néanmoins que l’intégration des entités gouvernementales non souveraines au sein des instances de la mondialisation politique tarde à se concrétiser et que, même lorsque leur présence accidentelle semble jouir d’une certaine légitimité pratique (voire idéelle), celle-ci porte assez peu atteinte aux principes constitutifs régulateurs de l’ordre mondial westphalien.
- Marjolaine Lamontagne, Université McGill : « La Souveraineté mise en pratique et le partage fédératif des pouvoirs. Les représentants de la Flandre et du Québec au sein de l’Union européenne, de l’UNESCO et de la Francophonie »
Les représentants de gouvernements « non souverains » sont de plus en plus nombreux à intervenir dans les « grands débats » de la politique mondiale et à dépêcher des délégations auprès des forums multilatéraux où ces débats sont tenus. Ce faisant, ils pénètrent un univers social où leur légitimité de parole et d’action n’est pas reconnue d’emblée. Parce ce qu’elle remet en cause l’unité politique (au plan de la gouvernance) et l’unité nationale (au plan de l’identité et des intérêts qui en découlent) de l’État souverain à l’étranger sans pour autant revendiquer l’indépendance politique de leur entité fédérée, la présence de représentants « non souverains » au sein d’instances multilatérales s’inscrit dans un vaste processus de « reconfiguration » de la souveraineté étatique à l’ère de la mondialisation, alors que diverses élites sociétales cherchent à redéfinir les contours symboliques de l’agir collectif légitime sur la scène internationale. Si les dimensions « macrosociales » – soit institutionnelles et identitaires – de la paradiplomatie bilatérale ont jusqu’ici fait l’objet de nombreuses études, ses dimensions « microsociales » – c’est-à -dire, sa mise en pratique et les nombreux rapports de pouvoir et conflits symboliques qui la sous-tendent – n’ont jamais été rigoureusement analysées, particulièrement en contexte multilatéral où cette pratique est présumément étroitement « encadrée » par l’État central. La présente étude comparative fait appel aux « théories de la pratique » en RI et se fonde sur une trentaine d’entretiens avec des représentants (para)diplomatiques des gouvernements canadien, québécois, belge et flamand auprès de l’UNESCO, de la Francophonie et du Conseil de l’Union européenne afin d’analyser la mise en pratique de la souveraineté et le partage fédératif des pouvoirs en contexte multilatéral.
- Geneviève Nootens, UQAC : « La Nation comme mode d’explication ? »
La présente communication s’intéresse au statut accordé à la nation comme facteur d’explication des ressorts de la solidarité collective. Elle part du constat que dans nombre de thèses (y compris libérale), le statut accordé à la nation tend à confondre les causes avec les conséquences. Ainsi, par exemple, dans une thèse comme celle de David Miller, la nation apparaît comme facteur d’explication de la solidarité alors qu’elle est construite dans le cadre soit de la consolidation de l’État, soit de la contestation de ce dernier par des nationalismes minoritaires. Autrement dit, la nation moderne est intimement liée à un ensemble de processus ayant conduit à la consolidation de l’État comme forme d’organisation des rapports publics de pouvoir. La communication propose que la mise en perspective du statut de la nation comme mode d’explication permet de considérer la question d’un éventuel ‘délitement’ collectif d’un autre angle et de s’interroger plutôt sur les phénomènes plus larges qui remettent en cause la manière dont le politique a été pensé et organisé dans la modernité. Non pas que le discours national ne soit plus important, valable, ou présent; au contraire, il dispose d’une efficacité symbolique certaine, particulièrement dans un contexte économique plus difficile. Cependant, je proposerai que si on veut contribuer à expliquer la transformation des fondements de la vie collective et la redéfinition des frontières symboliques et sociales, il faut comprendre le discours nationaliste dans la perspective plus vaste de la politique contestataire et de la transformation de l’organisation des rapports de pouvoir.
19 mai 2021 @ 10h30-12h00 -
A03.3 – Imaginaires (inter)nationaux et gouvernance à paliers multiples (2): multi-niveaux et identités multiples
Présidence du panel: Félix Mathieu, Universidad Pompeu Fabra
Communications :
- David Carpentier, Université d’Ottawa : « La Politique d’intégration des personnes immigrantes de la Ville de Montréal (2005-2019) : ou la valse-hésitation entre multiculturalisme et interculturalisme »
Dans les sociétés ouvertes à l’immigration, une part importante des nouveaux arrivants et nouvelles arrivantes décident de s’installer dans les centres urbains. Ces derniers représentent historiquement pour ces populations des espaces politiquement significatifs pour leur accueil, leur intégration et l’exercice de leur citoyenneté. À cet effet, la plupart des grandes métropoles en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest ont développé récemment une action publique pour répondre aux besoins et aux revendications que leurs transformations démographiques induisent. Dans la littérature académique, ce « tournant local » des politiques d’intégration des personnes immigrantes soulève une problématique centrale, à savoir la congruence entre les politiques municipales et les politiques nationales. En outre, il est possible de se demander si les métropoles se font le relai ou non du discours des autorités gouvernementales sur l’intégration, lequel contribue à fixer les conditions de l’appartenance à la communauté politique nationale. Dans cette communication, j’explore cette problématique à partir de l’analyse de la politique informelle d’intégration des personnes immigrantes de la Ville de Montréal entre 2005 et 2019 – une période suivant les réorganisations structurelles de la municipalité et peu étudiée dans la littérature. Même si la métropole adhère officiellement aux orientations définies par le gouvernement du Québec, plusieurs évènements ont récemment révélé l’inconfort des autorités montréalaises à leur endroit. Je propose que cette situation trouve une explication dans la concurrence sur le territoire de la Ville de Montréal et au sein de son administration entre deux modèles nationaux d’intégration aux principes contradictoires : l’interculturalisme québécois et le multiculturalisme canadien. Je soutiens que si plusieurs acteurs et actrices du milieu municipal adhèrent officiellement aux principes associés à l’interculturalisme québécois, jamais ces derniers n’ont véritablement été traduits dans les pratiques de l’appareil municipal, lesquelles reflètent plutôt une préférence pour le multiculturalisme canadien. Pour ce faire, je m’inspire sur le plan théorique du modèle des coalitions plaidantes (« Advocacy Coalition Framework »), lequel rend compte de la valeur explicative des idées et des croyances dans la mobilisation des acteurs et actrices en vue de façonner la politique montréalaise d’intégration. La réalisation de quatorze entretiens avec des acteurs et actrices du milieu municipal permet de cartographier les protagonistes de la politique publique et de mettre en lumière l’importance du sens qu’ils et elles construisent autour des notions d’interculturalisme et de multiculturalisme. En cela, l’analyse de ces entretiens montre l’influence sur la politique montréalaise d’intégration d’une coalition d’acteurs et actrices préférant le multiculturalisme, malgré les stratégies renouvelées d’une coalition favorable à l’interculturalisme afin d’y transposer sa vision. Généralement associée à la classe politique municipale, la première coalition semble rejeter l’interculturalisme ou l’idée d’une intégration à la société québécoise en raison de son caractère prétendument trop contraignant et homogénéisant.
- Charles Berthelet, UQAM et David Carpentier, Université d’Ottawa : « Une Paradiplomatie identitaire de niveau municipal ? Montréal (et Sherbrooke) au sein du Réseau international des Cités interculturelles »
Le phénomène de la paradiplomatie, soit les actions et les relations internationales des entités gouvernementales non souveraines (lorsqu’elles ne cherchent pas à faire sécession de l’État souverain), a connu à partir des années 1990 une intensification, une généralisation et même une normalisation à l’échelle mondiale. Si les entités fédérées (comme la Californie, la Flandre ou le Québec) ont été parmi les premières à s’y faire valoir et à y assoir leur présence, un nombre impressionnant de localités ou municipalités, et notamment de « villes globales », comptent depuis les années 2000 parmi les administrations publiques non souveraines les plus actives hors des frontières de leur État souverain. Un saut qualitatif – et souvent quantitatif – important est toutefois opéré lorsque ces actions et relations extérieures se trouvent porteuses de l’affirmation d’une identité culturelle ou d’un nationalisme minoritaires. Elles deviennent ainsi l’occasion d’un rayonnement et d’un renforcement de la légitimité et de la personnalité distincte d’un acteur non souverain sur la scène internationale, le plus souvent face à l’identité et à la souveraineté « unitaires » externes d’un État central. Selon Stéphane Paquin, dans le cadre d’une telle paradiplomatie, « [l]’objectif des entrepreneurs identitaires est d’aller chercher les ressources qui leur font défaut à l’interne en plus de tenter de se faire reconnaître comme nation à l’échelle internationale, processus essentiel de toute tentative de construction de la nation » (« La Paradiplomatie identitaire… », Politiques et sociétés, vol. 23, no. 2-3, 2004, p. 203). À partir des deux aspects soulevés par cette définition, la présente communication vise à élargir le spectre conceptuel de la « paradiplomatie identitaire » en supposant d’abord que la paradiplomatie puisse se faire l’instrument d’une construction communautaire à différents « paliers » ou « niveaux » de gouvernement et d’ainsi revêtir une dimension identitaire sans pour autant n’être le fait ou l’apanage que de nations minoritaires. Elle cherche ensuite à interroger le rôle que peut jouer la paradiplomatie lorsque mise au service d’objectifs qui relèvent de politiques internes qui sont elles-mêmes en lien direct avec « une » identité communautaire ou des identités collectives potentiellement concurrentes. À ces fins, l’adhésion de la métropole du Québec, Montréal, au Réseau international des Cités interculturelles (d’abord mis en place dans le cadre européen) suivie de celle de la ville québécoise de Sherbrooke seront examinées en tant que cas premier et secondaire permettant de vérifier la pertinence d’une telle proposition de recherche et d’ancrer empiriquement la réflexion théorique soutenant cette dernière. De fait, l’inscription des politiques municipales d’immigration et d’intégration dans un débat plus large concernant l’adoption et la définition d’un modèle soit interculturel soit multiculturel de vivre-ensemble au Québec et au Canada se rapporte de façon directe aux questions identitaires animant et traversant les sociétés québécoise et canadienne, de même qu’à l’image et au visage présentés au monde par les villes et les instances municipales. Les constats préliminaires que cet examen permettra de tirer serviront ensuite à la formulation d’un programme de recherche plus ambitieux portant sur la paradiplomatie identitaire et municipale.
- Virginie Hébert, Université Laval : « Débats, mythes et cadrage de l’enseignement de l’anglais : vers une démondialisation de l’imaginaire linguistique québécois ? »
La question linguistique est plus que jamais de retour au cœur du débat public québécois ; une situation fort différente d’il y a 10 ans, alors que le gouvernement québécois invoquait le contexte de globalisation pour justifier la mise en place d’une mesure d’anglais intensif pour tous les élèves francophones. « Les jeunes Québécois », disait le ministre des Finances, Raymond Bachand, « sont des citoyens du village global » (Bachand, 2011) ; l’apprentissage de l’anglais, lingua franca, leur était donc essentiel. Cette communication sera l’occasion de présenter et de mettre en perspective les résultats de notre thèse de doctorat portant sur le « cadrage » de ce débat public sur l’enseignement intensif de l’anglais (2011-2015). La thèse s’intéresse aux implications communicationnelles et sociopolitiques de ce discours sur l’anglais, langue universelle ; discours que certains qualifient de « mythe ». Elle pose la question du rôle joué par ce mythe dans le cadrage du débat et conséquemment dans l’adoption de certaines politiques linguistiques et éducatives. Ancrée dans les perspectives théoriques du cadrage (Entman, 2009 ; D’Angelo, 2018) et des mythes sociaux (Bouchard, 2019), la recherche a été réalisée selon un devis méthodologique mixte en trois phases : une enquête historique a servi à tracer la généalogie des mythes et des cadres; une analyse qualitative a permis de relever les mécanismes de cadrage (arguments, métaphores et mythes) mobilisés par les acteurs ; enfin, une analyse quantitative automatisée a servi à mesurer la présence des cadres sur un plus vaste corpus de textes. Les résultats suggèrent que le mythe de l’anglais, langue universelle est utilisé stratégiquement par certains acteurs pour cadrer l’enjeu dans une perspective « globalisante », grille de lecture ancrée dans un imaginaire mondial. Bien qu’il domine le discours de la majorité des acteurs impliqués dans le débat, ce « métacadre globalisant » est néanmoins fortement concurrencé par un « métacadre nationalisant » où la langue est présentée comme l’essence de l’identité nationale. Après avoir présenté les constats généraux de la thèse, nous nous demanderons en quoi la résurgence récente du débat linguistique fait écho à ces résultats. Les nombreux discours déplorant la hausse de fréquentation des cégeps anglophones, comme la bilinguisation des formations postsecondaires, sont-ils précurseurs d’un retour en force d’une lecture plus nationaliste des enjeux linguistiques ? Serions-nous à l’aube d’une démondialisation de l’imaginaire linguistique québécois ?
19 mai 2021 @ 13h30-15h00 -
A03.4 – Conférence de clôture: Gérard Bouchard
Le Pouvoir des mythes sociaux et nationaux
Le but de l’exposé est de mettre en lumière le pouvoir causal (ou explicatif) des mythes sociaux et nationaux dans la structure et le devenir d’une société, en interaction avec un ensemble d’autres facteurs. Une première partie portera sur la définition et les fonctions de ces mythes tout en faisant ressortir leurs propriétés contradictoires. Une autre partie illustrera leur impact socioculturel à l’aide de quelques exemples – dont le Québec. Une troisième partie s’interrogera sur l’héritage éventuel de la pandémie (donnera-t-elle naissance à de nouveaux mythes ?). En conclusion, l’exposé abordera, mais très brièvement, la question de l’État et de l’avenir des mythes nationaux en contexte de mondialisation.
19 mai 2021 @ 15h30-17h00
A04. Manières de croire et/ou d’appartenir. Itinéraires religieux, fluctuations des revendications d’appartenance religieuses et modulations des pratiques au cours des trajectoires individuelles
Responsables: Solveig Hennebert, Université Lumière Lyon 2 et Laboratoire Triangle (solveig.hennebert@univ-lyon2.fr) et Nancy Venel, Université Lumière Lyon 2 et Laboratoire Triangle
Description de l’atelier :
Les relations entre religions, croyants et Etat sont au cœur des débats politiques et médiatiques. Cependant, on tend à penser de manière figée et unifiée la pluralité des personnes croyantes ou assimilées alors même que les processus d’identifications sont multiples, et que certains se voient attribuer une identité religieuse dans laquelle ils ne se reconnaissent pas sur la base de critères discriminatoires. Que l’image soit positive ou négative, l’ensemble des individus identifiés à un groupe religieux sont considérés uniformément comme en atteste par exemple la figure mémorielle supposée héroïque des protestants pendant la Seconde Guerre Mondiale, fondée sur l’exemple de Chambon-sur-Lignon (Gensburger, 2002).
Or le fait religieux contemporain s’exprime au travers d’une dispersion des croyances et d’une dérégulation institutionnelle. Certains auteurs parlent de la « fin des identités religieuses héritées » (Hervieu Léger, 1999), la religion s’appréhendant de moins en moins comme une norme imposée de l’extérieur, comme un automatisme hérité par filiation que comme une expérience personnelle autorisant de multiples bricolages avec les normes religieuses. Si la scène religieuse contemporaine apparaît en profond mouvement, les itinéraires religieux individuels le sont tout autant. Toutefois, on ne prête pas assez attention à la manière dont les modalités d’appartenance religieuses et l’expression des croyances peuvent évoluer en fonction des expériences traversées au cours d’une même trajectoire. Une littérature non négligeable existe sur ce que l’on appelle « les convertis » (Allievi,1999 ; Mossiere, 2013), des recherches ont été menées depuis plusieurs décennies sur les couples mixtes (Streiff-Fénart, 1989 ; Le Pape, 2008), mais peu de travaux s’intéressent aux processus même de sorties de la religion (Ebaugh, 1988), aux périodes de mise en veille etc… Les rapports à la religion sont pourtant loin d’être fixés une fois pour toute. Ils sont pluriels, protéiformes et toujours susceptibles d’évoluer, dans un sens ou dans un autre (vers davantage de pratique ou au contraire un retrait de celle-ci) et ce toujours en fonction de l’expérience singulière de chacun et des situations vécues.
Il s’agit d’interroger dans le cadre de cet atelier les conditions de l’appropriation de la référence religieuse au croisement des socialisations des acteurs concernés, du contexte et des relations. L’analyse des modalités d’appropriation semble centrale pour comprendre comment on en vient à « adhèrer » ou à rejeter telle ou telle croyance, institution religieuse, groupe religieux, etc. Il s’agit ainsi de mettre la focale sur la labilité des appartenances religieuses que l’on a souvent tendance à figer dans le temps et à mettre en lumière les processus à l’origine de ces rapports évolutifs au religieux, les logiques de ces itinéraires et des éventuels désengagements de la religion. L’atelier propose d’explorer les conditions d’adhésion, d’acceptation, d’ajustements, d’adaptations ou encore de conformation, d’arrangements, d’ajustements, d’accommodements des individus à la référence religieuse et aux groupes religieux. Cet atelier entend mettre en discussions des communications basées sur des enquêtes empiriques ou des expériences de terrain permettant de mettre à jour la diversité des pratiques d’appropriations religieuses individuelles et collectives et soulever des questions méthodologiques propres à cet objet.
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A04.1 – Introduction de l’atelier
Présidence du panel: Félix Mathieu, Universidad Pompeu Fabra
Communications :
- Solveig Hennebert (Triangle/ Lyon 2) et Nancy Venel (Triangle/ Lyon 2) : «Penser et étudier la labilité des revendications et sentiments d’appartenances religieuses »
- Marie Janot-Caminade (Doctorante ISP/ Paris-Ouest Nanterre La Défense): « L’évolution des rapports à la religion dans le récit de vie de Germaine R : entre « incidences biographiques » et « registre de justification » a posteriori »
Cette communication se propose d’examiner cette question à partir du témoignage de Germaine R, une femme alsacienne incorporée de force dans l’armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Les rapports à la religion de Germaine R sont mentionnés, dans son récit de vie, d’une part, comme le moteur – la cause – de ses engagements militants et, de l’autre, comme le résultat – la conséquence – d’événements marquants qu’elle a vécus. Ainsi, ils sont décrits aussi bien comme des « registres de justification » (Boltanski & Thévenot, 1991) que le produit d’« incidences biographiques » (Pagis, 2011). À partir des caractéristiques sociales et du parcours de vie de Germaine R, nous souhaitons démontrer que l’évolution de ses rapports à la religion est le fruit de la rencontre entre sa socialisation religieuse passée et sa position sociale présente. Si elle peut aujourd’hui ré-interpréter la cause et la conséquence d’événements qu’elle a connus pendant sa vie en fonction de la religion, c’est uniquement parce qu’elle a reçu, durant son enfance, une éducation religieuse, au sein d’une famille protestante et dans l’enceinte scolaire alsacienne-mosellane où les enseignements religieux sont obligatoires en raison du Concordat.
18 mai 2021 @ 8h30-10h00 -
A04.2 – Le rôle du stigmate dans la construction et l’évolution des manières d’appartenir à une religion
Communications :
- Sylvain Antichan, CURES/ Rouen : « Comment la « radicalisation » est-elle vue par les populations musulmanes d’un quartier populaire ? Quelques hypothèses de travail à partir d’une enquête ethnographique »
Notre communication s’appuie sur une enquête ethnographique menée dans un quartier marseillais, l’un des quartiers les pauvres de France, autour des « effets » ou, plus précisément, des appropriations des attentats et des politiques post-attentats par des populations musulmanes et assimilées. En février 2016, l’une des mosquées les plus importantes du quartier décide d’accrocher sur sa façade une grande pancarte avec un drapeau tricolore surmonté d’un message « SOS radicalisation ». En décembre 2017, l’autre grande mosquée du quartier, accusée de faire l’« apologie permanente du djihad armé », est fermée administrativement et, quelques mois plus tard, en avril 2018, son Imam est expulsé du territoire français. Conformément aux tropismes de la littérature internationale, il serait possible d’extraire de cette configuration locale des connaissances plus générales sur les processus dits de « radicalisation », sur les effets discriminatoires des politiques anti-terroristes ou encore sur les dynamiques de « politisation sous contrainte » de populations minorisées et assimilées à une « communauté suspecte ». A l’inverse, la communication se propose non pas de s’extraire mais de se centrer sur cette configuration locale. Elle vise alors à comprendre comment ces figures – la « radicalisation », les discriminations, les politiques de « promotion de la citoyenneté » – s’immiscent et prennent sens dans les relations sociales localisées et comment elles sont diversement appropriées en fonction des enjeux propres à cet espace. Autrement dit, la communication entend esquisser des réponses aux questions suivantes : Quels sont les rapports que les croyants du quartier entretiennent à ces deux mosquées a priori contrastées ? Comment les dits « radicalisés » – plutôt ici qualifiés de « purs » ou de « durs » – sont-ils perçus par leurs voisins ? Comment ces derniers se distinguent-ils des « durs », tout en partageant parfois avec eux certaines orientations théologiques et politiques ? Comment ces acteurs s’approprient-ils les politiques de lutte contre la « radicalisation » en fonction de leur propre univers de sens et d’intérêt ? Par ce biais, la communication se propose d’explorer à l’échelle locale la labilité des appartenances religieuses ainsi que les rapports à l’action publique et à l’Etat de ces populations. Elle vise ainsi à analyser au concret les logiques de rejet, d’adhésion et d’accommodement à des pratiques religieuses et politiques.
- Benjamin Dubrulle, Césor / EHESS : « Croire et être cru.e : trajectoires de musulman.e.s homosexuel.le.s en Europe »
Les populations musulmanes et homosexuelles sont souvent représentées comme deux populations distinctes, homogènes et dont les intérêts seraient en compétition vis-à-vis de l’Etat. En Europe, les controverses autour des droits sexuels contribuent à stigmatiser des populations musulmanes qui seraient plus sexistes et homophobes que la moyenne (Pasquier, 2016), faisant figure d’altérité au sein de nos démocraties sexuelles contemporaines (Fassin, 2010; Mepschen et al, 2010). Par ailleurs, les communautés LGBTIQ+ majoritaires nourrissent un rapport ambigüe aux populations issues de l’immigration, entre mouvement de solidarité aux réfugiés et rejet du religieux comme conséquence de l’homophobie, fétichisation sexuelle des personnes racisées et progression de l’homonationalisme (Shepard, 2018). Dans un tel contexte, comment se construire en tant que musulman.e.s homosexuel.le.s ? Mais aussi, à une époque où le religieux est compris comme un ensemble de croyances et de pratiques individuelles que les acteurs pourraient choisir et remettre en cause au sein d’un vaste marché pluriel (Roy, 2008) : pourquoi se construire comme musulman.e.s homosexuel.le.s ? Nourrie par une enquête ethnographique consistant en des périodes d’observation participante répétées au sein d’associations LGBTIQ+ musulmanes en France et au Royaume-Uni et des entretiens individuels, cette communication s’intéressera plus particulièrement aux trajectoires de quatre participant.e.s.
18 mai 2021 @ 10h30-12h00 -
A04.3 – Revendications d’appartenances, manières d’appartenir et variétés des identifications à une religion au cours de trajectoires individuelles
Communications :
- Nancy Venel, MCF Lyon 2 / Triangle : « Les converti.e.s de l’islam. Conditions et modalités d’appropriation de nouvelles références religieuses. Une comparaison de converti.e.s évangéliques et de converti.e.s catholiques »
Si la scène religieuse contemporaine apparaît en profond mouvement, les itinéraires religieux individuels le sont tout autant. Il s’agit ici d’étudier les trajectoires d’ancien.e.s musulman.e.s converti.e.s soit au catholicisme soit au protestantisme évangélique. Cette communication se base sur une recherche qualitative démarrée en juin 2019 et toujours en cours actuellement. Elle vise à comprendre les processus de sorties de la religion d’origine tout autant que ceux qui conduisent à l’’entrée dans une nouvelle tout en prêtant attention à la convertibilité de celles et ceux sur lesquel.le.s la conversion s’exerce. Les conditions de l’appropriation de la référence religieuse catholique ou évangélique seront appréhendées au croisement des socialisations des acteurs.ices concerné.e.s, du contexte et des relations sociales dans lesquels ils/elles sont impliqué.e.s. Comment en vient-on à rejeter sa religion d’origine ? De quelles manières en vient-on à adhérer et à s’ajuster à une nouvelle référence religieuse ? Quelle place parvient-on à se forger dans le nouveau groupe religieux? Que s’approprie-t-on de cette nouvelle religion ?
- Géraldine Mossière : « Parcours de jeunes musulmans au Québec entre appropriation de l’islam et identités alternatives »
À cette étape charnière de la vie que constitue le passage à l’âge adulte, la variable religieuse peut représenter une ressource particulièrement signifiante pour construire les identifications individuelles et leurs appartenances sociales. Dans cette communication, nous décrivons les parcours et modes d’appropriation de l’islam de nouveaux musulmans ou de jeunes se disant attirés par l’islam que nous avons rencontrés lors d’une étude ethnographique menée au Québec de 2014 à 2019. En examinant le rôle de l’islam dans leur expérience subjective du quotidien et dans leurs solidarités collectives, nous présentons d’abord les divers profils de jeunes qui émergent de nos données. Puis nous présentons le cas de jeunes pour qui le choix de l’islam s’inscrit dans un positionnement politique et dans des dynamiques d’engagements voire d’actions sociales que l’islam permet de mettre en forme et d’exprimer. Nous montrons que ces parcours d’entrée dans l’islam produisent des identités alternatives qui s’appuient sur une variété d’interprétations de l’islam.
18 mai 2021 @ 13h30-15h00
A05. Profession politique : dimensions matérielles, dimensions symboliques
Responsables: Rémy Le Saout, Université de Nantes, Anne Mévellec, Université d’Ottawa (mevellec@uottawa.ca) et Sébastien Ségas, Université Rennes 2
Description de l’atelier :
En tant que résultat d’un processus de différenciation et de spécialisation sociales, l’exercice du pouvoir politique conduit progressivement les élus à faire de l’activité politique une activité autonome relevant d’un univers de règles, de croyances et de rôles propres [Offerlé, 1999, Gaxie, 2001]. Si le processus de professionnalisation de l’activité politique est relativement bien renseigné [Michon & Ollion, 2018] différentes dimensions demandent à être investiguées. C’est dans cette perspective que s’inscrit cet atelier. Trois axes d’entrée sur l’objet seront plus particulièrement retenus. Le premier consiste à considérer l’activité politique professionnelle comme une profession ordinaire. Appréhender l’activité politique comme une profession « comme les autres » autorise, entre autres, à étudier les conditions matérielles de la « carrière » : comment les élus vivent matériellement de la politique ? Quels rapports subjectifs entretiennent-ils avec « l’argent du mandat » ? Comment font-ils face aux défaites et aux éventuelles pertes de revenus qu’elles engendrent ? L’entrée par la profession invite également à analyser les processus de formation et d’accumulation des savoir-faire : où et comment les élus sont-ils formés au métier politique ? Quels sont les savoirs prisés et les compétences recherchées ? Le second axe offre l’occasion d’interroger ceux qui ne participent pas totalement aux logiques de professionnalisation et qui répondent plutôt à la figure du gifted amateur. À ce titre, les contextes infranationaux, notamment municipaux, illustrent généralement que loin de la figure de l’élu qui, vit de et pour la politique, la très grande majorité des élus, lorsqu’ils ne sont pas retraités, exerce une activité professionnelle parallèlement à leur engagement politique. Pour ces élus, pouvoir vivre de la politique renvoie à des articulations entre activité professionnelle et engagement politique souvent délicates à opérer, génératrices de tensions, et difficilement soutenables dans le temps. Comment s’organisent et se structurent ces articulations ? Quelle place occupent les conjoints dans ces arbitrages ? Le statut de retraité, notamment par le temps qu’il libère, confère-t-il un rapport particulier à l’exercice des mandats ? Enfin, questionner la professionnalisation du champ politique implique également d’en explorer la dimension symbolique. L’étiquette de « professionnel de la politique » peut, dans certains contextes, constituer un véritable stigmate : la figure du « professionnel » à la fois éloigné des réalités du terrain et uniquement préoccupé par des enjeux corporatistes et électoralistes fonctionne alors comme un repoussoir. Cette étiquette peut être utilisée comme une arme rhétorique dans le cadre de la compétition politique pour délégitimer l’adversaire. À ce titre, ceux qui vivent de et pour la politique à plein temps peuvent être amenés à mettre en place de stratégies visant à contrôler et atténuer les signaux qui indiquent leur haut niveau de professionnalisation. L’atelier envisage de mobiliser ces questionnement sur une diversité de contextes nationaux et d’échelles de représentation, tout en invitant à décloisonner plusieurs sous-champs de la science politique. Autrement dit, on souhaite ici faire discuter des travaux portant sur plusieurs échelons de représentation politique (parlementaires et municipaux) souvent étrangers les uns des autres, tout en intéressant plusieurs disciplines connexes : la sociologie, les études des genres, l’histoire ou encore le droit, etc.
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A05.1 – Profession politique, dimensions matérielles
Président.e. : à déterminer
Discutante : Laurence Bherer, Université de MontréalCommunications :
- Pauline Chevalier, CERAPS, Université de Lille. La figure du conseiller départemental, entre cumul des mandats et activité professionnelle. Parcours d’élu.e.s
Les conseiller·e·s départementaux·ales sont des élu·e·s locaux·ales à l’intersection des mandats électifs en France. Elu·e local·e proche des maires, le scrutin uninominal (devenu binominal), les rapproche de la figure du député, avec la possession de ressources notabiliaires plus ou moins importantes. Parmi les conseiller·e·s départementaux·ales, on retrouve des profils très divers, au sein d’une même assemblée et au niveau national. Assemblées paritaires depuis le dernier renouvellement en 2015, elles ont connu un profond renouvellement. Regroupant à la fois des élu·e·s expérimenté·e·s, qui vivent pour et de la politique depuis plusieurs mandats, et des élu·e·s dont l’entrée en politique est relativement récente, ces assemblées sont hétérogènes. Toutefois, le mandat départemental se distingue du mandat municipal à plusieurs égards. Les élu·e·s à cet échelon expérimentent très souvent le cumul avec un mandat municipal, ce qui renforce un processus de professionnalisation. Ce processus est doublement renforcé lorsque l’élu·e départemental·e cumule avec un mandat municipal et intercommunal. Il apparaît toutefois inachevé par la conservation, volontaire, d’une activité professionnelle par certain·e·s élu·e·s, que ce soit dans le secteur public ou privé. Le mandat départemental est structuré comme un mandat « de journée », dans le sens où de nombreuses réunions ont lieu entre 10h et 17h, du lundi au vendredi, par contraste avec les réunions municipales ou intercommunales, très souvent concentrées le soir. Dans le cas d’une activité professionnelle, les adaptations sont nécessaires. Dans quelle mesure les élu·e·s sont-il·elle·s alors maître·sse de l’organisation de leur emploi du temps ? Subissent-il·elle·s le rythme de l’institution ? Qu’en est-il alors du temps professionnel qui, selon les professions, obéit aussi à certaines contraintes ? Les expériences des élu·e·s interrogé·e·s et l’observation de la situation dans plusieurs départements montrent que le soutien, ou au contraire, l’opposition de l’employeur à l’engagement politique de son employé·e conditionnent, si ce n’est la poursuite de la carrière politique, tout du moins son déroulé. Finalement, les élu·e·s départementaux·ales se situent dans un entre-deux, entre professionnalisation entamée et activité professionnelle conservée. L’exercice du mandat entraîne soit une professionnalisation accrue soit un statu quo, voire l’arrêt de l’engagement politique. La conservation ou non de l’activité professionnelle, sans être l’unique facteur d’explication (on pense ici au déroulé du mandat et à l’intégration du rôle, mais aussi à la vie familiale), peut être déterminante.
- Juliette Bresson, CERAPS, Université de Lille. L’apprentissage genré du métier de député.e par les novices du groupe LRM à l’Assemblée nationale
La majorité présidentielle de 2017 a marqué une relative déstructuration de l’espace parlementaire avec l’entrée au centre de personnes hors champ avant leur élection. Construit autour de la promesse d’un renouvellement de la classe politique vieillissante, par une ouverture à celles/ceux qui ne sont pas du métier, le groupe parlementaire LRM succède à un système revisité de candidatures, qui s’inscrit autant dans le contexte de professionnalisation de la politique qu’il le rejette. Si l’entrée de député·e·s revendiquant l’identité stratégique et floue d’appartenance à la « société civile » ne s’accompagne pas d’un renouvellement social du parlement, la législature de 2017 reste atypique. La singularité du groupe, qui prend la forme d’une coalition éclatée avec l’agrégation de membres pluriels, permet une forme de renouvellement des questions inhérentes aux travaux sur les élu·e·s, en termes d’apprentissage du métier notamment. Je propose ici d’étudier les conditions d’une entrée précipitée au centre par le prisme du genre. D’abord, parce que ce sont les femmes qui ont davantage endossé la responsabilité de cette symbolique de la « normalité » du profane (jeunesse, ruralité, etc.). La candidature au métier de député·e s’avère être plus souvent une rupture biographique nette pour les élues du groupe. Les études portant sur le noviciat en politique sont souvent associées aux femmes qui rentrent plus tardivement au centre du champ politique. Si je m’efforcerai de toujours nuancer et affiner la catégorie « novices » (en questionnant les dispositions professionnelles antérieures), l’entrée conjointe de député·e·s qui n’étaient pas du métier est un cadre empirique original qui me permettra de montrer que c’est souvent moins l’inexpérience qui pèse que la socialisation genrée des acteur·rices. Si l’irruption de novices permet de rendre plus sensibles les rôles qui sont parfois impensés pour avoir été rôdés et incorporés, le prisme du genre permet de faire apparaître « l’implicite » qui vient inscrire les rôles politiques dans l’économie des rapports sociaux de sexe (Bargel, 2009). À partir d’une trentaine d’entretiens réalisés entre 2017 et 2021 – dans le cadre d’un programme d’enquête de revisite – et de séquences d’observation à l’Assemblée et en circonscriptions, je tenterai de réaffirmer la nécessité de penser par le genre l’analyse du métier politique. J’expliciterai (en mobilisant plusieurs indicateurs) comment la socialisation genrée conditionne la construction de l’identité professionnelle (Demazière, 2009) des femmes novices qui est cristallisée par l’intériorisation du stigmate de la non-professionnelle. Ce cadre empirique permet aussi de mesurer plus finement ce que la politique fait aux profanes, dispositif structuré par des normes de genre. Je monterai notamment que l’apprentissage du métier passe aussi par le corps des élues. Je questionnerai aussi l’impact parfois violent de l’entrée précipitée dans le champ politique dans la sphère privée des actrices, espace qu’elles continuent de surinvestir (enjeux d’une temporalité nouvelle non compatible avec l’horloge domestique, publicité, etc). Je tenterai aussi d’opérer, toujours au prisme du genre, un retour réflexif sur la relation d’enquête (ce qui me permettra entre autres de questionner le poids de la masculinité dans l’apprentissage du métier).
- Lucile Bouré, Institute of the Americas – UCLondon. Les carrières politiques au prisme du genre : une entrée par le cas du Parlement mexicain
Bien que dans de nombreux pays, l’accès des femmes aux mandats représentatifs ait été encouragé par des lois de quota et de parité depuis les années 1990, leurs carrières politiques restent plus saccadées et inscrites dans le temps du mandat que celles des hommes (Latté, 2002 ; Tello Sanchez, 2009). Elles peinent à atteindre des postes leur permettant d’accumuler des capitaux et savoir-faire politiques valorisants afin de construire des carrières de long terme. Le Mexique en est un exemple frappant : alors que la parité y a été atteinte dans les deux chambres du Parlement et que la législation visant à lutter contre la discrimination de genre dans le champ politique y est ambitieuse, les législatrices continuent d’y rencontrer des obstacles formels et informels qui les empêchent de produire un travail politique aussi reconnu que celui de leurs collègues masculins. Cette proposition de communication, basée sur l’étude du Parlement mexicain, vise à expliquer comment, en dépit des lois favorisant la représentation politique des femmes, celles-ci continuent de rencontrer des difficultés à faire carrière en politique. Elle repose sur du matériau récolté lors de deux séjours de terrain au Mexique en 2018 et 2019, dans les deux chambres du Parlement, à travers 32 entretiens semi-directifs auprès de 24 législatrices des quatre principaux partis mexicains, ainsi que des sessions d’observation au Parlement et à l’extérieur. Elle cherche à mettre en lumière les mécanismes souvent informels qui compliquent le travail politique des femmes et font obstacle à leur professionnalisation. Cette proposition se structure autour de trois points principaux pour comprendre comment et pourquoi les femmes continuent d’éprouver des difficultés à s’approprier le travail parlementaire. Premièrement, l’accès limité des législatrices à des positions valorisées provient du maintien de réseaux informels masculins, qui entrent en jeu à deux moments-clefs des carrières législatives : lors de l’attribution des commissions, où les législatrices cherchent à accéder à des commissions qui leur permettront de développer une expertise et du capital politique ; et lors d’événements de représentation hors du Parlement, où elles ont l’occasion de s’approprier publiquement leur rôle et de se montrer comme législatrices. Deuxièmement, les parlements sont structurés de manière à favoriser des représentants bénéficiant de la division sexuelle du travail retrouvée dans des schémas hétérosexuels classiques, c’est-à-dire des hommes mariés en position de breadwinners, dégagés de toute contrainte familiale. Dès lors, les élues doivent choisir entre être une « bonne » mère, et une « bonne » législatrice (Pionchon, Derville, 2004). Enfin, la pression des réseaux de solidarité masculins et la structure organisationnelle du Parlement renforcent les mécanismes de privilèges parmi les femmes élues : alors que toutes font face aux mêmes contraintes, celles qui ont le plus de chances de construire une carrière politique sont majoritairement blanches, de classes aisées, diplômées du supérieur, âgées de 40 à 50 ans, hétérosexuelles, et élues à la majorité relative plutôt qu’à la proportionnelle. Elles sont également plus souvent sénatrices que députées.
- Rémy Le Saout, Université de Nantes. Qualifier « l’argent du mandat », une opération rare et comparée
Depuis Max Weber, dans la littérature sociologique, le processus de professionnalisation politique est associé aux possibilités qui sont offertes aux élus de vivre de leur mandat. Effectivement, les conditions matérielles d’exercice des mandats sont un élément structurant des carrières politiques. Mais « Vivre de la politique », c’est aussi inscrire des individus dans des rapports spécifiques à l’argent. Dans le champ politique, l’argent exposé et discuté prend principalement la forme des moyens financiers qui sont alloués aux institutions politiques. Cette conception budgétaire de l’argent domine tant dans la pratique que dans la recherche. En revanche, les rapports plus personnels que les élus entretiennent avec « leur » argent du politique font très rarement l’objet d’une exposition publique (où alors c’est essentiellement sous la forme de scandale) et encore moins de traitement par la recherche. S’agissant d’apprécier l’articulation entre les dimensions matérielles et symboliques de la professionnalisation politique, cette communication propose de rendre compte des points de vue que les élus portent sur l’argent de leur mandat, en mobilisant les données d’une enquête quantitative réalisée auprès d’élus français ( n = 493). L’analyse montre que les élus sont faiblement disposés à évoquer ce sujet, et que quand ils le font, ce sont avant tout ceux qui occupent des positions intermédiaires dans le champ politique qui en parlent. Dans ce cas, l’appréciation de la valeur économique du mandat relève d’un jugement qui est construit en important des références monétaires associées à leur espace professionnel.
18 mai 2021 @ 8h30-10h00 -
A05.2 – Profession politique, dimensions symboliques
Président.e : à déterminer
Discutant : Sébastien Ségas, Université Rennes 2Communications :
- Guillaume Marrel, LBNC Avignon Université, Pierre Jourlin, LIA Avignon Université et Malek Hajjem, LIA Avignon Université. E-réputation et travail biographique des élus de France dans Wikipédia
La proposition explore la médiation numérique du travail de représentation biographique des élus plus ou moins professionnalisés en France, à travers les pages personnelles et politiques de l’encyclopédie libre et collaborative Wikipédia. Elle vise à identifier et analyser les propriétés socio-politiques des élus du territoire qui disposent d’une biographie dans cette base de référence, ainsi que les conditions de production de ces récits et leurs contenus. Elle s’inscrit dans la troisième dimension de l’atelier, relative à la dimension symbolique de la professionnalisation politique et aux usages des stigmates de la professionnalité dans la compétition électorale. Wikipédia est devenue non seulement la première base de connaissances des moteurs de recherche aujourd’hui (McMahon et al., 2017), mais aussi l’une des principales bases biographiques de référence des personnalités publiques dont la notoriété justifie une notice individuelle. Bénéficiant par définition d’une certaine popularité, le personnel politique y occupe par hypothèse une place singulière. La biographie s’est “démocratisée” à la fin de l’Ancien régime et au début du XIXe siècle, avec la multiplication des supports imprimés et l’essor des dictionnaires biographiques territoriaux, sectoriels, thématiques… . Dans son “format papier”, le “dictionnaire biographique” est en tant que tel un projet éditorial de nature politique dans les démocraties naissantes (Ferret, 2019) : il participe de l’identification et de la construction sociale des “nouvelles élites” de la modernité. Dans la démocratie représentative, faire campagne, être élu et réélu, c’est se faire connaître et reconnaître. L’apparition d’un récit biographique personnel témoigne de cette publicité et participe de la professionnalisation politique. Critique ou hagiographique, autobiographique ou confié à son entourage, le texte biographique et ses réécritures révèlent différents états de cette notoriété. Il est donc pertinent d’observer comment la biographie accompagne la carrière politique. Or Wikipédia libère par hypothèse ce type de récit des contraintes éditoriales et des filtres académiques, élargissant ainsi le spectre des personnalités susceptibles d’accéder à la postérité biographique. Le format numérique et ouvert de Wikipédia autorise par ailleurs une analyse systématique des formes et transformations, de la présence nominative des élus de France dans les notices de l’encyclopédie, depuis sa création en 2001. La plateforme archive par ailleurs l’intégralité des enregistrements réalisés sur ses notices et autorise donc un suivi généalogique des controverses et des modifications auxquelles l’écriture biographique donne lieu. Cette pratique sensible fait d’ailleurs l’objet de plusieurs recommandations générales relatives aux conventions de style, harmonisées dans le “Projet biographie” de Wikipédia, mais aussi aux enjeux spécifiques des “biographies de personnes vivantes” et de “l’autobiographie”. L’enquête intègre également le projet “Mettons nos élu‧e‧s sur Wikidata !”. Pour exploiter l’immensité de son contenu, nous proposons de croiser Wikipédia, avec la Base Révisée des Élus de France (BRÉF), qui compile notamment les données socio-biographiques élémentaires du Répertoire National des Élus (RNE) du ministère de l’Intérieur. L’étude vise à recenser, comparer et interpréter les modalités d’apparition des patronymes des élus de France dans l’encyclopédie (après résolution des problèmes d’homonymie), par l’exploitation des Infobox structurée ou à l’aide d’outil d’annotation syntaxique automatique et d’extraction d’entités nommées.
- Sandra Breux, INRS-UCS et Sophie Van Neste, INRS-UCS. Les engagements bénévoles et communautaires des élu.es de Projet Montréal (2009-2017)
Au Québec, en 2004, un nouveau parti politique municipal a vu le jour à Montréal : le parti Projet Montréal. Plusieurs aspects démarquent cette formation des autres partis politiques municipaux tels qu’ils sont généralement conçus au Québec : (a) la présence d’un projet politique spécifique visant – entre autres – à réduire la place de l’automobile et à favoriser les transports collectifs et actifs; (b) la longévité du parti et ce – et malgré deux défaites successives de son chef à la mairie – et l’élection en 2017 de la première mairesse de la ville; (c) une organisation interne très structurée et la présence d’une vie militante entre les scrutins. Certains observateurs ont notamment attiré l’attention sur la composition particulière de l’équipe du parti et de ses militants qui rassemble des universitaires, des militants engagés pour des causes environnementales et des experts en urbanisme et en transport. Si les engagements dans le domaine de l’environnement voire de la mobilité sont le plus souvent associés aux partis dits « verts » ou « écologistes », Projet Montréal rejette toutefois une telle appellation. Alors que les expériences dans le domaine communautaire ou au sein d’associations sportives et de loisirs sont souvent le point de départ de la carrière d’élu.es municipaux, la composition supposée du parti Projet Montréal invite à questionner la nature des engagements des élu.es de ce parti, afin de voir en quoi, ils diffèrent ou non de ceux des élu.es des autres partis. L’objectif de ce texte est d’identifier les engagements bénévoles et professionnels des élu.es du parti politique Projet Montréal et de les comparer avec ceux des autres élu.es affilié.es à des partis politiques entre 2009 et 2017. Nous commencerons par présenter les écrits qui abordent le parcours des élu.es municipaux avant leur entrée en poste. Nous mettrons en évidence l’importance des engagements communautaires, dans le domaine des sports et des loisirs et la façon dont certaines professions permettent de développer des savoirs-faire utiles voire nécessaires, une fois entrés en poste. Nous exposerons par la suite notre démarche méthodologique. À partir d’une vaste enquête documentaire sur les 103 élu.es de la ville de Montréal durant les trois dernières élections municipales, nous présenterons la façon dont les profils des élu.es se distinguent selon leur appartenance ou non à Projet Montréal. Plus précisément, nous montrerons que les engagements dans le domaine de la mobilité, du cadre bâti et de l’environnement caractérisent une partie des élu.es de Projet Montréal. Ces profils se démarquent de ceux des autres partis où les domaines de l’administration et du commerce sont plus fréquents. Cette recherche offre ainsi un regard différent et longitudinal sur l’évolution d’un parti politique municipal, sur le projet qu’il porte et la façon dont les élu.es qui le composent contribuent à l’identité de la formation. Il offre plus précisément un regard sur la démocratie municipale et les conditions d’entrée à la fonction politique dans ce contexte.
- Anne Mévellec, Université d’Ottawa. Professionnalisation des campagnes, professionnalisation par les campagnes
Les études électorales municipales bénéficient d’un nouvel engouement dans le contexte canadien. Largement influencées par les approches états-uniennes, ces dernières cherchent à mieux cerner les déterminants du vote en adoptant des méthodes quantitatives. On propose ici de s’intéresser plutôt à l’offre électorale et à la manière dont elle se donne à voir lors des campagnes électorales. Ainsi, la façon de faire campagne devient l’objet de la recherche et non une simple variable potentiellement explicative du succès électoral. Plusieurs villes du Québec offrent des configurations intéressantes pour interroger ce moment clé de la vie politique. A contrario des autres provinces, le Québec tolère et encourage la présence de partis politiques municipaux. Or sur le terrain, les campagnes de ces partis allient des stratégies individuelles (faire élire les conseillers dans leurs districts respectifs, sur leur nom propre) et des stratégies de parti (assurer la visibilité du parti, la victoire du chef/candidat à la mairie, et celle d’un maximum de conseillers municipaux). Ces façons de faire révèlent plusieurs liens entre campagne électorale et professionnalisation. À partir d’une étude qualitative menée lors des élections municipales générales québécoises en 2017, on montrera comment la campagne électorale provoque deux formes de professionnalisations distinctes, mais non exclusives de la politique. Ici la professionnalisation est entendue plutôt sous l’aspect « métier » que sous celui de la rémunération per se. La première forme concerne les moyens de campagne dans certaines villes québécoises, en lien avec le déploiement d’outils stratégiques de campagne (recours à l’expertise, développement de logiciels de gestion de campagne, importation des stratégies de campagne états-uniennes autour des « canvassers »). Ces outils ne font d’ailleurs pas l’unanimité chez les candidats. La seconde forme se manifeste plutôt dans la place qu’occupe l’activité électorale dans l’apprentissage du rôle d’élu local. Ainsi, à la suite de travaux ethnographiques menés en Europe (France, Angleterre), les entrevues et les observations ont montré que l’activité du porte-à-porte en particulier permettait aux candidats de développer des savoirs (sur les dossiers, mais aussi sur leur territoire électoral et leurs potentiels commettants, etc.) et des savoir-faire de campagne (interactions avec les citoyens, pointage) qui alimentent aussi ceux de l’exercice du mandat en cas de victoire (prise de parole, gestion des oppositions, relations avec les médias et usages des médias sociaux, etc.).
- Sébastien Michon, CNRS (UMR SAGE). Cachez ces professionnels de la politique que je ne saurais voir. La campagne des élections municipales 2020 à Strasbourg
En France, l’une des interprétations des victoires d’Emmanuel Macron et des candidats de son parti (La République en Marche ou LaRem) aux élections de 2017 (présidentielle et législatives), a été le fort désir de renouvellement du champ politique des Françaises et des Français. C’est là faire référence à l’un des fondements de la campagne de Macron et de ses soutiens : la critique de la politique professionnelle et de la professionnalisation politique, associée à une fermeture du champ et à un entre-soi, et à un nécessaire renouvellement des élus. Si le rejet sans appel de la politique professionnelle n’est pas nouveau (Guionnet, 2005), l’ampleur de la victoire des candidats de LaRem en 2017, c’est-à-dire d’une marque politique portant ce mot d’ordre, est sans précédent sous la Ve République pour des élections nationales. La victoire de candidats totalement inconnus ou peu connus, en tout cas peu dotés en capital politique – certains n’avaient jamais réussi à atteindre un score de 5% lors de scrutins précédents –, a suscité un régime d’incertitude au sein du champ politique et d’importantes remises en question parmi les élus et plus largement ceux qui vivent de la politique. Les élections municipales de 2020 forment un « temps fort » de la vie démocratique locale (Le Bart, 2017), et les premières élections locales depuis 2017. Elles donnent ainsi l’opportunité d’éclairer l’après 2017 du point de vue de la manière donc les responsables politiques locaux s’ajustent et s’adaptent au souhait de renouvellement que les acteurs et commentateurs politiques ont identifié, et au stigmate de professionnel de la politique. En ce sens, cette proposition vise à apporter une contribution à la dimension symbolique de la professionnalisation, plus précisément sur la manière dont les responsables politiques gèrent les étiquettes et le rejet de la figure du professionnel de la politique. Elle repose sur une enquête menée à Strasbourg à l’occasion des élections municipales de 2020, à la fois sur les élus sortants et sur les candidats des principales listes en compétition en 2014 et 2020. L’enquête articule plusieurs matériaux : une prosopographie des principales listes en compétition en 2014 et 2020, le suivi de la campagne dans la presse locale, des observations de débats entre les candidats, un corpus d’interventions publiques (professions de foi, tracts, déclarations et échanges entre candidats, militants et soutiens sur les réseaux sociaux), enfin des entretiens avec des responsables de listes, des colistiers, des militants et des journalistes. La communication s’attachera à mettre en évidence le cadrage adopté pour faire référence à l’identité de professionnel de la politique et la manière dont les responsables politiques locaux se tiennent à distance de cette identité, que ce soit dans la présentation et la construction de la liste, et les présentations de soi des candidats.
18 mai 2021 @ 10h30-12h00
A06. Les gouvernements locaux de la transition écologique et du changement climatique
Responsables: Marie Hrabanski, UMR ARTDEV, CIRAD/MUSE (France) (marie.hrabanski@cirad.fr), Antoine Ducastel, Umr artdev, CIRAD /MUSE (France), Yves Montouroy, Université des Antilles, LC2S
Description de l’atelier :
La mise en politique du climat se heurte à un double obstacle. D’abord, la sectorisation des politiques publiques (Jobert; Muller, 1987) renvoie à des régulations historiquement établies (Carter ; Smith, 2008; Ford; Berrang-Ford, 2011; Jullien ; Smith, 2008). La mise en politique du climat défie donc, d’une part, les secteurs en confrontant les décisions publiques et les stratégies économiques à leurs externalités négatives à plusieurs échelles et ainsi pose la question du changement par la climatisation de ces stratégies via des politiques innovantes et/ou recyclées définissant plus ou moins explicitement de nouveaux objectifs et moyens. D’autre part, et de manière récursive, de telles mises en débat et innovations induisent de penser la régulation des secteurs de manière transversale (Hrabanski, 2020). Cette approche transectorielle (énergie, agriculture, transport…) doit permettre d’articuler et de rendre cohérente (Trein, 2017; Trein, Meyer; Maggetti, 2019) et intégrée (Di Gregorio et al., 2017) l’action publique climatique en pensant ensemble les facteurs de changements des régulations sectorielles et leurs effets positifs et négatifs réciproques (par exemple, les effets des politiques énergétiques d’offre de biocarburants sur l’alimentation et les politiques agricoles). La conséquence en est de complexifier la mise en problème public. A cette transversalité en termes de secteur, s’ajoute une complexité en termes d’échelles d’action publique. La volonté d’articulation des enjeux climatiques s’exprime à plusieurs échelles simultanées (globale, sectorielle, nationale, régionale et locale), confirmant ainsi la dimension transcalaire du gouvernement du climat (Aykut ; Evrard, 2017; Bérard ; Compagnon, 2014; Bulkeley ; Newell, 2015; Gore, 2010; Montouroy ; Sergent, 2014). Analyser les politiques climatiques requiert dès lors d’examiner les interactions entre niveaux et entre secteurs parce que « la dimension transversale des questions environnementales implique, de manière différenciée, l’ensemble des échelles dans la mesure où la transversalité des politiques accentue le processus de ‘’territorialisation’’ de l’action publique, et des sphères d’activité, et par là même, remet en cause les frontières sectorielles historiquement constituées» (Hassenteufel, 2011). Cette territorialisation exacerbe le recadrage et la reproblématisation du problème du changement climatique aux prismes non seulement de variables endogènes au territoire mais également du fait du travail politique des acteurs (Smith, 2019). Le changement climatique est donc aujourd’hui mobilisé dans les discours et programmations comme un levier sectoriel multiscalaire de changement macro-économique et macrosocial en termes de transition (juste) énergétique et/ou écologique ou de « green new deals »(Sinaï, 2017). Au-delà des organisations internationales et des Etats, les collectivités territoriales aussi mobilisent et se réapproprient ces cadres cognitifs et institutionnels. D’une part, les évolutions des réglementations leur confèrent des compétences élargies en matière de climat, d’énergie et de biodiversité notamment. En France, par exemple, les Schémas et Plans climat, air, énergie territoriaux (SRCAE et PCAET) ou les Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) sont ainsi les supports d’une planification territoriale climatique. D’autre part, le personnel politique local s’empare de plus en plus du changement climatique comme levier de différenciation électorale, d’autonomisation vis-à-vis du pouvoir central et de (re)légitimation de leur action et de leur territoire institutionnel. Progressivement, un gouvernement local de la transition écologique se structure et s’institutionnalise (Bouchard, 2015; Fortin, 2005). Cet atelier entend comparer une diversité de configurations territoriales en matière de gouvernement de la transition écologique et du changement climatique. Les propositions attendues pourront mettre la focale sur des initiatives mises en œuvre à différentes échelles politico-institutionnelles (régions, établissements publics de coopération intercommunale, communes) ou en voie d’institutionnalisation (bio-région), dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud. Ces propositions décrieront et analyseront la diversité des instruments du gouvernement local de la transition, que ce soit sur le plan politique, institutionnel, cognitif, prospectif, technique et financier. L’objectif sera de montrer comment les acteurs politiques et sectoriels s’emparent des instruments et font (ou pas) des politiques du changement climatique une variable de transformation de l’action publique territoriale contemporaine.
Trois questions nous intéressent tout particulièrement dans le cadre de cet atelier :
- La « climatisation » des instruments de l’action publique locale en matière de transition écologique : Comment le changement climatique renouvelle-t-il ou pas les instruments existants, assiste-t-on à l’émergence de nouveaux instrument climatiques à l’échelle des territoires étudiés ? Comment ces instruments nouveaux ou climatisés s’intègrent-ils dans les territoires étudiés ?
- La dynamique de sectorisation/désectorisation induite par l’institutionnalisation de la transition écologique à l’échelle des territoires et des collectivités : comment cette approche globale bouleverse les compromis sectoriels existants et redessine les frontières de l’action publique ?
L’autonomisation des pouvoirs publics locaux vis-à-vis de l’administration centrale : dans quelle mesure la transition écologique permet-elle aux personnels administratifs et politiques des collectivités territoriales d’accroitre leurs ressources, à la fois politiques, financières et symboliques ?
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A06.1 – Les gouvernements locaux de la transition écologique et du changement climatique
Introduction Antoine Ducastel, Marie Hrabanski, Yves Montouroy. Les gouvernements locaux de la transition écologique et du changement climatique : quels enjeux?
Communications :
- Manon Pinguat-Charlot, Université de Pau et des Pays de l’Adour. Le label Cit’ergie : quelles ressources pour penser la transition écologique dans les collectivités locales ?
En contexte de changement climatique, la décentralisation et la territorialisation de l’action publique ont progressivement conduit l’État à faire peser la responsabilité de la transition nationale sur les collectivités locales. Depuis 2015, les nouvelles réglementations inscrivent la politique nationale de transition écologique dans une échelle plus locale. En France, dès 2008, l’ADEME (Agence de la transition écologique) a décliné l’European Energy Award basé sur l’action locale pour le climat, en « label des territoires engagés dans la transition énergétique », sous le nom de Cit’ergie. Il s’agit d’un programme de management et d’évaluation de la politique climat-air-énergie des collectivités locales. Le label est basé sur un suivi-évaluation par des indicateurs, du benchmark et un audit régulier. Par cette technicisation des choix politiques, l’ADEME pose un cadre cognitif partiel tourné vers l’opérationnalité de la transition, occultant la faiblesse des fondements scientifiques de Cit’ergie. Instrument d’une action publique marquée par le New Public Management (Lascoumes 2004), le dispositif Cit’ergie veut renforcer la transversalité de l’action publique tout en étant structuré par un fonctionnement qui reproduit les modes d’action publique déjà présents dans les collectivités. Par la labellisation Cit’ergie, l’État poursuit sa volonté de faire de l’échelon local le coordinateur d’une transition technique, qui a été pensée et cadrée par le haut. La labellisation constitue plus précisément l’instrument de gouvernement à distance d’une transition institutionnelle ancrée dans les cadres du néo-libéralisme et du néo-management (Bergeron et al. 2014 ; Epstein 2006). Dans Cit’ergie, le défi est double : il s’agit de réguler de manière concurrentielle la coopération territoriale (Epstein 2015) et de provoquer l’appropriation du cadre de la transition acceptable. Afin d’en assurer la pérennité dans les dispositifs nationaux, l’ADEME actualise incrémentalement le référentiel Cit’ergie. Ses indicateurs se sont peu à peu « climatisés », opérant le passage d’un label tourné vers l’énergie à un label climat-air-énergie. Cette « climatisation » (Aykut 2017) à distance des politiques locales de transition soulève des interrogations quant à la capacité́ du label à intégrer les spécificités territoriales dans la mise en œuvre locale de la transition. À partir de travaux de thèse, la communication mettra en exergue les ressources permettant aux acteurs territoriaux d’adopter une posture réflexive vis-à-vis de la transition dans les collectivités locales. D’abord, il s’agira d’analyser les grandes postures de conception de la transition des acteurs du label Cit’ergie ainsi que les marqueurs des trajectoires de « mise en transition » des collectivités locales. Nous montrerons ainsi qu’il est nécessaire de conclure des accords individuels et collectifs sur le sens d’une collectivité locale en transition afin de dépasser les tensions liées à l’engagement dans le label. Les acteurs territoriaux peuvent se saisir des innovations théoriques et démocratiques, notamment grâce à la recherche, afin d’explorer le collectif et le monde des possibles pour penser la « mise en transition ». Afin d’ancrer la posture réflexive de la collectivité, il est également nécessaire de tenir compte des expériences complexes de l’acteur du label territorial et des limites à l’appropriation de la transition qui en découlent.
- Audrey Dupont-Camara, Université de Perpignan. Interroger la fabrique du « gouvernement écologique local» en Occitanie à partir des déchets de la construction et de la politique de transition vers l’Économie Circulaire
A partir de cet exemple, un premier travail a été de retracer la mise en discours et en politique (Bonin et Antona 2012 ; Faugère 2008 ; Garcier, Martinais et Rocher 2017) des enjeux « écologiques » liés aux déchets du BTP en région Occitanie. Dans un contexte national de « transition vers l’Économie Circulaire » (loi LTECV de 2015 et loi AGEC de 2020) et de recomposition territoriale (loi NOtre de 2015), la Région Occitanie s’est dotée d’un service « Déchets et Économie Circulaire » en 2016, actif dans la promotion de ce concept dans différents secteurs, dont celui de la construction (des producteurs de matériaux jusqu’aux autorités contractuelles – Auguiseau, 2020). La Région semble chercher à être localement actrice du « passage d’une économie linéaire reposant sur le modèle « extraire-transformer-utiliser-jeter » à une économie circulaire fondée sur le modèle « fabriquer-utiliser-réutiliser-refabriquer-réparer » dans lequel rien n’est gaspillé » (Lohan, 2016). Dans cette thèse, l’attention est portée sur la dynamique de l’action publique régionale et aux jeux d’échelles, à la formulation d’un « projet politique » régional autour de la transition ainsi que ses instruments, et à la diffusion du concept d’Économie Circulaire dans la construction. Ensuite, il s’agit de la réfléchir à partir d’un terrain réalisé dans les Pyrénées-Orientales auprès d’acteurs du BTP, de Maîtrises d’Ouvrage et de collectifs d’habitants afin d’interroger l’acceptabilité sociale et donc territoriale (Fournis et Fortin 2015) des politiques de transition. Se faisant, j’entends discuter la thèse que de concept (diffusé) d’Économie Circulaire peut être vecteur de changement dans le secteur de la construction comme dans la trajectoire d’aménagement des territoires en Occitanie. Dans le cadre de ce panel du 58ème Congrès Annuel de la société québécoise de science politique, je m’intéresse ici plus particulièrement à la formation de l’action publique régionale autour de la « bonne gestion » des déchets du BTP et de la transition vers l’Économie Circulaire du secteur de la construction en Occitanie. L’enjeu est de questionner la pertinence de la notion de « gouvernement écologique » pour désigner cette action publique régionale. Pour se faire, nous proposons d’organiser la présentation à partir des axes suivants : (1) Régulation « as usual » vs régulation « circulaire » : complexification des modes de régulation dans la gestion des déchets du BTP et renouvellement des paradigmes. (2) Mise en politique simultanée des « déchets du BTP » et du concept d’Économie Circulaire en région Occitanie. Entre légitimités politiques, maillage territorial, promotion d’un nouveau modèle de développement et changement de pratiques dans la construction. (3) Phase mise en œuvre : urgence de l’action, proximités institutionnelles et multiplicité d’acteurs et d’instruments pour entreprendre la transition dans la construction en Occitanie. (4) Qualifier l’action publique régionale : « gouvernement écologique local » ou « politique (trans) sectorielle territorialisée » ?
21 mai 2021 @ 8h30-10h00 -
A06.2 – Comparer les gouvernements locaux de la transition écologique et du changement climatique
Communications :
- François-Mathieu Poupeau, LATTS et Mathilde Marchand, LATTS. Entre ambiguïtés étatiques, contraintes industrielles et réticences locales : la difficile émergence d’une capacité d’action des Régions françaises en matière de planification énergie-climat
Le système énergétique français est traversé par de profondes évolutions depuis ces dernières décennies, sous l’influence conjointe de la décentralisation, de la libéralisation des marchés énergétiques et, plus récemment, de l’irruption des questions environnementales et climatiques dans le champ politique. On observe ainsi un glissement progressif d’un modèle historiquement centralisé autour de l’État et de ses opérateurs nationaux vers des formes de régulation marquées par une association plus étroite des collectivités territoriales, qui se traduit par la délégation de certaines compétences autrefois détenues par l’échelon national. Parmi ces acteurs, les Régions sont désormais érigées au rang de « chef de file » de la transition énergétique, à travers, notamment, un rôle accru en matière de planification énergie-climat. Elles sont ainsi devenues responsables de l’élaboration des Schémas Régionaux d’Aménagement, de Développement Durable et d’Égalité des Territoires (SRADDET), documents qui ont vocation à fixer, dans les territoires, quelques grandes orientations portant sur la réduction des émissions de gaz à effets de serre, le développement des énergies renouvelables ou la baisse des consommations énergétiques. L’objectif de cette communication est de s’interroger sur la capacité des Régions françaises à se saisir de l’outil SRADDET, en replaçant celui-ci dans un contexte d’action plus général. Les SRADDET s’inscrivent en effet dans un écosystème planificateur institutionnel constitué de trois principales forces structurantes : l’État central (à travers la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE), politique nationale déclinant les objectifs français de transition énergétique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre), RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité (qui élabore les Schémas Régionaux de Raccordement au Réseau des Énergies Renouvelables (S3RENR) appelés à s’articuler avec les SRADDET) et enfin les acteurs infrarégionaux (qui élaborent notamment les Plans climat air énergie territoriaux (PCAET), autre déclinaison de la stratégie nationale de territorialisation des politiques énergie-climat).
La thèse que nous souhaitons mettre en avant est celle d’une difficile émergence d’une planification régionale, qui s’explique par les contraintes d’ensemble exercées par ces trois types d’acteurs. À l’appui de ce propos, nous nous appuyons sur de nombreuses recherches qui ont porté sur le processus d’appropriation, dans le temps, des compétences énergie climat par les Régions françaises, des anciens SRCAE (Schémas régionaux climat air énergie) aux actuels SRADDET (enquête sur l’élaboration de ces documents et leur suivi par l’État central).- Mélanie Pommerieux, Université des Antilles. La prédominance locale de l’étude d’impact environnemental nuit-elle à la transition écologique ?
L’étude d’impact environnemental apparaît aux États-Unis en 1970 comme l’un des instruments de la Magna Carta environnementale, et va rapidement en devenir l’instrument clé. Elle est alors qualifiée de « révolutionnaire » parce qu’elle est envisagée à la fois comme un mécanisme de résolution de conflit entre agences et comme un moyen de réorienter les objectifs et valeurs de différentes administrations vers une meilleure prise en compte des questions environnementales (Prieur, 1981). La prise de conscience des effets du changement climatique s’accentue dans les années 1980, et le concept de développement durable s’impose progressivement sur la scène internationale. Alors que l’étude d’impact environnemental est préalable à cette nouvelle injonction, et que de multiples critiques émergent de sa pratique, elle est prestement et continument adoptée par de nombreux États, au point qu’elle « s’avère l’un des instruments clés du développement durable » (Leduc et Raymond, 2000). La transition écologique qui apparaît aujourd’hui nécessaire requiert des changements dans les valeurs et comportements de l’ensemble des citoyens, et pas seulement des acteurs politico-administratifs. En considérant l’étude d’impact environnemental comme un instrument (à la suite notamment de Simard, 2014 ; Lascoumes et Le Galès, 2005 ; Jacquot et Halpern, 2015), capable de contraindre les comportements d’acteurs, et susceptible d’amener à des phénomènes d’inertie sur le long terme, j’aborderai lors de cette communication la question du potentiel transformatif de l’étude d’impact environnemental et de ses limites au niveau local pour une transition écologique. La façon dont l’étude d’impact environnemental structure les relations entre acteurs locaux apparaît-elle favorable à la transition écologique ? Sa prédominance nuit-elle à l’émergence d’autres instruments, formes d’interactions qui pourraient sembler plus adaptés ? Afin de répondre à ces questions, je m’appuierai sur deux enquêtes de terrain menées en Afrique du Sud (2014 à 2015, pour le compte du CIRAD) et en France (2018 à 2019, pour le compte du CNRS) notamment au sein de trois municipalités districts sud-africaines et trois communes franciliennes respectivement. Je montrerai dans un premier temps que la mise en œuvre de l’étude d’impact environnemental au niveau local a conduit à la mise en place de relations particulières entre développeurs, acteurs politico-administratifs et citoyens qui, en dépit de multiples changements apportés aux études d’impact dans l’optique de répondre aux critiques dont elles font l’objet, n’apparaissent pas toujours favorables à la modification de valeurs et comportements des différents acteurs. J’aborderai notamment les caractères réactif et technique de l’étude d’impact, qui ne favorisent pas l’émergence d’une vision, d’un projet politique pour le territoire défini avec les citoyens concernés. Dans un second temps, j’évoquerai d’autres instruments qui ont été introduits en Afrique du Sud et en France dans une telle optique, comme les Agenda 21 locaux, les Plans climats, ou les plans de gestion de l’environnement (environment management frameworks). En dépit de leur potentiel transformatif, mes recherches mettent en évidence les difficultés à mettre en œuvre et prendre en considération de tels instruments, étant données les configurations d’acteurs existantes et les difficultés, politiques et financières, auxquelles sont confrontées les collectivités locales.
- Pierre-Luc Baril, UQAM. Les instruments municipaux de la transition écologique : démocratisation des pratiques dans le monde rural québécois
En matière de lutte et d’adaptation aux changements climatiques, les regards, qu’ils soient politiques, scientifiques ou citoyens, sont généralement tournés vers les territoires urbains. Pourtant, force est de constater que les idées reliées à la transition écologique s’implantent peu à peu dans les milieux ruraux. Au Québec notamment, un nombre croissant de municipalités adoptent des plans et des objectifs en lien avec la transition écologique (carboneutralité, zéro déchet, virage vert, adaptation aux changements climatiques, etc.). Basée sur une recherche réalisée dans le cadre d’une scolarité de maîtrise en science politique s’appuyant sur les travaux de Lascoumes et Le Galès (2004), cette communication porte sur les caractéristiques des instruments d’action publique municipaux employés dans le monde rural québécois pour réaliser une transition écologique. À priori, une tendance se dessine chez les municipalités à l’étude : la transition écologique s’appuie fortement sur un processus démocratique initié par les acteur.rice.s municipaux.le.s. Si on retrace plusieurs instances politiques ouvertes à la participation citoyenne, on trouve également de nombreux exercices de consultation et de communication. Ces initiatives démocratiques sont l’occasion pour la population de partager sa vision de la transition écologique tout en intégrant du même coup les impératifs et les enjeux locaux de cette même transition. À titre d’exemple, on souligne le cas de la CITÉ – la Commission de l’Innovation et de la Transition écologique – de Lac-Mégantic, une commission à la fois politique et citoyenne mise en place par la municipalité. Cet exemple illustre qu’il est possible pour une municipalité de mettre en branle une transition écologique sur son territoire à partir des institutions (Top) qui sera par la suite adoptée et nourrit par la population (Down). Enfin, cette communication explore brièvement quelques perspectives pour la démocratie municipale et leurs applications dans le cadre de la transition écologique, soit l’urbanisme participatif, les technologies civiques et les communs. Tiré de la littérature, ces perspectives possèdent un fort potentiel d’innovant et promettent un renouvellement des approches en matière de gestion de locale des changements climatiques et de la transition écologique.
21 mai 2021 @ 10h30-12h00
A07. Engagement et actions politiques : acteurs, formes et espaces
Responsables: Sarah Munoz, Université de Montréal (sarah.munoz@umontreal.ca), Marie Lefebvre, Université de Montréal (marie.lefebvre.2@umontreal.ca), Zaïnab Elguerrab, INRS (zainab.elguerrab@ucs.inrs.ca) et Jean-Philippe Royer, INRS (jean-philippe.royer@ucs.inrs.ca)
Description de l’atelier :
Du Chili au Liban, de l’Iran aux gilets jaunes, les formes actuelles d’action collective contestataire à travers le monde sont persistantes et empruntent de nouveaux espaces, de nouvelles modalités et ce, alors que le populisme et la polarisation politique aux extrêmes nourrissent des divisions. Cet atelier vise à mieux renseigner sur le foisonnement de nouvelles formes d’actions politiques et leur articulation. L’objectif ici est de mobiliser une réflexion transversale sur les enjeux de l’action politique, afin de saisir les contours de la mobilisation à une ère où règnent la division politique et la multiplication des foyers de revendication. Il sera ainsi pertinent de s’interroger par exemple sur les conséquences de la polarisation partisane sur l’action collective, celles des changements climatiques sur l’engagement citoyen, ou encore sur la circulation entre les formes informelles et formelles de participation politique. On cherche ici à élargir le regard sur les formes et expressions multiples de l’engagement, en mettant notamment en lumière la variété des acteurs qui y participent à l’échelle individuelle et/ou collective. L’atelier est dirigé par des membres du Collectif de recherche interuniversitaire Action Politique et Démocratie (CAPED). Le CAPED est un espace de réflexion sur les “interstices du politique”, c’est-à-dire les continuités entre les actions posées dedans et en-dehors de l’État, la possibilité de produire du politique hors de l’État et sans interaction avec lui, ou encore les mélanges des genres entre action individuelle et action collective. Dans un cadre où les modalités d’action évoluent très rapidement, notamment grâce au web et aux réseaux sociaux, cet atelier s’intéresse à diverses formes de l’action citoyenne, et propose de s’interroger sur les modes de participation, leurs espaces, et leurs conséquences en démocratie. Où se situe cette action, et comment la comprendre ? Le CAPED est composé de professeur.es et étudiant.es de l’Université de Montréal, de l’UQAM et de l’Institut National de la Recherche Scientifique.
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A07.1 – Dans, avec, et contre l’État : les formes de l’action collective
Communications :
- Adrien Mollaret, laboratoire Pacte, Université Grenoble Alpes. L’activisme institutionnel comme forme d’engagement des classes moyennes intellectuelles ? Le cas des professionnels du développement local et de la participation.
Traditionnellement les mouvements sociaux sont définis par leur extériorité vis-à-vis de l’Etat, comme des « challengers » (Tilly 1978) ou des « outsiders » (Gamson 1990) qui n’ont pas accès aux ressources politiques conventionnelles. Dès lors, comment appréhender les formes d’interpénétration entre mouvements sociaux et Etat ? Est-ce que l’institutionnalisation d’un mouvement signifie forcément l’aboutissement, et donc la fin, que ce soit formulé en termes de succès ou en terme d’échec (Giugni 2004) ? La professionnalisation d’une lutte est-elle toujours synonyme de dépolitisation ? Nous souhaitons aborder ces questions à partir de l’étude des politiques de développement local en France. Celles-ci peuvent être appréhendées comme l’aboutissement de l’institutionnalisation de mobilisations nées dans les années 1970 parmi les nouvelles classes moyennes salariées (Bidou 1984; Hatzfeld 2005) autour de la qualité de vie et du slogan « vivre et travailler au pays » (Ségas 2015). Ces mobilisations ont progressivement été intégré au sein de politiques publiques territorialisées, selon le modèle de l’« institutionnalisation de l’action collective » (Duran et Thoenig 1996), participant ainsi à brouiller les frontières entre politique institutionnelle et non-institutionnelle (Offe 1985), entre « ensauvagement des institutions » et « domestication des mouvements sociaux » (Neveu 2011). Une littérature récente propose la notion de militantisme institutionnel pour questionner le devenir de ces militants au sein des institutions. Ces premiers travaux portent sur « l’incorporation d’activistes des mouvements sociaux aux postes gouvernementaux » (Abers et Bülow 2011), ou alors sur la « reconversion » d’un capital militant en capital professionnel, que ce soit par exemple au sein de la politique de la ville (Tissot 2005), des politiques culturelles (Dubois 2006) ou des politiques de participation (Mazeaud 2012; Nonjon 2005). Dans tous les cas, ces militants institutionnels sont définis par leur appartenance à des organisations ou réseaux militants en-dehors de l’Etat (Olsson et Hysing 2012). Or, La place de ces professionnels militants tend à décroître, ils sont progressivement remplacés par une nouvelle génération plus jeune, plus diplômée, qui bénéficie de formations spécialisées mais qui ne dispose pas de cette expérience militante, et d’ailleurs qui ne revendique plus l’étiquette militante. A partir des résultats d’une enquête originale auprès des professionnels du développement local – les données sont collectées à la fois par un travail d’observation participante, par un questionnaire en ligne et par une série d’entretiens individuels – nous nous demanderons s’il est possible d’identifier une forme d’activisme institutionnel qui n’est pas seulement une continuation de l’engagement militant par d’autres moyens mais où le choix de l’orientation professionnelle est appréhendée comme une forme d’engagement en soi (Abers 2019). Selon cette acceptation, seraient des activistes institutionnels tous les agents professionnels qui cherchent à influencer de manière proactive l’action publique depuis l’intérieur des institutions en faveur d’une cause contentieuse préexistante qui leur tient à cœur personnellement (Pettinicchio 2012). Nous proposons d’appréhender les trajectoires individuelles d’engagement des professionnels du développement local, en faisant l’hypothèse que l’activisme institutionnel est une des modalités d’engagement au sein d’un répertoire d’action propre aux classes moyennes intellectuelles (Monjardet et Benguigui 1982).
- Alice Bonneau, INRS. La perception des acteurs de la société civile sur les espaces de participation mis en place dans le processus de planification d’un projet urbain
L’introduction des pratiques participatives à la gestion publique est considérée comme un fait marquant des restructurations de l’administration publique québécoise des dernières décennies (Bherer 2011). Cette tendance n’échappe pas aux affaires urbaines. L’émergence d’une culture de la participation a d’ailleurs grandement contribué au renouvellement des pratiques d’aménagement et d’urbanisme (Gauthier 2008). Bien que les dispositifs participatifs et leur différenciation soient aujourd’hui largement étudiés, peu de travaux s’attardent à l’aspect vécu de la participation. Le recherche que nous présenterons, ancrée dans le champ des études urbaines, s’intéresse donc aux espaces de participation du point de vue des acteurs de la société civile mobilisés autour de la transformation d’un quartier. Nous cherchons à comprendre comment les acteurs concernés perçoivent la multiplication des espaces de participation mis en place pour ouvrir le processus de planification d’un projet urbain à la communauté locale. Pour ce faire, nous nous penchons sur le cas du réaménagement de Lachine-Est, une friche industrielle identifiée comme secteur à requalifier en raison du déclin de ses activités, et dont l’exercice de planification a déclenché un enchaînement de démarches de mobilisations et de participation publique. Des démarches ont effectivement été organisées par la société civile locale, notamment autour d’une vision d’écoquartier, et des mécanismes de participation plus formels (consultations publiques, assemblées citoyennes, rencontres de concertation) ont été proposés par la Ville de Montréal et l’arrondissement de Lachine. C’est à travers la documentation de ce cas, l’observation de rencontres de concertation, ainsi que des entretiens avec des acteurs clés — principalement issus de groupes de la société civile — que nous analyserons comment l’exercice de concertation observé est perçu et défini par rapport à d’autres espaces de participation ou mobilisations de la communauté locale (Neveu 2011) (Bherer et Breux 2012) (Van Neste, Gariépy et Gauthier 2012). Les analyses préliminaires nous permettent de constater qu’il apparaît difficile pour les participants de comparer les différentes démarches mises en place et leurs objectifs respectifs. Néanmoins, les différents espaces de participation sont perçus comme étant complémentaires et s’enrichissant mutuellement, et s’inscrivent dans une continuité de démarches à laquelle les acteurs de la société civile accordent une grande importance. Nos résultats anticipés ouvrent également deux questions plus générales : nous constatons que la signification attachée à la notion même de participation est beaucoup plus large chez les personnes invitées à participer que chez celles qui mettent en place les processus participatifs; l’absence de citoyens non affiliés dans les démarches étudiées a par ailleurs été soulevée par les participants, nous permettant de réfléchir à la qualité de « citoyen » dans les espaces de participation publique.
- Ana Catarina Zema, Université de Brasília. Pour le droit d’exister: stratégies autochtones et survie pendant le Covid-19 au Brésil
L’arrivée de la pandémie au Brésil a été particulièrement catastrophique pour les peuples autochtones. Déjà confrontés aux mesures et politiques d’un gouvernement qualifié comme le plus « anti-autochtone » de toute l’histoire du pays, les peuples autochtones ont dû lutter, par leurs propres moyens, contre l’expansion rapide de la pandémie dans leurs territoires. Cet article propose d’examiner les stratégies adoptées par les peuples autochtones du Brésil pour faire face à la pandémie dans un contexte de grave crise politique et institutionnelle. À partir des contributions de la théorique critique de Nancy Fraser, nous montrerons que, dans leur lutte pour le droit d’exister, les peuples autochtones du Brésil ont assumé le front de la lutte contre les mesures d’austérité en articulant lutte pour protection sociale et émancipation.
21 mai 2021 @ 8h30-10h00 -
A07.2 – Identités, émancipations et espaces de lutte
Communications :
- Félix Megret, Université Paris Nanterre. De l’engagement civique à l’engagement communautaire : pratiques de politisation, pratiques de subjectivation en contexte démocratique
Cette communication propose d’analyser la pertinence théorique du concept d’« engagement communautaire » pour rendre compte des processus de subjectivation et d’émancipation collective des sujets politiques dans le cadre des sociétés démocratiques contemporaines. Il s’agira de déterminer la capacité de certaines critiques philosophiques du libéralisme politique dites “communautariennes” (spécifiquement celles proposées depuis les années 1980 par Charles Taylor et Michael Walzer) à intégrer le rôle des appartenances sociales comme principal moteur de l’engagement des agents sur le plan politique, permettant ainsi la génération d’un « public » capable de produire à la fois une pragmatique de l’agir social et de l’action individuelle (Dewey, 1927). Nous chercherons spécifiquement à montrer comment, de Tocqueville à Putnam, les diverses théorisations présentant la vigueur du « capital social » comme modalité majeure de structuration d’une civilité démocratique rendant possible l’action politique ne prennent pas suffisamment en considération le type de relation qui préside à la politisation des sujets in concreto : à savoir, la reconnaissance intersubjective du caractère commun de certaines expériences sociales, au sein d’un espace symbolique partagé. Traditionnellement mis en œuvre par des pratiques d’organisation communautaire visant à l’émancipation politique de groupes matériellement dominés ou défavorisés (Alinsky, 1971), l’engagement des membres d’une communauté en vue de réaliser une politique démocratique efficace est présenté comme réalisable à l’échelle d’un espace particulier : celui du quartier. Or, comme nous proposons de l’expliciter ici, la pensée communautarienne invite la théorie politique à considérer la pluralité des réseaux de relations sociales qui structurent la subjectivité politique des agents autour d’enjeux relatifs au monde-vécu. Ces processus de politisation “par le bas” manifesteraient en réalité divers « engagements » qui orientent matériellement les comportements des individus, en les incitant symboliquement à s’exprimer au sein du registre déterminé par leurs appartenances communautaires, et par conséquent à mettre en cohérence pratiques et système de valeurs (Becker, 1960). Si l’appropriation d’un espace géographique comme lieu de vie géré en commun en fait très explicitement partie, il faudra par exemple montrer comment l’exigence de reconnaissance exprimée par les minorités linguistiques ou religieuses au sein d’une société démocratique relève en réalité d’une expérience vécue de même nature, qui façonne là encore la subjectivité singulière des membres des communautés en question (Taylor, 1994). À l’inverse de considérer le fait communautaire comme source éventuelle de dissemblance entre la positivité de l’expérience des sujets politiques et le caractère universel abstrait de la citoyenneté démocratique (Schnapper, 2018), il s’agira donc de montrer comment le concept d’engagement suppose de renverser l’argument qui justifie la participation des individus à l’action politique dans le système théorique libéral. En s’appuyant sur les outils de la théorie politique critique et en illustrant le propos au moyen d’exemples empiriques tirés de travaux de science politique (Zask, 2011 ; Bacqué & Mechmache, 2013 ; Talpin, Frégosi & O’Miel, 2017), cette communication permettrait donc de définir plus précisément les raisons d’être normatives d’une politisation produite par les appartenances communautaires.
- Izadora Xavier, IRC-SCRIPTS, Freie Universität. Mères contre l’État
Depuis le début des années 2000, on a vu au Brésil l’émergence et la multiplication de collectifs s’organisant afin d’obtenir la condamnation d’agents d’État qui, dans l’exercice de leurs fonctions, ont tué des jeunes hommes. Mães de Acari date des années 1990. Le collectif s’est organisé suite à un kidnapping d’adolescents d’une favela de Rio dont les corps n’ont jamais été retrouvés. Les enquêtes, qui n’ont pas abouti à des condamnations, pointent un groupe de policiers comme responsables des disparitions. En 2003, Mães do Borel émerge à Rio de Janeiro ; en 2006, Mães de Maio à Sao Paolo. Aujourd’hui, ils sont plus d’une dizaine. Une évolution progressive du discours de ces collectifs, au-delà des questions de la condamnation des agents, accompagne leur multiplication. Au fur et à mesure, ils incorporent aussi à leurs demandes, des questions plus générales liées à la sécurité publique et à la violence d’État à partir de leur expérience de femmes racisées. En plus de la condamnation des policiers responsables des violences, elles demandent la création d’une « politique nationale pour les victimes des violences d’état », l’augmentation des pouvoirs du parquet dans l’enquête sur les violences et la « multiplication des mécanismes citoyens et de démocratie participative pour surveiller l’activité de la police ». On mentionne aussi comme résultant de leur action la création des lois de mémoire en honneur aux victimes de la violence d’État au niveau de l’assemblée municipale de Rio de Janeiro et Sao Paolo ; de mécanismes de soutien aux victimes de la violence d’État au Ceará ; des dénonces auprès de la Cour de Droits de l’Homme de l’Organisation des États Américains ; enfin, l’élection de membres du mouvement aux chambres législatives à Rio de Janeiro. La collaboration avec le parquet brésilien, qui a abouti à la création d’une série de recommandations afin d’éviter « les morts suite à l’action policière », montre que les collectifs ont des impacts institutionnels et que la mobilisation agit directement dans le discours et politiques de sécurité publique nationale. En 2016, a lieu la première rencontre nationale des mères des victimes la violence d’État, réunissant plusieurs collectifs. Les théories du maternal thinking affirment que la socialisation à la maternité permet de comprendre pourquoi les femmes rejettent la violence d’État. Les études féministes de sécurité, quant à elles, affirment que ce rejet découle du positionnement marginal des femmes au sein de la société. Selon ces approches, ce positionnement marginal explique pourquoi les femmes sont sceptiques vis-à-vis des discours « héroïques » (Ashley, 1988) véhiculés par les représentants de l’État ; ce scepticisme serait aussi dû au fait que ces femmes subissent les effets « insécurisants » des politiques sécuritaires étatiques. La maternité explique la participation des femmes à des collectifs. Toutefois, si on regarde le genre de façon constructiviste, la maternité n’a pas de sens naturel, elle ne suffit pas à expliquer pourquoi et comment cette identité devient politique. La construction d’un sens à la maternité n’est pas antérieure à la pratique politique. Au contraire, la pratique politique serait une instance de construction de cette identité. Dans le cas qui nous intéresse, cette construction émerge par la contestation des politiques de sécurité de l’État. Les collectifs de femmes ne sont donc pas uniquement destinés à produire de la solidarité au jour le jour. Ce sont de véritables lieux de socialisation à l’action politique. Ils contribuent à modifier l’identité des femmes qui s’y pensent comme actrices au sein de la société. On doit donc se demander comment, par quels processus, les conceptions de la maternité favorisent une vision « alternative » et critique de la sécurité chez les femmes qui participent à des collectifs. Quelles visions alternatives de la sécurité nous offrent-elles ?
- Yann Allard-Tremblay, McGill University. La Résistance Autochtone: au-delà de l’opposition et de la dialectique
Cette présentation offre une interprétation de la résistance politique des Premières Nations au Canada et aux États-Unis—ci-après peuples Autochtones—qui cherche à souligner son aspect transformatif et édifiant. Nous argumentons que l’on peut identifier, au sein de divers mouvements et écrits Autochtones, une forme de résistance qui va au-delà de l’interprétation typique de la résistance comme une forme d’action politique oppositionnelle ou dialectique. Nous qualifions cet aspect de la résistance Autochtone de disjonctif. Nous adoptons une méthode comparative. Nous sélectionnions trois principaux discours tenus par Nelson Mandela, James Tully et divers auteurs Autochtones de la réémergence. Les recherches de James Tully ont beaucoup été influencées par les auteurs Autochtones et son influence est également marquée sur ces auteurs. Toutefois, malgré ces rapprochements, j’argumente que les auteurs Autochtones rendent possible une conceptualisation distincte de la résistance. En ce qui concerne la présence de Mandela dans cette comparaison, elle s’explique par le fait que, à la fois dans le discours académique et public concernant l’expérience coloniale au Canada, malgré des références et des comparaisons courantes à l’expérience coloniale sud-africaine ainsi qu’au développement de l’Apartheid, peu de recherches se sont intéressées directement à comparer ce que cela implique pour la conceptualisation de la résistance. De plus, James Tully n’offre que quelques remarques à propos de Mandela, principalement pour rejeter son approche dans la mesure où ce dernier accepte l’usage de la violence. Cette présentation cherche donc à démontrer qu’en mettant en conversation ces trois discours, on peut obtenir une meilleure compréhension de diverses avenues menant à une plus grande liberté. D’abord, nous argumentons que Mandela et Tully offrent deux interprétations similaires de la résistance dans la mesure où elles mettent l’accent sur l’aspect dialectique de la résistance. Pour Mandela, l’oppresseur occupe une position déterminante dans la relation avec l’opprimé. Les actions de l’opprimé répondent à celles de l’oppresseur et c’est l’oppresseur qui détermine la nature de la contention. Pour Tully, c’est plutôt l’opprimé qui détient toujours une forme de liberté d’agir autrement, de sorte que c’est l’oppresseur qui doit agir afin de maintenir et rétablir sa domination. Dans les deux cas, la résistance est principalement conçue au sein d’un rapport dialectique. Dans le cas des acteurs politiques et auteurs Autochtones comme Leanne Simpson, Glen Coulthard, Nick Estes, Kelly Aguirre et Jeff Corntassel, pour qui l’action politique autochtone doit de manière importante porter sur la revitalisation et la réémergence des modes d’existence, d’action et de connaissance des peuples Autochtones, la résistance n’est plus perçue comme une forme d’opposition ou de dialectique. Elle est un mode d’action qui cherche à réaliser ici et maintenant un monde différent, non pas en modifiant l’ancien, mais en le transcendant. Cette résistance est disjonctive plutôt qu’oppositionnel ou dialectique. Elle ne cherche pas à changer ou contredire des termes de gouvernance. Ceci est apparent dans l’utilisation de l’idée du détournement [turn away] (Coulthard 2014, 48) ou encore d’un refus de la ‘danse de la mort avec le colonisateur’ (Simpson 2008, 16).
21 mai 2021 @ 10h30-12h00
A08. Sondages, propagandes et démocratie : La fabrique de l’opinion dans les sociétés pluralistes
Responsables: Thierry Dominici, Université de Bordeaux (IRM) (dominici.thierry2@wanadoo.fr) et Thibaut Dauphin, Université de Bordeaux (IRM) (thibaut.dauphin@u-bordeaux.fr)
Description de l’atelier :
Depuis le siècle de Périclès jusqu’à nos démocraties numérisées, et sans jamais la définir, gouvernants comme partis politiques usent et abusent du pouvoir d’attraction, de manipulation et de division que procurent l’opinion citoyenne, majoritaire, publique, ou nationale. C’est à partir des Lumières que l’on brandira l’idée devenue irréfutable aujourd’hui : la force de l’opinion est un gage de démocratie et permet de jauger le degré de participation citoyenne. Cependant, en raison du rôle nodal d’éclairer et d’informer les masses, c’est au début du XXe siècle que sa banalisation interviendra dans l’ensemble des Etats occidentaux. Rapidement, par le biais de l’information, certains reportages deviennent discours de persuasion, et plusieurs journalistes et hommes de pouvoirs se piquent bientôt d’être les seuls du côté de l’opinion que paradoxalement ils contribuent à former. Ici le système du Caucus, si minutieusement examiné par Ostrogorski, couronne le plus capable d’être élu – fusse-t-il le moins capable de gouverner. Petit à petit l’espace démocratique qui reposait sur le suffrage universel et la compétition partisane laisse la place à la fabrique d’opinions stéréotypées, prêtes à l’usage des décideurs, de la machine politique, ou du système technicien cher à Ellul. Notre discipline n’a pas fini de travailler sur le potentiel que les techniques d’information et de communication, constamment renouvelées, offrent aux entrepreneurs politiques. La fiabilité de ces outils techniques semble ne plus pouvoir être discutée en démocratie. En effet, il n’est rien de plus commode que la « vérité » tirée de la majorité de l’opinion pour mobiliser les citoyens. Rapidement, les sondages connaissent un succès franc et non démenti, comme si cette invention de la démocratie d’opinion faisait partie au même titre que le suffrage universel des principes de bases de la légitimité. Associé de plus en plus à la propagande inhérente aux TIC, l’ensemble de ces techniques s’affirme dans le champ politique et médiatique, où se développent des stratégies de communication de plus en plus étoffées, permettant de sonder l’opinion aussi bien pour rassembler que pour diviser. Pourtant, des chercheurs comme Lippman, Bourdieu, Noelle-Neumann, Lemieux et beaucoup d’autres, ont rappelé et rappellent encore que cette réalité d’une parole libérée de l’opinion fait peu de cas d’un certain nombre de questions qui, très vite, interrogent l’existence même de cette opinion qui deviendra majoritaire. Concrètement, l’opinion fait-elle taire les velléités de la masse populaire ou libère-t-elle la démocratie directe à travers la e-démocratie basée sur la légitimité de la majorité ? L’objectif de cet atelier est de proposer une lecture à la fois comparée et interdisciplinaire permettant de répondre à ce questionnement : comment expliquer que nos sociétés pluralistes se rendent plus facilement à la puissance persuasive de l’industrie ou de la fabrique de l’opinion publique plutôt qu’à celle de la délibération citoyenne.
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A08.1 – La fabrique de l’opinion pendant les consultations populaires (1)
Président de séance: Stéphane Schott
Communications :
- Guillaume Rousseau, Université de Sherbrooke : « Pour une relecture de l’exigence de clarté de la question référendaire à la lumière du référendum sur le Brexit : contribution au débat sur la légalité du projet de souveraineté-association « fondé sur le principe de l’égalité des peuples »
Dans son Renvoi sur la sécession du Québec relatif à la légalité ou non d’une telle sécession, la Cour suprême du Canada précise que seule une question référendaire claire peut engendrer une obligation de négociation. Selon la loi fédérale sur la clarté, une telle question exclut toute référence à un accord politique ou économique. Selon la loi québécoise 99, le Québec est libre de poser la question de son choix. Il pourrait donc, comme en 1980, poser une question référant à un mandat de négocier une souveraineté-association « fondée sur le principe de l’égalité des peuples », qui serait suivi par un deuxième référendum, ou, comme en 1995, poser une question référant à une offre de partenariat devant précéder, sans la conditionner, une déclaration de souveraineté. Certains auteurs partagent l’interprétation que le législateur fédéral fait de l’exigence de clarté de la question référendaire contenue dans le Renvoi sur la sécession du Québec. D’autres partagent plutôt celle du législateur québécois. Les débats et les difficultés entourant le Brexit et les relations envisagées entre le Royaume-Uni et l’Union européenne après ce Brexit illustrent l’importance de réfléchir au type de relations pouvant exister entre un État auparavant membre d’une union et cette une union au lendemain de leur séparation. Ces débats et ces difficultés pourraient même illustrer la pertinence de faire figurer dans une question référendaire relative à un projet d’accession à la souveraineté une référence au type de relations envisagé après cette accession. Le cas échéant, cela justifierait une relecture de l’exigence de clarté de la question référendaire, contenue dans le Renvoi sur la sécession, à la lumière du référendum sur le Brexit. Cette relecture devrait permettre de répondre à la question de savoir si une mention d’une offre d’association ou de partenariat dans une question référendaire relative à la souveraineté d’un État peut contribuer à sa clarté. Pour faire cette relecture et répondre à cette question, nous reviendrons sur cette exigence de clarté, avant de nous attarder au référendum sur le Brexit et à certaines de ses suites.
- Alexis Hudelot, UQAM : « L’ingénierie du consentement à l’ère des métadonnées »
Le scandale Cambridge analytica et les révélations fracassantes liées notamment à l’élection de Donald Trump et à la campagne pour le «Non» du Brexit ont été l’objet d’une couverture médiatique non-négligeable au cours des derniers mois. Or le fait que le scandale est étroitement lié à un vocabulaire technique a certainement contribué à dépeindre une image tronquée de l’envergure des innovations en matière d’influence sur les électeurs auxquelles nous avons pu assister durant cette période. Afin de clarifier cette question nous proposons dans le cadre de cet atelier de décomposer l’approche de Cambridge analytica dans les deux campagnes susmentionnées, en les associant avec l’approche d’ingénierie du consentement – plus spécifiquement celle de marketing politique – proposée par le père des relations publiques Edward Bernays en 1928.
- Patrick Tallion : « Le « bilan » de l’initiative mixte en France et sa possible réforme dans les suites du mouvement des Gilets Jaunes ».
Le scrutin référendaire, comme mode d’expression directe de la volonté populaire, est un moment fort de la vie démocratique. La volonté qui s’y forge, les opinions qui s’y expriment dépendent bien souvent de la qualité de la délibération référendaire. D’un côté, la logique binaire du scrutin, la difficulté à intégrer des amendements en cours de campagne, la personnalisation du scrutin sont des facteurs qui peuvent influencer significativement la qualité du débat. De l’autre, la participation du plus grand nombre, l’intensité des débats et la légitimité qu’apporte l’expression directe des électeurs sont des atouts importants. Or, le référendum d’initiative partagée, tel qu’il a été élaboré en France, vise à accroitre l’influence des électeurs quant au choix du projet soumis ad referendum et, par le fait même, quant à la définition des termes du débat. Le référendum d’initiative partagé s’accompagne néanmoins de plusieurs modalités procédurales qui, en pratique, en limitent l’usage. Quel bilan s’impose de ce type de scrutin? Quel potentiel, quelles fonctions peut-il assurer? Alors que l’ampleur des manifestations populaires entourant le mouvement des Gilets jaunes a renouvelé, chez certains, l’intérêt pour cette procédure, il y a lieu de réfléchir aux aspects procéduraux encadrent son fonctionnement et qui, à bien des égards, peuvent expliquer sa faible utilisation. Par hypothèse, la place qu’occupe le référendum d’initiative partagé semble jusqu’ici dépendre en grande partie du contrôle ou de la rationalisation par le droit de cette procédure.
19 mai 2021 @ 10h30-12h00 -
A08.2 – La fabrique de l’opinion pendant les consultations électorales (2)
Président de séance: Stephen Launay
Communications :
- Fabienne Greffet, Université de Lorraine : « Influencer l’opinion publique ? Les « petites mains » de la promotion des candidats à l’élection présidentielle française sur les réseaux socionumériques »
Cette proposition de contribution porte sur l’économie des pratiques que génère le travail de conviction de l’opinion publique dans le contexte des élections présidentielles en France, alors qu’un nombre croissant de citoyens s’informent sur les réseaux sociaux, en étant exposés à des contenus médiatiques, qui restent dominants (Boyadjian, 2014) mais aussi à des contenus émanant d’autres acteurs, tels que les équipes de campagnes ou les militants. L’insertion dans l’écosystème médiatique de messages produits par les candidats et les organisations politiques est ancienne (Aldrin et Hubé, 2017, 208-211 ; Cayrol, 1986, 79). Ces pratiques se sont diversifiées au fil du temps et ont été monopolisées par les conseillers en communication (Pozzi, 2018) et les instances centrales des partis politiques (Desrumaux, 2013). Des savoir-faire plus techniques, par exemple la mise à disposition d’images vidéos produites par les équipes des candidats, sont plus récemment venus s’ajouter aux pratiques rédactionnelles et d’apprentissage ou de relations aux médias antérieures. Ainsi, l’internalisation de la production des visuels de campagne à destination des télévisions et réseaux socionumériques, initiée par l’équipe de Nicolas Sarkozy en 2007, s’est généralisée à l’ensemble des « grands » candidats (Sécail, 2016 et 2017). Comment s’organise la production et à la diffusion des contenus produits pour soutenir les candidat.e.s à l’élection présidentielle sur le web et les réseaux socionumériques ? En m’appuyant sur une cinquantaine d’entretiens semi-directifs réalisés en 2018 et 2019, je montrerai que, compte tenu des spécificités de ce contexte national, marqué notamment par l’interdiction de la publicité électorale et le plafonnement des dépenses de campagne, les équipes de candidat.e.s sont amenés à intégrer des auxiliaires spécialisés et à activer des « affiliés numériques » appelés à remplir diverses tâches : mise en récit de la campagne, riposte, discussion… Les affiliés constituent de nouvelles « petites mains » (bénévoles) du travail politique, dont le rôle est d’incarner les soutiens des candidats. Les organisations politiques se réorganisent autour de cette diversification des supports de campagnes, en tentant d’arrimer et de gérer des groupes affiliés, ce qui peut provoquer des tensions (Hobeika et Villeneuve, 2017), des doutes et des frustrations chez les affiliés. Paradoxalement, la production de « l’opinion publique », qui tendait depuis les années 1960-70 à être monopolisée par les journalistes et les acteurs spécialisés dans sa mesure (instituts de sondages, agences de veille…) revient ainsi vers des organisations « satellites » (Dommett, 2018) et des « amateurs », appelés à occuper les espaces numériques.
- Carlos Alves, Université de Bordeaux: « Environnement, nouvelle(s) frontière(s) de l’Europe ? »
L’Europe combien de divisions ? C’est qu’aujourd’hui l’UE est désunie dans la perplexité plutôt qu’unie dans la diversité (polycrise : migrants, populismes, Brexit, zone euro/dettes souveraines). A cet égard, l’environnement en est une illustration emblématique à l’évidence. La protection de la Nature constitue un nouveau symptôme de crise, une source de nouvelles frontières entre États membres. L’environnement a de tout temps illustré ces divisions, ces dissensions entre États membres. Hier, un clivage Nord/Sud a pu être constaté notamment suite aux élargissements à la Grèce et aux pays ibériques au tournant des années 80. Aujourd’hui, il convient de relever l’émergence sinon d’un rideau de fer du moins d’un rideau vert entre l’Ouest et l’Est. A cet égard, la Pologne constitue un exemple emblématique de ce clivage au sein de l’UE. Les deux volets traditionnels du droit de l’environnement attestent de cette fragmentation de l’UE. Tout d’abord, tel est le cas du droit du climat (composante du droit des pollutions). Ensuite, le droit de la nature et de la biodiversité est concerné par les atteintes au réseau Natura 2000. D’une part, lors du Conseil européen de printemps 2019, peu après les élections européennes, les États du groupe de Visegrad ont rejeté la neutralité carbone proposée par la Commission européenne à l’horizon 2050. D’autre part, la Pologne a été condamnée au printemps 2018 pour sa mauvaise gestion de la dernière forêt primaire d’Europe protégée aussi bien par la directive « Habitats » que par la Convention de l’Unesco sur la protection du patrimoine mondial.
- Stéphane Schott, Université de Bordeaux : « Reconnaître les opinions divergentes par la consécration constitutionnelle de la « minorité populaire ». Pour l’instauration d’une « procédure législative populaire ».
20 mai 2021 @ 8h30-10h00 -
A08.3 – Propagandes et mécaniques contemporaines de l’opinion publique (1) (théorie)
Présidente de séance: Fabienne Greffet
Communications :
- Stephen Launay, Université Technologique de Bolivar : « Une idéologie de notre temps (opium des infox et des termes politiques) »
Notre époque pétrie par les canaux d’information (ou de pseudo-information) connaît de sérieuses difficultés pour faire la part du vrai, du vraisemblable, du fallacieux et du faux. Elle semble sujette à de nouvelles formes de dogmatismes qui, par définition, ne supportent pas le débat, c’est-à-dire la confrontation des arguments. Or, ce phénomène est distillé à la fois par des intellectuels et par des journalistes ou présentateurs de médias. Leur vocabulaire et leurs schémas d’interprétation manifestent des biais cognitifs qui relèvent de ce que l’on nomme, depuis deux siècles, « idéologie ». Le sens strict est, au XXe siècle, celui de Raymond Aron et de Hannah Arendt : l’imposition d’une surréalité ou de la logique d’une idée plutôt que la tentative prosaïque et difficile de la description de ce que l’on voit, puis de la compréhension ou de l’explication. Soixante-cinq ans après la parution de L’Opium des intellectuels (Aron, 1955), quel est-il, aujourd’hui, cet « opium » ? Nous voudrions étudier quelques aspects des usages et mésusages de certains termes (fascisme, populisme, néo-libéralisme, droite-gauche, multiculturalisme, etc.) pour dessiner les contours d’un ordre moral qui substitue à la compréhension des phénomènes et des idées une religion sociale. Celle-ci reprend sans doute des traits de la « religion politique » de Voegelin et de la « religion séculière » d’Aron (pour désigner l’adhésion irrationnelle d’intellectuels – au sens sociologique et non nécessairement ontologique – à des doctrines immodérées, comme aurait dit Montesquieu). Mais nous voudrions montrer surtout qu’elle sacrifie le sens des nuances et de la politesse, marques et « opérateurs » de notre « humanisation » (Michel Malherbe, Qu’est-ce que la politesse ? Puf, 2008, p.60), ou encore « opérateurs » de la liberté de l’esprit au sein d’un régime modéré.
- Alain Létourneau, Université de Sherbrooke : « La théorisation de W. Lippmann sur l’opinion publique et sa critique peuvent-elle nous aider face aux nouvelles réalités communicationnelles d’aujourd’hui ? »
Le célèbre columnist américain Walter Lippmann, connu notamment pour ses travaux sur « le public fantôme » récemment traduits, a fourni plusieurs outils critiques intéressants sur tous les usages manipulateurs des médias il y a de cela pratiquement un siècle. La présentation reviendra sur ces principaux apports et se demandera si ceux-ci sont encore pertinents de nos jours et de quelle manière, à l’heure des médias sociaux et de la communication sur internet.
- Jean-Louis Fabiani, Université d’Europe Centrale à Bucarest : « De l’opinion à la sphère publique ».
« L’opinion publique n’existe pas », disait Pierre Bourdieu. Pourtant les mesures de l’opinion n’ont cessé de se multiplier en dépit de monumentales erreurs et de la volatilité croissante de l’électorat. Parallèlement la critique de la démocratie représentative est devenue quasi universelle associant paradoxalement de la démocratie libérale à la critique de l’ultra gauche ? La présentation vise à croiser les problématiques souvent dissociées de l’opinion et de la sphère publique pour envisager les possibilités d’une égalisation progressive des conditions de la prise de parole.
- Thibaut Dauphin, Université de Bordeaux :« La fabrique de l’opinion publique au XVIIIe et au XXIe siècles : approche comparée »
« Criez, et qu’on crie ! » En 1762, Voltaire demande à son ami Damilaville de faire connaître son ouvrage, qui détaille les éléments de l’affaire Calas. Ce cri et cette lettre constituent le modèle de ce qui prend forme dans la France du XVIIIe siècle : la mobilisation de l’opinion, désormais « publique », au service d’une cause politique. Conscient du pouvoir qu’exerce l’Eglise sur les consciences, les philosophes investissent l’espace public et cherche à mettre l’opinion de leur côté contre l’infâme. Ils emploient à cette fin tous les outils disponibles en leur temps : ouvrages, gazettes, lettres, pamphlets, etc. Très vite, la volonté de convaincre aboutit au développement de techniques de persuasion. Le pathos est appelé en renfort dans une guerre sans merci contre les ennemis des Lumières. Il ne suffit plus que l’opinion raisonne, parce qu’elle ne peut guère raisonner : tel est le constat dressé par Voltaire et ses émules. Il faut que l’opinion s’émeuve, et qu’elle ait en horreur le fanatisme et les fanatiques. Au XXIe siècle, les objectifs varient en fonction des acteurs, et les méthodes sont celles d’une société élevée aux technologies de l’information et de la communication. Les rapports de force détonnent par leur complexité, et la temporalité se trouve renversée par l’immédiateté des échanges. Pourtant, les entrepreneurs politiques ne semblent pas concevoir une approche fondamentalement différente des philosophes du XVIIIe siècle quand il s’agit de gagner les forces de l’opinion publique. Les mêmes ressorts animent les stratégies de ces acteurs, au point qu’un bref regard sur notre histoire suffise à relativiser la modernité de nos techniques de propagande. « L’opinion gouverne le monde » est, au XVIIIe siècle, le code commun de ceux qui veulent gouverner le monde en gouvernant l’opinion. Or le XXIe siècle est celui où cette opinion n’aura jamais eu tant d’empire. De savantes institutions se tâchent de le mesurer, de le chiffrer et de prédire, et laissent à d’autres le soin d’employer les dernières techniques pour le contrôler. L’importance de la maîtrise de l’opinion par les acteurs politiques n’est-elle alors qu’un développement progressif d’une tendance née au XVIIIe siècle, ou bien un « retour en force » induit par les nouvelles technologies ? Les philosophes pensaient se battre pour une juste cause, et leur enthousiasme brûlant a brûlé nombre de leurs ennemis, condamnés par l’opinion à rester dans l’oubli et la honte. Le XVIIIe siècle pose déjà la question des rapports entre la propagande et la vertu, analysés au XXe siècle par Jacques Ellul en 1962, exactement deux siècles après l’appel de Voltaire. Existe-t-il une « bonne » ou une « juste » propagande, ou relève-t-elle en tous les cas d’une course au monopole politique (avec tous les abus qui s’y attachent) de l’opinion publique ?
20 mai 2021 @ 10h30-12h00 -
A08.4 – Propagandes et mécaniques contemporaines de l’opinion publique (2) (cas pratique)
Présidente de séance: Thierry Dominici
Communications :
- Jean-Louis Allessandri, Université Paris-Saclay : « Le discours apophasique dans les démocraties. Analyse du discours du président Emmanuel Macron lors « du débat national » suite à la vague des Gilets Jaunes »
Les discours politiques contemporains souffrent, de plus en plus, de propos cachés et non réellement avoués. C’est le phénomène décrit par « New Speak » dans 1984 de George Orwell. La linguistique moderne a su démontrer l’importance de la situation d’énonciation dans la compréhension des signes linguistiques. Ils ne sont compris que parce qu’ils sont partagés de manière intersubjective par une population partageant les mêmes référents expérientiels. Ceci est d’autant plus remarquable depuis un an en France où la classe politique joue de ce procédé rhétorique afin de véhiculer des idées, qui, si ouvertement exprimées, seraient considérées comme difficilement acceptables, mais qui sont néanmoins entendus par ceux qui partagent les mêmes idées que ces dirigeants. Notre projet de communication tend à démontrer qu’en utilisant le paradigme du « discours apophasique » tel que défini dans nos travaux de recherche nous pouvons mettre à nu les réelles données sémantiques des signes linguistiques. Notre paradigme se base sur la Théorie des Opérations Énonciatives telle que définie par Antoine CULIOLI. Il faut analyser les propos dans leur contexte civilisationnel au moment de l’énonciation tout en s’attachant à relever les différents niveaux de référents polysémiques d’un signifiant linguistique. Cette méthodologie permet de définir plus précisément ce que sont les non-dits, les sous-entendus, et comment le monde politique, journalistique et médiatique use de ce procédé afin de nier, de réfuter des idées tendancieuses. C’est l’aspect apophasique du système, basé sur l’apophase grec défini comme la réfutation. En premier lieu, nous nous proposons de présenter, succinctement, le modèle conceptuel du « Discours Apophasique » tel que nous l’avons défini dans nos travaux de recherche sur l’antisémitisme en Angleterre. Deuxièmement, nous nous proposons d’analyser, en utilisant cette grille méthodologique, la sémiotique et la sémantique cachée derrière celle-ci dans les discours de M. Macron sur la Démocratie et le mouvement des Gilets Jaunes. Troisièmement, nous donnerons une analyse « apophasique » de ceux-ci en nous appuyant sur les événements civilisationnels, politiques et sociétaux ayant touché la France depuis le début de la contestation sociale.
- Sébastien Malette, Université de Carleton : « Cette rivière qui divise au Canada : les Métis de part et d’autre de l’Outaouais »
Depuis la reconnaissance constitutionnelle des Métis canadiens en tant que peuple autochtone, nous observons une grande disparité dans le traitement politique et juridique des différentes communautés de la part des gouvernements fédéral et provinciaux. Les Métis de la rivière des Outaouais sont un cas de figure intéressant, reflet de cette disparité ici liée aux effets d’une frontière interprovinciale porteuse de paradoxes. En explorant l’histoire de cette communauté métisse, principalement à l’aide de documents inédits, nous démontrons la grande similarité des expériences identitaires et culturelles métisses au Canada, mais aussi l’arbitraire d’une reconnaissance politique contemporaine calquée sur une frontière interprovinciale qui historiquement n’avait aucune incidence sur les principaux intéressés. L’absence de reconnaissance officielle des Métis situés à l’est de la rivière Outaouais (donc au Québec) laissent ces derniers vulnérables à de nouvelles politiques d’exclusion formulées par certaines organisations nationalistes métisses dans l’Ouest du pays, comme n’étant pas de véritables Métis. Notre communication discutera de ces prises de position politiques et de leur dangerosité lorsque leurs élaborations visent à éliminer les expériences culturelles qui ne cadrent pas avec leurs présuppositions idéologiques.
- Ornella Graziani, Université de Corse : « Les sondages face au régionalisme politique : le cas corse ».
En août 2012, l’IFOP mettait en avant dans le cadre des « Ifop Collectors » (une rétrospective des meilleurs sondages) quatre sondages considérés comme retraçant les grands événements de la Corse. On y retrouvait Août 1975 : les événements d’Aléria ; Février 1998 : l’assassinat du Préfet Erignac ; Avril 1999 : l’incendie de la paillotte « chez Francis » et Juin 2012 : les élections législatives. Ces quatre sondages avaient en commun de traiter de l’histoire du mouvement national corse que ce soit à travers la question de la violence politique, l’idée d’indépendance ou la place de la lutte nationale dans la question institutionnelle. Car si des instituts nationaux sondent la société corse c’est le plus souvent pour questionner un phénomène et la Corse n’intéresse que lorsqu’elle est en période de crise. Le choix de ces sondages est, par ailleurs, révélateur de ce qui est perçu comme des thématiques « brûlantes » pour l’opinion continentale. D’ailleurs l’Ifop n’est pas la seule structure à réaliser ce type de sondage les médias nationaux et locaux sortent au moins une fois par an un sondage sur l’avis des Corses sur la question de l’indépendance ou de l’autonomie. Comment expliquer l’obsession des médias continentaux pour cette question ? Est-ce la seule question réellement importante ? Et pourquoi les médias nationaux et locaux choisissent-ils toujours les mêmes thématiques ? Est-ce que cela recouvre chez eux les mêmes stratégies ? Cette communication se proposera d’appréhender le rapport des journalistes à la question du régionalisme politique dans un cas précis, celui du nationalisme corse.
21 mai 2021 @ 8h30-10h00 -
A08.5 – Les attitudes post-matérialistes comme catalyseur de l’opinion
Présidente de séance: Alain Létourneau
Communications :
- Raphael Morisset, Université de Bordeaux : « La fragmentation du corps démocratique, une conséquence paradoxale du non pluralisme idéologique ? »
Les discours politiques contemporains souffrent, de plus en plus, de propos cachés et non réellement avoués. C’est le phénomène décrit par « New Speak » dans 1984 de George Orwell. La linguistique moderne a su Alors que le poids de l’opinion s’accroît au sein des démocraties ce qui ne va pas sans susciter de multiples critiques et questionnements relatifs à ses modes de formations ou à la fiabilité des dispositifs techniques censés lui donner corps, il est relativement commun (mais toujours nécessaire) de critiquer les effets pervers de la surreprésentation des « sondages » au sein de l’espace démocratique. Paradoxalement, la mise en exergue de cette tendance à la fragmentation du corps démocratique par le biais de l’opinion fait elle-même l’objet d’une véritable logorrhée médiatique qui tend à dénoncer la « fragmentation des peuples »provoquée par la substitution des querelles identitaires aux conflits idéologiques et l’importance croissante des réseaux sociaux. L’ironie de cette critique de l’hégémonie de l’opinion au sein des démocraties représentatives par les acteurs mêmes qui conduisent à l’apparition et au développement de ces « fragmentations » ne peut être comprise qu’en révélant la remise en cause progressive du pluralisme idéologique au sein des démocraties libérales contemporaines. La dissonance cognitive conduisant les médias dominants à eux-mêmes critiquer le caractère ingouvernable de nos sociétés au nom d’une « tyrannie de l’opinion » peut trouver une part d’explication dans l’extrême confusion provoquée par la reconfiguration de nos espaces démocratiques par la progression de la rationalité néolibérale. L’avènement de la gouvernance, substitue ainsi à la convocation des représentés la sollicitation d’une « société civile » sectorisée et représentée par des « experts » et techniciens qui fondent une partie de leur légitimité sur l’importance des espaces médiatiques qui leur sont précisément attribués par les médias « traditionnels ». Comprendre comment l’avènement d’une gouvernance démocratique dite « participative » conduit à « amplifier le phénomène de sectorisation des enjeux » et de maximisation des intérêts propres au détriment de l’intérêt général fournit ainsi selon nous, un complément nécessaire à la critique du caractère artificiel de la tyrannie de l’opinion.
- Thierry Dominici, Université de Bordeaux : « 50 nuances de vert(s) pour une seule idéologie, de l’écologisme politique à l’écologie radicale »
Les thématiques environnementales et écologistes gagnent du terrain en Europe et ailleurs pour interroger l’ensemble des régimes pluralistes actuels. Certes la pensée écologiste pourrait se réduire à la chasse aux gaz à effet de serre ou aux centrales nucléaires et surtout aux rêves ou utopies d’un retour aux sources en passant par la case de l’écologie profonde (Deep ecology) et autres attitudes post-matérialistes. Pourtant, depuis leurs apparitions dans le champ politique dans les années 1980, les partis écologistes gagnent du terrain. D’ailleurs, les dernières élections européennes ont même montré l’apparition d’un nouveau clivage (populistes vs écologistes) en remplacement du système de partis traditionnel jugé comme dysfonctionnement par les euro-citoyens. Si les partis politiques traditionnels se trouvent au coeur d’une crise de la représentation, au contraire l’écologie semble présenter le projet de société « le plus rassembleur », car se voulant a-politique tout en étant social, et « le plus diviseur » car ne sachant pas quelle voie suivre, la conventionnelle par le biais des compétitions électorales ou la non-conventionnelle, par le truchement des mouvements sociaux et autres collectifs basés sur la désobéissance civile et l’écologie radicale. Cette communication a pour objectif de présenter les deux pôles de cette revendication. Après un retour rapide sur les origines et les fondements de l’écologisme, dans un premier temps, nous reviendrons sur les projets les plus revendicatifs qui occupent l’espace public de l’écologie, pour, dans un second temps montrer que l’importance quantitative de ces nouveaux venus sur la scène politique n’est pas uniquement le résultat de la crise de la représentation des systèmes démocratique. L’idée force de cette communication est d’étudier d’une manière comparée en même temps les organisations et les appareils d’obédiences écologiste et la place que prennent ces différents courants et projets écologistes dans le discours et les programmes des partis traditionnels, au point que toutes les forces politiques actuelles semblent être tentées (pour ne pas dire teintées) par l’écologie politique.
- David Bertrand, Université de Bordeaux : « Fabrique de l’opinion et idéologies de la reconnaissance sur les réseaux sociaux »
Notre communication portera sur la fabrique de l’opinion sur les réseaux sociaux et les coûts de la déviance face à elle, en se fondant notamment sur l’exemple des féminismes et le constat de la diffusion croissante des thématiques liées à la cause des femmes dans l’espace public français. Les militantes féministes ont en effet su exploiter les possibilités offertes par les plateformes de réseaux sociaux pour augmenter drastiquement la visibilité de leurs thèses dans l’espace public, leur cas permet donc d’explorer les procédés par lesquels ces réseaux peuvent créer, sinon « l’opinion », au moins une impression d’opinion hégémonique en leur sein. Il est important de souligner dans un premier temps que les plateformes de réseaux sociaux sont des milieux d’interaction sociale dotés de caractéristiques spécifiques, dont la plus essentielle – pour la question ici posée – est son régime de visibilité dit panoptique, c’est-à-dire le fait que tout utilisateur peut potentiellement voir – et être vu par – presque n’importe quel autre utilisateur, tout particulièrement sur Twitter. Ce régime de visibilité permet aux militantes de se reconnaître entre elles et de se rassembler ; mais bien plus encore, de créer des normes sociales conformes à leurs objectifs – visant par exemple la sanction des discours sexistes et de leurs auteurs. Il convient également de noter que la sociologie des utilisateurs politisés de Twitter est profondément distincte de la population générale. On retrouve, pour résumer, une très forte surreprésentation des jeunes très diplômés issus des classes supérieures. Or, les études sur l’infomédiation sociale de l’actualité tendent à montrer que, bien qu’elle reste faible, Twitter exerce une influence sur les agendas médiatiques des grands médias et devient un lieu d’information et de socialisation majeur pour certaines catégories de la population. Les implications de ces constats quant à la possibilité de créer de réelles politiques de reconnaissance sur les réseaux socio-numériques au sein des sociétés néolibérales du capitalisme tardif seront discutées.
21 mai 2021 @ 10h30-12h00
A09. La participation politique à l’ère du numérique
Responsables: Catherine Côté (catherine.b.cote@usherbrooke.ca) et Marc-Antoine Leblanc, Université de Sherbrooke
Description de l’atelier :
Le comportement politique des citoyens a beaucoup changé au cours des dernières décennies, et plus encore au cours des dernières années. Depuis les années 1960, on avait déjà pu constater une lente érosion des repères politiques habituels : baisse de la participation électorale, désaffection partisane, perte de confiance envers les institutions et représentants politiques. Or, avec l’ère numérique, nous assistons à de nouveaux comportements politiques : alors même que de plus en plus de sources d’information sont accessibles, il y a une polarisation de l’opinion politique. Le commentaire et l’opinion sont souvent plus consultés que les sources d’information et l’infox, communément appelée « fake news », réussit à se faufiler et à se répandre à une vitesse vertigineuse. Ce phénomène est d’ailleurs d’autant plus troublant qu’il correspond à une période où les citoyens n’ont jamais été aussi éduqués et informés.
Il y a quelques années, on misait sur le journalisme citoyen et on croyait que les réseaux sociaux allaient permettre une plus grande implication politique, voire même remplacer les partis. Du printemps arabe au mouvement #MeToo, de nombreux espoirs étaient permis. Or, si on constate une augmentation de l’offre informationnelle de qualité sur les plateformes numériques des médias, elle côtoie toutefois les chroniques et les blogues d’humeur qui se sont multipliés (ainsi que les commentaires haineux des Internautes) et qui sont souvent relayés en boucle à cause des algorithmes, contribuant à renforcer les attitudes préexistantes plutôt qu’à encourager l’ouverture et l’esprit critique. Certains croient d’ailleurs que cela fait en sorte que toute une partie de la sphère publique échappe ainsi à la population, son attention étant toujours concentrée sur les mêmes éléments. D’ailleurs, la structure économique des médias sociaux en fait sourciller plus d’un depuis le scandale de Cambridge Analytica quant à l’utilisation détournée de données personnelles afin d’envoyer des publicités ciblées à des clientèles électorales.
La vie politique a également beaucoup changé au cours des dernières années. La présence sur les réseaux sociaux est maintenant au cœur des préoccupations des partis politiques qui s’y adaptent tant bien que mal et qui doivent déployer de nouvelles stratégies pour rejoindre les nouvelles générations. L’information circule également beaucoup plus rapidement et toujours en continu, les temps de réaction sont ainsi écourtés et la gestion de « crise » devient presque quotidienne. Lors des campagnes électorales, on scrute le passé Internet des candidats pour trouver des phrases malheureuses ou des faux pas qui ne passent pas ou ne passent plus. Ce ne sont donc pas toujours des conditions pour encourager la participation à la vie politique.
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A09.1 – Nouvelles stratégies électorales, campagnes ciblées, marketing politique
Commentateur : Alexis Hudelot, Université du Québec à Montréal
Communications :
- Samuel Cossette, UQAM : « Rationalité communicationnelle, vérité et automatisation du discours politique »
La communication politique est soumise à un ensemble de dynamiques d’automatisation, qui s’observent au niveau de la production, de la circulation, du traitement et de la réception du discours politique (Cossette, 2019; Ouellet et al., 2016; Shorey & Howard, 2016). Ce nouvel écosystème du discours politique modifie le rapport des citoyens et citoyennes à l’espace public, aux institutions modernes ainsi qu’à l’information de façon générale. Ces nouveaux rapports sont au cœur de phénomènes étudiés dans le cadre de cet atelier, comme les infox ou les chambres d’échos. Dans cette présentation, nous argumentons qu’un des points communs de ces phénomènes est celui de la mutation de notre rapport au vrai. La notion de vérité est en effet au cœur de la communication politique, mais abordée de façon différente qu’elle l’est généralement d’un point de vue scientifique. Alors que la science cherche à prouver, la communication politique cherche à convaincre (Kock, 2007): elle mobilise en ce sens des stratégies qui visent à modifier ou renverser certains narratifs, ou simplement en à créer de nouveaux. Une de ces stratégies, qui émerge du numérique et des données massives, est celle du microciblage psychométrique (Sharp et al., 2018). Nous proposons pour cette présentation d’explorer ces transformations de notre rapport au vrai dans le contexte de la communication politique numérique et algorithmique. À partir d’une analyse de discours critique des communications des entreprises (maintenant défuntes) de microciblage psychométrique Cambridge Analytica et SCL Group, nous montrons comment ces récentes méthodes de microciblage psychométrique en communication politique nourrissent – et se nourrissent – d’un nouveau dispositif du vrai. Ce nouveau dispositif est à la fois individuel et institutionnel : individuel parce qu’il émerge d’un retour en force de l’affectif (Boler & Davis, 2018) et du psychologique (Matz et al., 2017) dans la communication politique algorithmique; institutionnel parce qu’il se situe dans un contexte de crise des autorités modernes ou des « régimes de vérité » (Harsin, 2015; Rouvroy & Stiegler, 2015).
- Camille Arteau-Leclerc et Philippe Dubois, Université Laval : « Quand on devient la cible des tiers partis – La publicité micro-ciblée du réseau Strong and Proud aux élections fédérales »
Le recours aux médias socionumériques est désormais monnaie courante en publicité politique. Par le biais du micro-ciblage, les publicités en ligne peuvent atteindre plus facilement certains segments électoraux. On s’inscrit alors dans une logique « narrowcasting » où plusieurs messages sont développés et adaptés en fonction de cibles précises. Si cette technique peut faciliter la vie des campagnes qui cherchent à maximiser leurs actions dans un contexte où leurs ressources et le temps sont limités, elle peut aussi favoriser la diffusion d’informations trompeuses ou inexactes. Le micro-ciblage soulève donc des questionnements éthiques. De ce fait, plusieurs événements ont forcé les États à adopter des mesures pour garantir l’intégrité de leurs processus démocratiques. Au Canada, la Loi sur la modernisation des élections, adoptée en décembre 2018, prévoit plusieurs mesures pour tenter de réglementer la publicité politique en ligne. L’une d’elle est l’obligation pour les grandes plateformes numériques de conserver des archives publicitaires. C’est dans ce contexte que Facebook Canada a créé son outil d’archivage des publicités : la Bibliothèque des publicités de Facebook (BPF). Notre étude porte sur les publicités mises en ligne sur Facebook par un tiers parti de droite lors de l’élection fédérale canadienne de 2019. L’objectif général est de comprendre comment les tiers partis enregistrés utilisent les médias sociaux à des fins publicitaires. Nous avons décidé de concentrer notre analyse sur ces groupes, car ils sont susceptibles de représenter une menace pour l’intégrité du processus démocratique. Moins surveillés que les partis politiques en tant que tels, ils utilisent des publicités micro-ciblées pour toucher les électeurs en ligne. Ils gagnent d’ailleurs de plus en plus d’importance sur la scène politique canadienne. En 2019, le nombre de tiers partis enregistrés auprès d’Élection Canada a atteint un nouveau sommet. Nous avons donc procédé à une analyse de contenu de toutes les publicités mises en ligne sur la plateforme Facebook par le réseau « Strong and Proud ». Ce dernier est un tiers parti bien implanté au Canada. Il est composé d’un noyau central: la page « Proud to be Canadian ». Neuf autres pages Facebook y sont liées, toutes propres à certaines provinces (par exemple, Québec Fier). Nous avons utilisé une grille de codification pour analyser les 258 publicités mises en ligne toutes les pages du réseau « Strong and Proud », tirées de la Bibliothèque des publicités de Facebook. Elles ont été publiées entre juin 2019 et la date de l’élection fédérale, à savoir le 21 octobre 2019. Pour ce faire, nous nous intéressons au sujet des publicités, à leur ton, à leur portée ainsi qu’à la présence d’appels à l’action et d’hyperliens. Cela nous permet de dresser le portrait de leurs pratiques publicitaires sur Facebook lors des élections fédérales de 2019. Notre analyse met également en lumière l’incapacité de la Bibliothèque des publicités de Facebook à rendre compte de manière utile des pratiques de micro-ciblage.
- Thomas Erhard, Université de Paris II Panthéon-Assas et Antoine Bambade, INRIA Paris équipe Willow: « Le microciblage électoral fait-il gagner des élections ? L’efficacité de la technologie politique en France »
L’utilisation des données politiques et sociologiques concernant les électeurs dans les campagnes électorales est largement médiatisée et valorisée, notamment à travers les outils de microciblage géographiques des électeurs potentiels. Big data et algorithmes fonderaient ainsi une rupture dans les campagnes électorales devenues « gouvernées par les données », dont le tournant technologique apporterait des victoires. Pourtant, l’efficacité des outils de la technologie politique est peu questionnée dans les recherches de sciences politiques. Le microciblage électoral, en particulier, n’est pas interrogé dans cette perspective alors qu’il s’agirait d’un outil permettant des gains électoraux. Cette communication interroge les résultats de ces techniques : comment les acteurs démontrent-ils l’efficacité de leur méthode ? Nous étudions le discours des acteurs de ce marché portant sur la démonstration de l’efficacité de leurs outils de microciblage électoral. Nous montrons que le discours sur l’efficacité des algorithmes de microciblage électoral se décline de quatre façons différentes. L’efficacité peut, premièrement, être affirmée comme étant démontrée par l’invocation de la science. Deuxièmement, certains acteurs proposent des méthodologies qui se veulent scientifiques pour prouver le plus rigoureusement possible l’efficacité des méthodes de microciblage. Troisièmement, d’autres acteurs argumentent par ailleurs l’efficacité de leurs méthodes à l’aide d’expériences passées réussies. Enfin, quatrièmement, certains acteurs ne proposent ni démonstration ni argumentation pour prouver l’efficacité de leur méthode. Cette communication permet d’appréhender les difficultés des acteurs à démontrer l’efficacité des services qu’ils vendent aux candidats et permet de déconstruire le mythe du recours « à la science » dans les campagnes. Elle permet également de formuler des apports à la compréhension et à l’usage de la technologie dans les campagnes électorales. Cette communication s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche pluridisciplinaire entre science politique et science des données. Initié en 2018, il a déjà donné lieu à plusieurs publications d’articles et de chapitres dans des revues et ouvrages en France et à l’international. Cette communication s’appuiera notamment sur deux séries d’entretiens (n=16) réalisés avec les sociétés proposant des services de ciblage électoral en France.
17 mai @ 8h30-10h00 -
A09.2 – Enjeux éthiques et démocratiques du numérique
Commentateur : Alain Létourneau, Université de Sherbrooke
Communications :
- Houda Bachisse, UQAM : « La participation des citoyens ordinaires sur les pages Facebook des quatre principaux partis politiques québécois : vers quel rapport au politique ? »
L’objectif de cette communication est de présenter une partie des résultats de notre recherche doctorale. Cette dernière porte sur l’étude de la nature du rapport au politique que les citoyens ordinaires et quatre des principaux partis politiques québécois (CAQ, PQ, QS, PLQ) développeraient à travers leurs dynamiques communicationnelles sur Facebook, notamment pendant les élections provinciales de 2018. Pour atteindre cet objectif, nous avons procédé à une observation non participante en ligne et à une captation des statuts publiés sur les pages Facebook de ces quatre partis politiques, ainsi que l’analyse de contenus de 2046 commentaires produits par les citoyens en réaction à ces statuts. Les résultats de nos analyses nous ont permis de constater que les pages des partis politiques sur ce média apparaissent pour les citoyens comme des espaces de conversation et d’expression, leur permettant de formuler leur compréhension des enjeux qui y sont diffusés tout en manifestant leurs opinions, revendications, idées et désaccords avec ces thèmes. L’émergence de ce genre de réactions sur Facebook créerait les conditions d’un autre rapport au politique qui n’inclue pas seulement le rapport avec « la politique », mais également avec « le politique ». Un rapport avec (le politique) : il s’agit là pour les citoyens d’un rapport basé, pour une part, sur la manière de penser et d’exprimer leurs liens avec l’univers politique. Des liens dont la médiation de Facebook permet d’optimiser, puisque ce média donne à l’identité du citoyen une consistance politique et institutionnelle qu’il peut défendre dans des activités conversationnelles qui le font reconnaître des autres acteurs de la sociabilité » (Lamizet, 2002, p. 140). Une consistance qui lui permet, à l’image d’un « citoyen vigilant » (Greffet et Wojcik, 2014), d’exercer une sorte de vigilance critique vis-à-vis des actions et décisions de ses représentants. D’ailleurs, force est de mentionner que 60% des commentaires d’opinion publiés par les citoyens sur les pages Facebook des quatre partis politiques confondus étaient, en fait, des commentaires d’indignation. Les citoyens sont critiques envers le bien-fondé de l’action des partis politiques, de leur compétence politique, leur mode de gestion inefficient de certains dossiers ou encore de leur manipulation du « peuple ». Un rapport à (la politique) : la médiation de Facebook permettrait d’assurer une forme de participation des citoyens ordinaires à la discussion d’enjeux publics sur des espaces virtuels même si ces derniers n’en ont pas les compétences. Facebook apparaitrait, dans ce cadre, comme un moyen de contrer l’apathie politique palliant ainsi les frontières classiques qui érigeait la politique comme « cette chasse gardée » qui s’exerçait dans des lieux institutionnalisés de concrétisation de l’intérêt général. Ce média créerait les conditions pour que la politique ne soit plus cette question trop sérieuse, trop compliquée au point d’exclure ceux qui n’en ont pas la compétence. Les conversations sur Facebook ressemblent à des séances de bavardage, ou à des moments routiniers de discussion qui tissent les liens de sociabilité quotidienne (Aldrin, 2009, p. 200), même éphémères. Des moments où la participation n’est plus exclusive à l’engagement dans sa forme traditionnelle (militantisme, vote, manifestation, action partisane, notamment) (Perrineau, 1999, p. 115). Il revêt aujourd’hui, à l’aune des réseaux socionumériques et de Facebook, l’habit d’une participation sous forme de conversation, de discussions informelles contingentes menées en dehors de toute appartenance à une communauté politique. Il s’agit bien là selon Monnoyer-Smith (2011) d’une nouvelle forme de participation à la politique. Une participation qui toucherait aussi les citoyens apathiques, inventant ainsi une nouvelle forme d’interaction qui ne se manifesterait plus occasionnellement, mais comme disait Perrineau (1999), quotidiennement.
- Philippe Dubois, Thierry Giasson et Éric Montigny, Université Laval : « Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais : les partis politiques et la protection des données numériques personnelles des électeurs québécois »
L’enjeu de la protection des renseignements personnels s’est retrouvé à de nombreuses reprises au cœur de l’actualité. Au Québec, le vol de données d’employés de Revenu Québec, la fuite massive touchant les membres de Desjardins, ou encore la divulgation de renseignements privés à propos des donateurs de l’Équipe Denis Coderre pour Montréal ont, entre autres, alimenté critiques et craintes. Les partis politiques québécois, pour qui la règlementation en matière de protection des renseignement personnels ne s’applique pas (Élection Québec, 2019), ne sont pas en reste. Alors que le scandale Facebook–Cambridge Analytica était dévoilé (Cadwalladr et Graham-Harrison, 2018), la classe politique québécoise n’a pas été en mesure d’expliquer et de justifier ses pratiques en matière de collecte de d’utilisation de données personnelles sur les électeurs à des fins stratégiques et politiques. Des travaux récents ont montré qu’une réglementation laxiste, une mise à l’agenda médiatique des question de protection de la vie privée et une adoption de nouvelles pratiques et outils par les partis politiques forment les conditions parfaites pour accentuer la pression sur les décideurs publics quant à un meilleur encadrement (Montigny et al., 2019). Si le nouveau gouvernement de la Coalition avenir Québec a promis de légiférer en la matière (Croteau, 2019), rien pour l’instant n’a été présenté en Chambre. Cette communication propose de mettre en perspective les pratiques des partis politiques quant aux données personnelles sur les électeurs et la règlementation actuelle et potentielle. Quels peuvent-être les effets des propositions d’amendement au cadre règlementaire actuel sur ces pratiques? Les mesures proposées sont-elles adaptées aux actions et aux outils des formations politiques? Quels sont les angles morts et les zones grises? Comment cela peut influencer la communication politique et l’organisation des campagnes électorales au Québec?
- Bruce McKenna, UQAM : « Le modèle big organizing et la nouvelle gauche sociale-démocrate en Amérique du Nord : Renaissance des partis de masse à l’ère du numérique ? »
Dans la seconde moitié du 20e siècle, les partis sociaux-démocrates en Europe de l’Ouest ont servi de véhicules pour la participation politique à une échelle sans précédent. Ces « partis de masse » (Katz et Mair 1995) ont décliné à l’époque de la mondialisation, à la fois en termes de leur part du vote et de leur vie démocratique interne (Mair 2013). Au Canada, cette même tendance s’est manifestée sur une plus petite échelle dans le cas du Nouveau parti démocratique (NPD). Traditionnellement le parti de la gauche syndicale et des mouvements sociaux, le NPD est devenu marginal durant les années 1990, avant de resurgir sous forme plutôt professionnalisée durant la première décennie du nouveau millénaire. Ce « nouveau NPD » se concentre sur la communication numérique, et son war room médiatique est devenu le cœur des campagnes (McGrane 2019; McLean 2012). Le paradigme du « marketing politique » est maintenant employé par certains politologues pour étudier les partis politiques fédéraux canadiens en général (Marland 2016, 2020; McGrane 2019). Le parti de masse social-démocrate est-il donc finalement chose du passé au Canada ? Notre hypothèse est qu’il est peut-être en train de renaître petit à petit, dans une forme adaptée à l’ère du numérique. Aux États-Unis, les campagnes présidentielles de Bernie Sanders ont été pionnières du modèle big organizing (Bond et Exley 2016), dont elles se sont servi pour bâtir une véritable armée de bénévoles, sans précédent dans la politique américaine récente. Dans ce modèle, le leadership est distribué, et l’accent est mis sur la construction d’un mouvement, qui passe avant tout par des conversations individuelles avec les électeurs. Les outils numériques jouent un nouveau rôle de facilitation de la gestion de la campagne et d’engagement des bénévoles. Si les communications professionnelles de la campagne centrale demeurent indispensables, on reconnaît que la victoire passera ultimement par un travail de terrain fondé sur l’inspiration idéologique. Au Canada, plusieurs campagnes locales du NPD se sont inspirées du modèle big organizing dans les élections ontariennes de 2018 et fédérales de 2019. Au même moment, les revendications entourant la démocratie interne du parti ont surgi vers l’avant-scène au congrès fédéral. Parallèlement, la percée de Québec solidaire (QS) dans les élections de 2018 a témoigné de la puissance croissante d’un parti radicalement démocratique, qui mobilise ses bénévoles autour d’idées politiques ambitieuses. Il semble que nous pouvons tracer des liens entre le big organizing qui priorise le travail de terrain, la volonté de mettre de l’avant des politiques au-delà du statu quo, et le désir de faire du parti politique un lieu de participation démocratique. Nous pouvons apprendre plus en étudiant de près cette histoire récente, documenté dans les revues militantes et la couverture médiatique. La politique partisane de masse est peut-être en train de renaître dans l’ère du numérique, en lien avec la transformation de la gauche.
17 mai @ 10h30-12h00 -
A09.3 – Communication politique et campagnes électorales
Commentateur : Éric Montigny, Université Laval
Communications :
- Simon Ftizbay et Mireille Lalancette, UQTR : « « Meming forward together ». Mèmes Internet politiques et participation pendant la campagne fédérale de 2019 »
Dans le cadre de ce papier, nous présenterons les analyses des mèmes publiés sur les réseaux socionumériques (Facebook, Twitter, Reddit) pendant la campagne électorale fédérale de 2019. Ces mèmes ont été recueillis au cours de la campagne. En nous basant sur les travaux de Ross et Rivers (2017) et de la position épistémologique de Bradley Wiggins (2019), nous illustrerons comment les mèmes sont utilisés pour délégitimer un politicien ou le discours que celui-ci emploie. Plus spécifiquement, nous montrerons que ces stratégies reposent notamment sur la délégitimation en lien avec l’autorité, l’évaluation morale, la rationalisation en cadrant spécifiquement ces mèmes pour rejoindre un auditoire ciblé. Les mèmes internet occupent une place considérable au sein de la culture populaire grâce au poids important que prennent les médias socionumériques en tant que plateformes d’échange et de communication. Ces « […] fragments de contenu digitaux disséminés rapidement sur le Web par le fruit de mouvements itératifs devenant ainsi des expériences culturelles partagées » (Shifman, 2013, p. 18, notre traduction) sont également des outils discursifs porteur d’un message engagé. Notre étude porte principalement sur les mèmes qui commentent l’image et le discours des chefs des partis politiques en visant leur intégrité, la plateforme de leur parti, leurs croyances personnelles ou leurs prises de position. Alors que plusieurs, dont les journalistes des médias traditionnels, se questionnent à propos de l’influence que peuvent avoir les mèmes en tant que message politique non réglementé, notre travail offre un regard analytique sur un objet peu exploré jusqu’à maintenant au Canada. Finalement, il lève le voile sur comment les évaluations des leaders s’élaborent grâce aux mèmes politiques.
- Charles-Antoine Millette, Université de Sherbrooke : « Les partis politiques fédéraux canadiens et leurs chefs sur Instagram : quel cadrage des enjeux environnementaux durant la campagne électorale de 2019 ? »
À l’aune de la littérature récente en communication environnementale et communication politique, force est de constater qu’aucune étude ne se penche sur le cadrage (framing) des enjeux environnementaux sur les médias sociaux par les partis politiques fédéraux et leurs chefs au Canada. Dans le but de combler cette lacune, nous avons entrepris une analyse de contenu qualitative des contenus mis en ligne par les partis et leurs chefs sur la plateforme socionumérique Instagram au cours de la campagne électorale de 2019. Les résultats préliminaires issus de l’analyse de notre corpus, qui se compose de 516 publications et de 986 photos ou vidéos, montrent qu’à l’exception du Parti vert, les partis et les chefs ont très peu parlé d’environnement sur cette plateforme durant la campagne. En effet, seulement 11 % des publications des chefs portent, de près ou de loin, sur les enjeux environnementaux, et 35 % des publications des partis traitent de ces enjeux. Précisions toutefois que les publications du Parti vert constituent à elles seules 29 % des publications des partis qui sont dédiées à l’environnement. D’une manière plus générale, les publications servent à placer les chefs à l’avant de la scène politique, en relatant, par exemple, leurs déplacements à travers le pays et les évènements auxquels ils participaient. De cette manière, en mettant en scène leurs chefs, de même qu’en ayant recours à la communication numérique et au marketing politique, les partis cherchent à s’adapter face à un financement et un nombre de membres décroissant, mais aussi face à un électorat qui s’avère « plus flexible dans son attachement partisan et plus critique » à leur égard (Giasson et Montigny, 2019). En outre, une telle utilisation de la plateforme Instagram s’inscrit dans les phénomènes de la concentration du pouvoir autour des chefs, de la personnalisation de la politique, dans la mesure où l’attention est portée « sur la personnalité [des chefs] aux dépens des causes et des enjeux », et de la politique spectacle, puisque « l’image prévaut sur le travail proprement politique » (Gingras, 2013).
- Alexandra Turgeon, UQAM : « La question du port de signes religieux dans les discours de la CAQ pendant la campagne électorale de 2018 »
Dans un contexte de diminution de l’identification et de la militance partisane, le recours aux techniques de marketing politique s’inscrit dans une tendance où les partis politiques emploient certaines stratégies pour atteindre les électeur·rice·s et gagner leur confiance (Gidengil, 2012). Si les adeptes du marketing politique considèrent l’emploi de ce type de techniques principalement comme une stratégie utile et avantageuse pour parer aux difficultés liées à ce contexte, des recherches plus critiques notent qu’elles peuvent satisfaire davantage les objectifs électoralistes des partis que les besoins des citoyen·ne·s (Savigny, 2011). Dans cette perspective, cette communication présente les résultats d’un mémoire au sujet de la mobilisation par la Coalition Avenir Québec (CAQ) de l’enjeu du port de signes religieux chez les employé·e·s de la fonction publique lors de la campagne électorale québécoise de 2018. Cette recherche vise à identifier comment la mobilisation de cet enjeu par la CAQ répond à des objectifs de communication politique empruntant aux techniques de marketing politique, ainsi que la façon dont ces discours peuvent alimenter des représentations sociales des personnes musulmanes s’inscrivant dans des dynamiques de discrimination et de racisme systémiques. Pour répondre à ces objectifs, nous avons combiné une analyse critique du discours de la CAQ au sujet du port de signes religieux (selon Van Dijk, 1998) à des entretiens semi-dirigés avec des personnes concernées. Nos résultats révèlent la place importante de l’usage du numérique dans les stratégies communicationnelle et publicitaire de la CAQ, notamment dans l’accumulation d’informations au sujet de l’électorat québécois. L’emprunt aux techniques de marketing politique – accumulation de données, segmentation des publics, choix des sujets et construction des discours (Maarek, 2011) – est également notable au sein de cette stratégie, et informe la rédaction des discours officiels du parti. Ces discours semblent participer à creuser un fossé idéologique entre les groupes majoritaires et minoritaires au sein de la société québécoise, et des effets sur le vivre-ensemble sont observés par les personnes interrogées. Les résultats de cette recherche permettent ainsi d’élargir la compréhension des enjeux complexes autour de l’élaboration et la diffusion de discours politiques ciblés, ainsi que sur les considérations éthiques de la mobilisation de techniques de marketing politique en contexte électoral.
- Marc-Antoine Martel et Richard Nadeau, Université de Montréal : « Stratégies de communication et élections québécoises : Quels constats tirer des scrutins de 2014 et 2018? »
De nombreuses études se sont penchées sur l’usage de communications stratégiques par les partis politiques pour influencer l’agenda public. Les campagnes modernes et post-modernes dédieraient des efforts particulièrement soutenus pour augmenter la proéminence d’enjeux pouvant leur être favorables dans la sphère publique. Cette pratique s’appuie sur l’idée que les médias peuvent influencer les priorités et les critères d’évaluation des électeurs. En élaborant et en exécutant un plan de communication efficace, les partis pourraient ainsi maximiser leurs appuis au suffrage. Cette communication résumera en un premier temps les différents modèles théoriques cherchant à expliquer les motivations stratégiques des partis politiques en ce qui a trait aux thèmes qu’ils placent au cœur de leurs campagnes électorales. En un deuxième temps seront présentés les résultats d’une analyse des communications de quatre partis politiques québécois lors des campagnes électorales de 2014 et 2018. Ces résultats, mis en relation avec la littérature pertinente, offriront une contribution au champ de la communication politique en montrant ce que la communication électorale au Québec est susceptible de nous apprendre sur les dynamiques politiques dans un système multipartite. La pertinence du Québec comme étude de cas est multiple. D’abord, il apparait important d’étudier l’élection de 2018 puisqu’elle marque la fin de près de 50 ans d’alternance au pouvoir entre le Parti québécois et le Parti libéral du Québec. Plusieurs considèrent à ce titre qu’elle constitue un tournant dans l’histoire électorale du Québec. Ensuite, dans la mesure où les chances de remporter une élection sont susceptibles d’influencer les stratégies électorales des partis, la période 2014-2018 est hautement singulière et forme en soi une expérience naturelle, la CAQ ayant eu à élaborer ses stratégies dans deux contextes fort différents. De manière plus large, étudier les dynamiques électorales s’avère particulièrement pertinent dans un contexte où plusieurs observent la montée de nouvelles formes de polarisations et une possible restructuration des alignements idéologiques classiques (De Sio et Lachat, 2019). Les résultats préliminaires indiquent que la Coalition avenir Québec est le parti ayant le plus radicalement changé les thèmes au cœur de ses communications électorales. Loin d’être un signe d’incohérence, ces changements pourraient être le reflet d’un repositionnement stratégique. En outre, la position plus favorable de la Coalition avenir Québec dans les sondages au déclenchement de la campagne de 2018 a pu encourager le parti à délaisser un modèle de parti de niche pour adopter une approche de challenger.
18 mai @ 8h30-10h00 -
A09.4 – Perceptions et polarisation
Commentatrice : Mireille Lalancette, Université du Québec à Trois-Rivières
Communications :
- Carol-Ann Rouillard, UQTR : « Le cadrage des femmes ministres dans les cabinets paritaires »
Au Canada, de plus en plus de premier.ères ministres choisissant de nommer des conseils des ministres paritaires, un choix qui relève bien souvent d’un quota que se fixent les chef.fes de partis (Tremblay 2010). D’un côté, des études à propos des débats sur les quotas de genre ont fait ressortir les contre-arguments selon lesquels les femmes ainsi nommées sont des femmes alibi et que les nominations sont réalisées au détriment de la compétence (Lovenduski 2005). D’un autre côté, des études sur le cadrage des femmes politiques ont mis en lumière une couverture genrée, influencée par des caractéristiques individuelles (Wagner et Everitt 2019). Cependant, le cadrage et les représentations des femmes nommées suivant une logique de quotas demeurent peu documentés. Comment les femmes nommées ministres dans un conseil paritaire sont-elles représentées dans les médias ? Pour répondre à cette question, trois aspects seront étudiés: (1) le portfolio et l’expérience préalable des femmes nommées; (2) les réactions aux nominations; (3) les impacts éventuels d’une présence importante de femmes au cabinet. L’étude repose sur l’analyse du cadrage médiatique des femmes nommées ministres suivant l’annonce de dix conseils des ministres au Canada et dans trois provinces. Les résultats démontrent que les femmes sont présentées suivant une expérience riche et diversifiée qui leur confère un rôle de modèle auprès des femmes et des jeunes filles. Ils permettent de considérer le rôle-clé des médias dans la construction de l’importance de la représentation symbolique des femmes au conseil des ministres.
- Thomas Caron et Tania Gosselin, UQAM : « Confiance politique, intuitionnisme et plausibilité des théories du complots »
L’adhésion aux théories du complot a longtemps été associée à une pathologie, puis à des traits de personnalité ou à des préférences cognitives (van Prooijen 2018). Les récents développements technologiques et socio-politiques, et puis la pandémie de COVID-19, ont mis en avant le rôle de facteurs plus contextuels tels les crises, des systèmes partisans polarisés, et les médias (surtout sociaux). Ces facteurs contextuels influenceraient directement et indirectement les croyances conspirationnistes, notamment par le biais de la confiance politique. Si la confiance interpersonnelle est avant tout considérée comme une caractéristique individuelles plutôt stable, la confiance politique serait sujette aux contextes, par exemple les scandales politiques (Einstein & Glick, 2013). À l’aide de données issues de sondages expérimentaux menés au Québec en 2019 et en 2021, la communication explore les liens entre la confiance politique, l’intuitionnisme, les sources d’information politique et l’adhésion aux théories du complot.
- Audrey Gagnon, Université Concordia : « Identité nationale et polarisation des opinions à propos de l’immigration au Québec »
Au cours des deux dernières décennies, les débats publics sur l’immigration se sont intensifiés dans de nombreuses démocraties libérales. Cette intensification des débats publics sur l’immigration se caractérise par des opinions polarisées divisées en camps pro-immigration et anti-immigration. La province de Québec ne fait pas exception à cette dynamique. Comment expliquer la construction des opinions polarisées à propos de l’immigration au Québec? Ma thèse de doctorat offre une explication des mécanismes de construction des opinions à propos de l’immigration dans ses formes plus communes et plus radicales. À l’aide d’entrevues semi-dirigées réalisées auprès de Québécois issus du grand public et de militants au sein de groupes anti-immigration au Québec, la thèse offre une étude comparée des mécanismes influençant les opinions à propos de l’immigration. La comparaison entre ces deux populations permet d’explorer ces mécanismes tout en les situant sur un continuum allant des opinions cosmopolites à celles suprémacistes blanches. Suivant les travaux de Benedict Anderson, cette recherche avance que les médias jouent un rôle influant dans la construction de l’identité nationale, en façonnant la façon dont les gens imaginent la relation des uns avec les autres. Certains individus, cependant, ne se reconnaissent pas dans la communauté telle qu’imaginée par les médias traditionnels. C’est le cas des membres de groupes anti-immigration qui perçoivent que leur conception ethnicisante de l’identité nationale ainsi que leurs préoccupations concernant l’immigration ne sont pas représentées dans les médias traditionnels. Ces individus recherchent donc activement des sources d’information alternatives qui correspondent davantage à la façon dont ils imaginent la communauté nationale. Ceci est facilité par l’avancement des communications qui permet la construction de «communautés imaginées alternatives» grâce aux médias alternatifs et aux médias sociaux. Ces sources d’information alternatives représentent leur conception de l’identité nationale plus exclusive, abordent et valident ouvertement leurs préoccupations en matière d’immigration et leur permettent de se sentir moins stigmatisés par rapport à leurs opinions radicales. J’observe que les opinions à propos de l’immigration sont largement influencées par la source d’information consultée par les individus (c’est-à-dire, les médias traditionnels, les médias sociaux ou les médias alternatifs).
18 mai @ 10h30-12h00 -
A09.5 – Participation politique numérique
Commentateur : Emmanuel Choquette, Université de Montréal
Communications :
- Amélie Groleau, Institut de la statistique du Québec : « La participation politique des jeunes au Québec : que nous apprennent des données de l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec ? »
La participation politique contribue au développement de l’individu. Le fait d’être actif politiquement dans la vie démocratique de son pays est considéré par certains comme une des dimensions concourant au bien-être individuel (Canadian Index of Wellbeing, 2016). Toutes proportions gardées, les jeunes sont moins nombreux à se présenter aux urnes lors des élections que les citoyens plus âgés. Cela dit, comparativement aux citoyens des autres groupes d’âge, ils sont plus enclins à prendre part à certains types d’activités politiques non électorales comme manifester ou exprimer leur opinion politique sur le Web (Turcotte, 2015). Or, loin d’être un groupe homogène, les jeunes ont des attitudes et des comportements diversifiés face à la participation politique. Certains facteurs associés à leur participation s’ancrent dans leur milieu familial et dans leur parcours antérieur. Ainsi, le niveau de scolarité des parents (Levine et Flanagan, 2010) ainsi que leur engagement civique ou politique (Warren et Wicks, 2011; Gidengil, Wass et Valaste, 2016), le statut de minorité visible du jeune (Claes, Hooghe et Stolle, 2009; Mahéo et coll., 2012), le développement de compétences scolaires et sociales à l’adolescence (Obradovic et Masten, 2007), le degré d’intégration sociale à l’école (Settle, Bond et Levitt, 2010) ou encore les caractéristiques de l’école, lorsque combinées à des indicateurs socioéconomiques (Wilkenfeld, 2009) seraient liés à la participation politique ultérieure des jeunes. À cela s’ajoutent les facteurs propres à leur vie actuelle, que ce soit leur situation socioéconomique (revenu, occupation), leur scolarité ou encore leurs attitudes envers la politique ou leurs valeurs qui peuvent teinter leurs comportements politiques. À partir des données de l’Étude longitudinale sur le développement des enfants du Québec (ELDEQ), qui suit une cohorte de jeunes nés au Québec en 1997-1998, cette communication propose tout d’abord de décrire les différents types d’activités politiques effectuées par les jeunes Québécois âgés de 20 ans. Quelles sont les activités les plus communes? Les jeunes prennent-ils part à plusieurs types d’actions? Quels sont les liens entre la participation électorale et les autres types d’activités politiques? Par la suite, les facteurs antérieurs et transversaux pouvant être associés à la participation politique et au vote des jeunes seront examinés. À terme, en plus d’enrichir les connaissances existantes sur les comportements politiques des jeunes Québécois, l’analyse permettra de mieux saisir certains facteurs susceptibles de contribuer ou non à leur participation politique.
- Paul Gregory Murphy, Université Laval : « Transformer la radicalisation pro-environnementale des jeunes en résilience urbaine intergénérationnelle : démocratie numérique et responsabilités éducatives »
Transformer la radicalisation pro-environnementale des jeunes en résilience urbaine intergénérationnelle : démocratie numérique et responsabilités éducatives L’activisme environnemental prêche l’innovation hybride dans les espaces publics — hors ligne et sur le web — par la démocratie participative et délibérative. Ceci est percutant en raison que les aménagements urbains autodépendants sont le terrain et l’objet de manifestations internationaux pour la justice intergénérationnelle. Citons « Fridays for Future », « Youth v. Gov. », « Extinction Rebellion » et « Sunrise Movement. » La principale contribution de cette étude sera l’élaboration d’une typologie de la diversité des techniques de communication utilisées dans la démocratie numérique radicale, tant en ligne que dans la rue. Cette typologie est documentée à l’aide d’observations discrètes de l’urbanisme tactique, notamment des graffitis, des journaux locaux, des affiches d’événements et des entretiens informels. Les données relatives à la participation électorale record des jeunes, à l’expertise des jeunes en matière de fracture numérique et à la hausse du chômage des jeunes suggèrent que les clivages intergénérationnels pourraient intensifier l’emploi de ces méthodes. Pour transformer les processus de radicalisation des jeunes en résilience communautaire intergénérationnelle, les institutions politiques doivent formaliser les capacités d’écocitoyenneté en utilisant l’apprentissage tout au long de la vie, alimentée par les ressources éducatives ouvertes (REL). Et plus, en soutenant les espaces de recherche à vocation civique qui adoptent la méthode de recherche-action participative des jeunes (RAPj).
- Maude Jodoin-Léveillée, Université de Montréal : « Activisme digital féministe en Afrique de l’Ouest : « nouvelles » stratégies et « nouvelles » formes d’exclusion à la participation citoyenne des femmes dans les espaces numériques »
Depuis les années 90’, les universitaires parlent d’une troisième, voire d’une quatrième vague de féminisme où les nouvelles générations de femmes et de filles épouseraient des stratégies d’action inédites marquées par le recours à l’activisme digital. À travers la réalisation d’un terrain de recherche qualitatif s’intéressant aux formes de féminisme au Togo, l’usage de l’activisme digital comme principale stratégie de militantisme a permis de distinguer une nouvelle génération de féministes togolaises. Cette nouvelle génération se démarque par son utilisation du web et des réseaux sociaux comme moyen de sensibiliser la population aux enjeux féministes. La numérisation de l’activisme féministe n’est toutefois pas pleinement accessible à toutes. Plusieurs barrières limitent l’inclusion numérique des Ouest-africaines à cet espace de participation citoyenne. Cette communication s’intéressera dans un premier à temps à définir les nouvelles stratégies de militantisme numérique et les caractéristiques sociodémographiques de cette nouvelle génération de féministes togolaises. Cela impliquera de se questionner à savoir si cette jeune génération de féministes emploie vraiment de « nouvelles » stratégies militantes ou si elle réemploie plutôt les modalités d’action des générations précédentes, mais à travers des canaux de communication différents. Parmi ces « nouvelles » stratégies employées, une attention particulière sera portée aux formes moins contestataires d’action collective telles que les pratiques militantes du témoignage, d’écoute et de création de communautés transnationales. Repenser l’éventail des répertoires d’action collective féministes en contexte togolais est nécessaire pour éviter l’exclusion de pratiques considérées comme pas assez « contestataires » pour être qualifiées de militantes. Dans un deuxième temps, il s’agira d’illustrer les barrières auxquelles sont confrontées les Ouest-africaines en matière d’activisme digital. Après avoir mobilisé la littérature sur a fracture digitale et sur le concept d’inclusion numérique, nous utiliserons le cas du Togo et plus largement de l’Afrique de l’Ouest pour identifier les barrières spécifiques à ce contexte socioculturel et géographique. Ce mettra en lumière les formes d’exclusion qui limitent la capacité des Ouest-africaines à exercer leur droit de participation citoyenne sur les plateformes numériques. Pour apporter des réponses à ces questionnements, nous mobiliserons des données qualitatives récoltées au Togo sur une période de deux ans et les réponses à choix multiples, à court et à moyen développement à un questionnaire répondu en ligne par 10 militantes ouest-africaines provenant du Bénin, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée, du Niger, du Sénégal et du Togo. Les données récoltées au Togo combinent des entretiens semi-dirigés réalisés auprès de plus de 45 personnes engagées dans la promotion des droits des femmes, d’une cinquantaine d’observations d’évènements et de réunions organisés par des organisations défendant l’égalité des genre ainsi que par une veille des réseaux sociaux des pages Facebook de féministes togolaises. Bref, cette présentation permettra de souligner l’émergence de « nouvelles » formes, numériques, de participation citoyenne dans l’espace de la cause des femmes au Togo, mais aussi d’illustrer les « nouvelles » formes d’exclusion qui entravent l’accès et la participation à ces plateformes web dans la sous-région.
- Chiraz Dabbabi, Mireille Lalancette et Léo Trespeuch, UQTR : « Le slacktivisme : Un maximum d’impact avec un minimum d’effort ! »
Dès leur apparition, les médias socionumériques, dont Facebook, Twitter et Instagram, ont créé une nouvelle dynamique de l’activisme social et politique : le « slacktivisme ». Ce dernier a bouleversé la relation entre la volonté populaire et l’autorité politique, facilitant ainsi la collaboration, la coordination et l’expression des préoccupations des plus démunis (Malcolm Gladwell, 2010). Le terme « slacktivisme » a été créé par Dwight Ozard et Fred Clark en 1995. Ce néologisme est issu de l’association des mots « slack » et « activism » et qui peut être traduit par l’expression d’un activisme mou qui se laisse aller. Malgré sa connotation péjorative associée à la paresse et au narcissisme, le terme slacktivisme a également été utilisé positivement. Il permettait de désigner les activités de militantisme en ligne, à petite échelle et à échelle personnelle, entreprises par des jeunes au profit d’une communauté (Christensen, 2011). Le « slacktivisme » peut ainsi être vu comme une activité parasite ou une nouvelle forme d’activisme social et politique. Cette divergence de point de vue est très présente dans la littérature. Les chercheurs défaitistes vis-à-vis du slacktivisme comme Morosov (2009 a, 2009 b), Kristofferson, White et Peloza (2014) confirment une vision du slacktivisme fondée sur la simple gestion paresseuse du contenu numérique (images et vidéos, par exemple). C’est la « volonté d’effectuer une manifestation symbolique et relativement peu coûteuse de soutien à une cause sociale, accompagnée d’un manque de volonté de consacrer des efforts importants à la mise en œuvre d’un changement significatif » (Kristofferson et al., 2013, p. 1149). À l’opposé, d’autres chercheurs, plus enthousiastes comme Davis (2011), Brigham et Noland (2014) défendent l’idée selon laquelle les premières actions symboliques sur internet génèrent un engagement plus actif. Aussi, les travaux de Van Laer et Van Aelst (2009, 2010) et de Dennis (2018), démontrent que le slacktivisme est une forme de militantisme basé sur internet. Autrement dit, l’ensemble des applications et plateformes de communication sociale sur internet, qui intègrent à la fois la technologie, l’interaction sociale et la création de contenu ont permis d’élargir les répertoires d’action des mouvements sociaux et d’offrir de nouvelles façons d’agir aux slacktivistes leur permettant de se doter de plus de pouvoir afin d’influencer ou atteindre un résultat souhaité. Ainsi internet peut se suffire à lui-même pour exercer un impact sur la société. La recherche d’un impact au travers du slacktivisme a été partiellement omise des précédentes recherches or elle correspond à l’activisme qui est à la base du concept de slacktivisme. Pour illustrer des pétitions exclusivement en ligne comme la mégapétition internationale pour un monde entièrement propre, aussi la pétition du collectif « Tou.te.s contre les violences obstétricales et gynécologiques » en période de Covid-19 en France, ou des événements Facebook comme le mouvement « StopCultureDuViol » au Québec, ou encore le mouvement « Black Lives Matter » sur Facebook ont amené de nouvelles lois et ont donc eu un impact sur la société. Le slacktivisme qui peut être défini comme la recherche d’un fort impact en mobilisant le minimum de ressources ne devrait pas être exclusivement considéré comme une activité complémentaire du militantisme hors ligne, mais bien comme une forme de militantisme à part entière. D’autant plus que cette autonomie du slacktivisme est renforcée par le contexte actuel pour deux raisons : premièrement, la mondialisation et multiplication des causes environnementales et sociales permises par internet a entrainé un effet de sur sollicitations des individus. Le slacktivisme devient alors la seule réponse pour participer et soutenir un grand nombre de causes. Deuxièmement, la pandémie de Covid-19 et contraintes associées limite les rassemblements physiques et valorise les activités en ligne. La question est alors de savoir si la pandémie est un moment décisif vers une nouvelle société ou événement ponctuel (Trespeuch et coll., 2020). Dans cette optique, nous soutenons que « Les médias socionumériques sont des outils et, comme pour tout autre, ils peuvent être utilisés efficacement pour le changement social ou inefficacement comme autogratification » (Cabrera et coll, 2017, p. 7).
19 mai @ 8h30-10h00
A10. Reprendre ou étendre son pouvoir ? Entrepreneurs et discours complotistes au Québec après un an de pandémie
Responsable: Sylvana Al-Baba Douaihy, Université de Sherbrooke & Chaire UNESCO-PREV (sylvana.al.baba.douaihy@usherbrooke.ca)
Description de l’atelier :
Qualifiées d’« infodémie » par les Nations unies, les fausses nouvelles et les théories du complot (TC) se sont multipliées à un rythme effréné dans le contexte de la COVID-19. Elles ont, dans certains cas, contribué à éclipser les critiques légitimes sur la gestion de la crise par les gouvernements. Comme l’ont montré plusieurs études et enquêtes, le Québec n’échappe pas à ce phénomène. En quelques mois, les TC (complot mondial, pharmaceutique, 5G, arme biologique, etc.) ont rejoint certaines idéologies et théories circulant déjà depuis longtemps (par ex. au sein des mouvements d’extrême droite, anti-vaccination, religieux ou survivalistes). Ce faisant, elles ont atteint un plus large public et obtiennent un niveau d’adhésion accru et accéléré d’une partie de la population dans un contexte d’instabilité et de confinement qui génère une augmentation de la peur et de l’anxiété. L’objectif de ce panel est de réfléchir aux acteurs du mouvement complotiste au Québec, à leurs objectifs et aux idées qu’ils défendent. Qui sont les entrepreneurs derrière les TC au Québec ? Quel est le rôle d’Internet et des réseaux sociaux dans la circulation de ces TC ? Quelles sont les démarches politiques, idéologiques, religieuses ou économiques qui sous-tendent ces discours complotistes ? Quels sont les effets et les conséquences de ces discours sur la société québécoise et sur les polarisations sociales en son sein ?
Conférenciers et conférencières : David Morin, Marie-Ève Carignan, Ghayda Hassan, Frédérick Nadeau, André Gagné et Eve Dubé.
A11. L’Afrique centrale en mouvement: contestations et violences régulatrices/dérégulatrices
Responsable: Alphonse Zozime Tamekamta, Université Yaoundé I (tamekamta@gmail.com)
Description de l’atelier :
L’Afrique centrale présente une grande vulnérabilité. On y note une dynamique de reterritorialisation avancée sous-tendue par de vastes mouvements d’immigration, des litiges frontaliers et des conquêtes de terres minières. La localisation des richesses et la difficulté des gouvernements centraux à en faire une équitable distribution, enveniment les relations intertribales/intercommunautaires. Les frontières étatiques souffrent des difficultés de leur marquage interne et de leur reconnaissance par les États voisins. Partout, se dessine un schéma de crises plus ou moins justifiées. Si au Congo-Brazzaville on note un clivage sociopolitique suivi de l’instrumentalisation de certaines ethnies depuis 1960, au Tchad on assiste à une rupture Nord-Sud sur fond de lutte politique. Au Cameroun par contre, le mouvement sécessionniste anglophone et les guerres tribales jadis entre Kotokos et Arabes Choas sont sous-tendus, d’une part, par des frustrations plus ou moins justifiées nées du partage des revenus économiques et des rentes gouvernementales, d’autre part, par la politisation des ethnies rivales du Nord-Cameroun courant 1990. Pendant ce temps, le pétrole en Afrique centrale aggrave la situation politique. Le Gabon et la Guinée Équatoriale manquent de compromis au sujet de l’îlot de Mbanié, riche en pétrole, au même titre que le Cameroun et le Nigeria, au sujet de Bakassi. Au Congo-Brazzaville et au Tchad, en outre, la compagnie Elf et le pétrole ont joué un rôle significatif dans l’enlisement des crises ayant secoué ces deux pays. En République centrafricaine, les conflits se superposent depuis le coup d’État de la Séléka du 24 mars 2013. De nos jours, plusieurs acteurs locaux, notamment des groupes rebelles (Anti-Balaka, Séléka, 3R, LRA, etc.), vivant de l’exploitation illicite des richesses naturelles du pays, constituent la principale menace à la paix, au-delà de l’election présidentielle de décembre 2020. Ils contrôlent des portions du territoire national, exploitent et commercialisent les biens nationaux, alimentent l’économie de guerre par le prélèvement excessif et illicite des ressources naturelles du pays. La complexité de ces crises et conflits et la tenue du 58e congrès de la SQSP nous offre l’occasion d’établir le lien apodictique entre les richesses naturelles, la gouvernance, les trafics illicites, la pauvreté et la récurrence des conflits en Afrique centrale. Ceci étant, comment les trafics illicites constituent-ils le facteur multiplicateur du quotient conflictuel et de sous-développement en Afrique centrale ? Comment les acteurs de ces trafics se déploient-ils et quel en est l’impact sur la stabilité/instabilité des pays ? Il est attendu dans ce panel, des propositions multidisciplinaires ancrées dans une analyse portant éventuellement sur : les négociations commerciales (entre multinationales d’exploitation des ressources et les États d’Afrique centrale) ou leurs ententes stratégiques ; l’impact de la pauvreté et de la discrimination sociale dans la structuration des groupes de pression (politique, sociale et milicienne) ; l’érection des profils de marginalisation et les clivages politiques.
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A11.1 – Ressources naturelles, gouvernance et conflits en Afrique centrale post-guerre froide
Communications :
- Jean Armand, Université de Yaoundé II : « L’internationalisation pétrolière : le rôle diplomatique du pétrole dans les relations entre les États du golfe de Guinée »
Le pétrole, encore appelé or noir du fait de sa cherté, apparaît comme étant l’une des préoccupations majeures pour la fin du XXe siècle et pour ce début du XXIe siècle. L’actualité de la problématique pétrolière tient lieu aux multiples enjeux que revêt cette ressource rentière. Aujourd’hui, il est devenu indispensable et incontournable à l’existence humaine. Cette communication propose d’analyser la place qu’occupe le pétrole dans les relations entre les États du golfe Guinée. De manière spécifique, il se penche sur les jeux pétrodiplomatiques en examinant la manière dont cette ressource constitue un enjeu de médiation diplomatique. Sans occulter les complications apparentes, cette communication entend instituer une approche audacieuse. On sait d’ordinaire qu’en Afrique, ressource pétrolière rime avec appauvrissement au mieux, ou conflits armés au pire. Cependant, dans le cadre de cette communication, il s’agit de présenter le rôle diplomatique du pétrole dans les relations entre les États du golfe de Guinée. Autrement dit, démontrer que le pétrole peut aussi être un moyen de promotion de la paix, de l’entente, de la coopération, voire même du développement inclusif entre États. La présente communication pose donc la pétrodiplomatie en contexte africain comme une grille de lecture paradigmatique innovante et positive dans l’étude diplomatique du pétrole. À l’aune du constructivisme réaliste et de la méthode prospective, nous verrons comment le pétrole est construit comme une ressource susceptible de rapprocher les États pour la promotion d’une gestion coopérative et concertée de cette ressource. Après avoir identifié et catégorisé les enjeux liés au pétrole, nous verrons l’incidence de ces derniers dans la pacification des relations entre les États du golfe de Guinée.
- Sylvain Baizoumi Wambae, Université de Maroua : « Le bétail du sang »
Jusqu’à la fin du XXème siècle, posséder du Bétail était considéré comme un indicateur de dextérité et de prospérité pastorale au Nord-Cameroun. Conscient de cette réalité et de la part importante de l’élevage dans l’économie du Cameroun, les populations locales, les pouvoirs publics camerounais et la communauté internationale se sont investis dans la lutte contre la peste bovine, principale menace contre l’élevage bovin entre le XIXème et le début du XXIème siècle. Malgré l’éradication totale de cette panzootie en 2011, la situation du pastoralisme ne s’est guère améliorée. Elle s’est progressivement dégradée à cause de la montée sans cesse croissante de l’insécurité et du grand banditisme en Afrique Centrale… Logiquement l’offre en matière d’insécurité pastorale s’est accrue. Posséder le bétail est devenu une source importante d’insécurité. Ainsi Comment le bétail jadis source de prospérité pour de nombreuses sociétés pastorales est-il devenu un vecteur de pauvreté et d’insécurité au Nord-Cameroun?
- Freddy Cyriac Lagme, Université de Douala : « Exploitation minière et reterritorialisation de l’État en Afrique centrale depuis 1990 »
Située entre l’océan indien et l’océan atlantique, l’Afrique se présente sous la forme d’un point d’interrogation qui ponctuerait le questionnement d’un continent que ses potentialités économiques, culturelles et diplomatiques, ainsi que la richesse de son passé prédestine aux premiers rôles dans le monde mais que la réalité présente sous un visage moins resplendissant : celui d’une terre déchirée par de nombreux conflits. Au-delà des divergences idéologiques, réelles, qui opposaient l’URSS et ses adversaires occidentaux sur la conception du monde, en Afrique, l’élément catalyseur de la confrontation entre les deux camps était avant tout leur rivalité pour l’accès aux matières premières. Les guerres liées aux ressources naturelles, les conflits identitaires, les rivalités géostratégiques, la mutation de la scène internationale, jumelée à celle des régimes politiques, l’accroissement du nombre d’acteurs non étatique, sont les nombreux facteurs qui actualisent la problématique de la stabilité pérenne des États de l’Afrique centrale, et structurent la complexité de l’appréhension des enjeux de cet espace territorial. L’Afrique centrale fait encore l’objet des rivalités des grandes puissances à travers la crise de la RCA depuis fin 2020 et depuis le début 2021. Cette rivalité s’inscrit dans la logique du contrôle du middle Afrika pour le maintien du statut de la puissance post-Covid par la France, la Russie et la Chine à travers l’exploitation des ressources de cette zone pétrostratégique. Ce sont les facteurs naturels qui attisent les appétits des grandes puissances, qui font que l’Afrique centrale se déstructure et se restructure à partir des moyens stratégiques. La présente étude vise à répondre à la problématique suivante. Comment s’opérationnalise la reterritorialisation de l’État en Afrique centrale ? plusieurs théories mobilisées pourraient dans une moindre mesure servir de grille d’analyse pour une éventuelle réponse. Il s’agit de la théorie du néoréalisme structuraliste au sens de Kenneth Waltz et le constructivisme de Jacques Derrida.
20 mai 2021 @ 8h30-10h00 -
A11.2 – Élections et contestation post-électorale en Afrique centrale: Tropisme démocratique ou triomphe autocratique ?
Communications :
- Juliette Mbala Bessa, Université de Yaoundé I : « L’Afrique centrale contre la démocratie ou le triomphe de l’autocratie? »
Les pays d’Afrique centrale (Tchad, Cameroun, Congo-Brazzaville et Guinée Équatoriale), en dépit des aspects divergents liés aux contraintes civilisationnelles et aux pesanteurs économiques, présentent à maints égards, plusieurs similitudes : une quasi-commune trajectoire historique (mise à part la Guinée Équatoriale, tous les autres pays sont des anciens territoires colonisés par la France), des velléités intégratives (au sein de la CEMAC et de la CEEAC). Aussi, note-t-on une incorporation de la corruption dans le corps social, un clientélisme exacerbé, une volonté d’éternité au pouvoir, etc. Aujourd’hui, à l’heure des basses manœuvres dans la perspective des prochaines échéances électorales, les deux Congo (2021) offrent des raisons de questionner la pratique politique et la gouvernance éternitaire qui s’y modulent. Le Cameroun et le Tchad dont les dirigeants ont réussi le coup de force de faire sauter la limitation du mandat présidentiel, amorcent une paix superficielle et une perspective plus ou moins stable. Ces aspects divergents cachent à peine les normes gouvernantes prédominantes grâce/à cause desquelles l’Afrique centrale est schématisée comme la région africaine à faible pénétration de la démocratie et à forte dominance népotique. Entre dynamiques africaines parcellaires caractérisées, en Afrique centrale, par le maillage entre autocratie à maxima et démocratie à minima, s’inscrit la portée de cette réflexion. L’heureuse occasion du festival géopolitique de Grenoble donne l’opportunité d’interroger l’imbrication des constituants/résidus de l’autocratie et de la démocratie et son rapport à la stabilité/instabilité à l’ère du tous contre la déstabilisation (de leurs États à partir de l’extérieur) et le terrorisme international. Ceci étant, existe-t-il une démocratie ou des démocraties en Afrique centrale ? Comment est/sont-elle (s) conçues, perçues et mise en œuvre? S’accommode(nt) t-elle (s) de l’autocratie ou s’en éloigne-t-elle ?
- Godwill Kungso Ndzofoa Eno, Université de Dschang : « “Elections” and Electoral Democracy in Central Africa: The Toxic Approach in Sustaining Dictatorship in Cameroon »
This paper argues that elections in the Central African sub-region were not used as the central axis in the construction of a democratic culture but rather as a toxic instrument in sustaining autocratic regimes in the states that make up the Central African sub-region. The Central African States, all of whom were “former colonies” of France have a history of post elections violence resulting from electoral democracy. Among the ten longest serving presidents in the world, two are found in this region, Theodore Obiang Nguema Mbasogo of Equatorial Guinea and Paul Biya of Cameroon, with forty-two and thirty-nine years of stay in power respectively. Elections are always clouded in the inflation of voters register; poor counting; rigging and disenfranchisement, just name but a few. With interest on Cameroon, the emergence of autocratic regimes requires a visitation of the historical construction of state systems and governance philosophy packaged in the “cooperation accords” signed between France and the neo-colonial “independent” states of central Africa. Interviews were conducted on the field, files were consulted in Yaounde National Archives, Buea Regional Archives, Ministry of Territorial Administration (MINAT) Yaounde, and Elections Cameroon (ELECAM), while secondary sources were gleaned in libraries and internet. From these sources our investigations reveal that, with renewed colonial underpinnings, elections in these countries are just administrative formalities which became standard signs of good conduct adopted by governments to their Western partners. The paper concludes that though elections has become a universal norm throughout the world, conversely, it has met with stiff resistance and reversal in this sub-region situated in the heart of tropical Africa.
- Christian Nkunzi, Université pédagogique nationale en République démocratique du Congo & Université d’Ottawa : « Pourquoi les élections sont-elles souvent contestées en Afrique centrale? »
Les années quatre-vingt-dix constituent pour l’Afrique en général et l’Afrique centrale en particulier la période des mouvements de transition vers la démocratie pluraliste. Ce mouvement succède au règne de régimes autoritaires et dictatoriaux à parti unique apparus sur le continent africain après l’intermède de l’indépendance euphorique. L’un des objectifs de la démocratisation était de remettre le pouvoir aux mains du souverain primaire (le peuple) par l’organisation des élections libres, démocratiques, transparentes et pluralistes. Depuis cette période, les élections sont organisées de manière régulière en Afrique centrale. Pourtant, l’organisation régulière des élections ne constitue pas un gage de maturation démocratique, car les résultats de ces élections divisent plus souvent les acteurs politiques qu’ils ne favorisent l’affermissement démocratique. Les élections organisées en Afrique centrale causent autant de problèmes qu’elles n’en résolvent. Les résultats au lendemain de leurs publications sont rejetés et causent ainsi de violence et mort d’hommes. De la République Démocratique du Congo jusqu’au Cameroun en passant par le Congo-Brazzaville, le Gabon et la République centrafricaine, les élections sont désormais un élément de déstabilisation et de destruction de tissus sociaux, économiques et politiques. Au lieu d’être une panacée aux crises de légitimité du pouvoir auxquels les États africains sont confrontés, elles constituent plutôt, paradoxalement une véritable source de division, de contestation, des tensions voire de conflits ouverts et parfois armés et accroissent ainsi les problèmes qu’elles devaient résoudre. Dans cette communication, nous allons de discuter du cas de de la République Démocratique du Congo, un pays d’Afrique centrale. Dans ce pays, trois cycles électoraux se sont déroulés depuis 2006, année augurant la troisième république. Le premier cycle électoral, en 2006, s’est soldé par des violences postélectorales qui ont ensanglanté le pays. En 2011 et en 2018, les deuxième et troisième cycles électoraux ont été caractérisés par le refus de perdants à reconnaitre les résultats proclamés par l’administration électorale. Ce qui a plongé le pays dans la crise de légitimité des institutions ainsi que de leurs animateurs issus des élections. C’est au regard de ce constat que nous nous posons la question de savoir pourquoi les élections sont toujours contestées en Afrique centrale en général et en République Démocratique du Congo en particulier ? Pour répondre à cette question, nous allons nous servir de l’approche des choix publics. Dans cette approche, les théoriciens attestent que les acteurs (politiciens) cherchent à maximiser leurs intérêts personnels (recherche de pouvoir pour les uns et conservation de celui-ci pour les autres). Toujours dans cette approche théorique, le processus électoral est pris comme un marché ou les offreurs (hommes politiques) et les demandeurs (les électeurs) échangent les promesses électorales contre les votes. Donc, pour que les résultats des élections soient admis par tous, ils doivent se conformer aux règles relatives au fonctionnement du marché politique. En conséquence, si les élections sont contestées c’est parce que les règles du bon fonctionnement harmonieux du marché ne sont pas respectées. Quelles sont ces règles ?
- Alphonse Bernard Amougou Mbarga, Université de Douala : « Les partis politiques et le code électoral au Cameroun : enjeux et défis autour d’un instrument de la régulation de la compétition politique »
Dans le jeu politique au Cameroun, les élections constituent un moment et un instant de régulation de ce jeu politique. Il apparait également que ces élections ne vont jamais sans contestation. Le discrédit est ainsi jeté sur la régularité du processus électoral. Le code électoral est dès lors interprété comme instrument au service de l’ordre dirigeant qui l’utilise pour se maintenir au pouvoir par le truchement d’un ordre institutionnel acquis à sa cause. Le code électoral est régulièrement présenté par les partis politiques camerounais comme l’instrument des tenants du système pour les empêcher d’accéder au pouvoir. Les dispositions de cet instrument de la régulation du jeu politique feraient ainsi le lit du parti au pouvoir et lui assureraient une hégémonie quasi certaine sur la scène politique camerounaise. La fébrilité des acteurs ou leur force appellent à rendre raison de la dynamique instrumentale d’un instrument. En prenant appui sur les batailles autour du code électoral, cet article tend à démontrer que bien cet instrument soit disputé et demeure perfectible, il ne saurait à lui, tout seul, justifier les échecs et les errements des partis politiques de l’opposition dans leur recherche effrénée de conquête du pouvoir d’Etat qui, en réalité, font face à des incohérences internes.
20 mai 2021 @ 10h30-12h00 -
A11.3 – De l’indigné à l’insurgé: Construction et modelage de l’identité violente des jeunes dans les rues d’Afrique centrale post-guerre froide
Communications :
- Said Hamidou Oumarou, Université de Ngaoundere: « Le phénomène des enfants al-madjir dans la ville de Kousseri: de l’apprentissage coranique à la construction de l’identité violente des jeunes »
Depuis plusieurs décennies, la ville de Kousseri est le théâtre d’un phénomène récurrent voir même recrudescent qui expose bon nombre des enfants aux misères et fléaux de tous genres. Parmi lesquels la construction d’une identité violente. En effet, les enfants al-Madjir, encore appelé les enfants mendiants sont des enfants qui ont quitté leurs familles respectives dans des contrées plus ou moins lointaines pour apprendre dit-on la « science religieuse », auprès des maitres coraniques dans la ville de Kousseri. Dès lors, ces derniers sont non seulement exposés à la situation lancinante de l’insécurité instaurée par la secte islamiste Boko-Haram mais font aussi face à la précarité de la vie qui les pousse dans certaines mesures à faire usage de la violence pour survivre. Dès lors, comment comprendre un phénomène qui est à la fois condamné par la religion et la loi contribue à la construction de l’identité violente des jeunes dans une zone crisogène et conflictogène comme le Logone et Chari en générale et la ville de Kousseri en particulier. C’est pourquoi Le sujet: « Le phénomène des enfants al-madjir dans la ville de Kousseri: de l’apprentissage coranique à la construction de l’identité violente des jeunes. » se propose d’analyser les enjeux et implications de ce phénomène dans la construction de l’identité violente de la jeunesse. Pour approfondir, notre analyse, nous irons aux origines et enjeux du phénomène des enfants al-madjir, puis nous analyserons le contexte et manifestation de ce phénomène ainsi que ses implications. Pour mener à bien cette analyse nous allons consulter ouvrages, articles, rapport, archives et témoignages.
- Marie-Louise Chamabe Emaha, Université de Yaoundé I : « La jeunesse au coeur des printemps des peuples: stratégies, figures, configuration et reconfiguration d’une région en mutation »
La jeunesse africaine gagne à être mieux connue. Les valeurs profondes qui sont les siennes et ses aspirations méritent d’être connues, théorisées et insérées dans le vaste programme politique et socioculturel des gouvernements africains. Si elle ne croit pas à son avenir, si elle n’est pas certaine d’obtenir un emploi, si elle n’a plus confiance aux institutions de leurs pays respectifs, si elle n’est plus prête à mourir pour son pays, alors elle devient une sérieuse menace à la stabilité des institutions républicaines. Depuis l’aube des indépendances, les jeunes africains, par groupes organisés ou non, ont transformé un simple malaise ou une simple rumeur en une vérité religieuse. Voilà pourquoi, à des séquences disproportionnées et sens signe annonciateur, la jeunesse africaine s’est résolue à se dresser contre le continent, contre ceux qui étouffent leur avenir. La jeunesse du Maghreb a probablement pris la mesure du combat historique qui est la sienne, exhumant des tréfonds de l’histoire, la violence, le chômage, la corruption, l’injustice… En clair, s’offusquant des records de longévité au pouvoir en Afrique du Nord, de l’anarchie du pouvoir, de la rareté de pitance, des clichés et réalités anachroniques qui lui sont aspergés, de son infantilisation politique ou du défaut de lecture lisible de son avenir, la jeunesse du Nord a pris conscience de son avenir en élaborant des mécanismes corporatistes de prise en charge individuelle et collective et de positionnement sur la scène politique africaine. Dans la profusion des technologies de communication (Facebook, Twitter, Al Jazeera…) qu’offre la civilisation de l’universel, elle s’est reconstituée, s’est responsabilisée, s’est systématisée et s’est refusée de se débarrasser, une fois encore, de la peine de prendre part au combat historique de la Renaissance de l’Afrique par le Nord. Entre jeunesse et e-révolution, s’inscrit notre réflexion. Car, l’expression au présent de la jeunesse du Maghreb ne peut se comprendre sans qu’elle ne soit replacée dans un processus de longue durée, au cours duquel le rapport au passé, à l’État, aux détenteurs de la puissance publique, aux valeurs normatives ont revêtu des formes différentes et différées. Étant donné que l’histoire contemporaine s’est appropriée les mutations du Sud de la Méditerranée, ce colloque nous offre l’heureuse occasion de définir et d’explorer l’historicisation des référents identitaires et des revendications de la jeunesse du Nord ; elle qui est partie de la contestation à la révolution, du confinement despotique au désir de l’universalité. L’expression au présent du thème de ce panel nous autorise de nous pencher sur « La jeunesse au cœur des Printemps des Peuples « , non sans se préoccuper de déterminer la problématique centrale devant guider notre réflexion à savoir : Comment s’est construite l’identité jeune (au Maghreb) sur la longue durée et comment s’est-elle exprimée lors des Printemps des Peuples ?
- Ferdinand Paul Enoka, Université de Maroua : « L’enfance abandonnée de Maroua : du petit brigandage à la prédisposition pour l’enrôlement dans des organisations criminelles et terroristes »
Dans les rues et certains coins et recoins de la ville de Maroua, écume un type d’enfants spécifiques, d’allure effrayante et d’apparence fortement négligée. Ils sont communément connus sous le nom d’enfants de la rue. Vivant dans des conditions effroyables, c’est à la force de leurs bras, à leur courage sans limite qu’ils affrontent leurs quotidiens. Versés dans les drogues, ils grandissent en caïds et se développent des aptitudes au brigandage. Leurs faits d’armes laissent alors croire qu’ils sont la cible idéale pour l’intégration des bandes criminelles et terroristes. Cette petite communication, fondée sur une enquête de terrain et s’appuyant sur une analyse diachronique et comparative veut juste montrer qu’une brève histoire de notre avenir sécuritaire se déroule devant nous, tous les jours, à notre insu ou du fait de notre indifférence. Aussi, la criminalité et le terrorisme qu’on combat aujourd’hui avec l’espoir de le gagner définitivement est loin d’être notre passé. Ils seront, par ces enfants abandonnés, notre avenir.
- Jules Ambroise Nopoudem, Université de Yaoundé I : « L’économie informelle au Cameroun, entre résilience d’une jeunesse marginalisée et fabrique d’insécurité »
Au milieu des années 80, l’économie camerounaise subit les contre coups de chocs extérieurs particulièrement violents et s’effondre, précipitée dans cette chute par les tares de la gouvernance interne. Depuis lors, et ce malgré les ajustements successifs qui lui ont été imposés par les bailleurs de fonds extérieurs, elle peine à sortir de l’ornière, pour ne pas dire simplement qu’elle s’enlise. La jeunesse qui constitue la tranche démographique la plus importante en a payé l’un des plus lourds tributs. Elle a cependant fait preuve d’une exceptionnelle capacité de résilience en surfant sur la vague de la libéralisation pour contribuer à l’émergence de l’économie informelle, devenue incontestablement le baromètre de la vitalité du dynamisme de l’économie nationale. En 2003, la part contributive de ce secteur névralgique au PNB était de 57,6%, et il mobilisait à lui seul près de 90% de la population active. Toutefois, ces indicateurs sont un arbre qui cache la forêt de la précarité dans laquelle végètent les travailleurs de ce secteur. Devant le déficit d’accompagnement et la morosité de la conjoncture nationale et internationale, la résilience perpétuelle s’essouffle et se travestit, générant une dynamique insécuritaire autodestructrice, avec pour épine dorsale la culture du non-respect des règles. La présente contribution tente de reconstruire la trajectoire d’une telle mutation, en questionnant notamment les modalités de production des comportements déviants et violents dans l’économie informelle au Cameroun. Elle est sous-tendue par l’hypothèse que l’essoufflement de la résilience dont l’économie informelle est l’expression alimente l’incivisme, les comportements violents et l’insécurité. L’intérêt de ce questionnement est principalement d’ordre historique, en ce sens qu’il permet d’explorer l’impact de la crise des années 80 sur la jeunesse et les facteurs de l’émergence de l’économie informelle au Cameroun. Il établit également une relation de causalité entre les faiblesses de ce pan de l’économie et l’insécurité exponentielle qui inscrit peu à peu le Cameroun au rang des poudrières de la sous-région Afrique centrale. A cet intérêt historique, se greffe un intérêt économique qui est celui d’explorer les pistes d’une possible mobilisation de la force du secteur informel en faveur d’un développement inclusif et durable.
20 mai 2021 @ 13h30-15h00
PANELS
P01. Inde: la plus grande démocratie divisée au monde
Responsable: Catherine Viens, UQAM (viens.catherine.5@courrier.uqam.ca)
Description de l’atelier :
En 2019, l’Inde a élu pour un deuxième mandat le Bharatiya Janata Party (BJP), avec Narendra Modi comme premier ministre. Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, ce parti nationaliste hindou a participé à l’exacerbation des conflits entre les différentes communautés en Inde. Démocratie la plus diversifiée au monde tant sur les plans politique, religieux, culturel que linguistique, l’Inde est aujourd’hui confrontée à une division qu’elle craint depuis le début de son indépendance. La multiplication des protestations, des oppositions politiques et des violences intercommunautaires illustre parfaitement les défis auxquels est confrontée la fédération indienne d’aujourd’hui ; à cela s’ajoutent la pression démographique, les impératifs de développement, les changements climatiques et la pandémie de Covid-19. En illustrant ces tensions qui s’intensifient en Inde, ce panel a pour objectif d’aborder ces divisions qui affectent les partis politiques, les mobilisations liées à la condition des femmes et les enjeux liés aux demandes d’autodétermination des autochtones (adivasis) et la dilution de leurs droits sous le gouvernement Modi. Ce panel se penche sur l’habilité de la fédération indienne à répondre aux divisions qui affectent sa capacité à maintenir l’unité dans une Inde divisée.
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P01.1 – Communications
Communications :
- Serge Granger, Université de Sherbrooke : « Nationalisme hindou et gouvernance majoritaire, vraiment ? »
Phénomène rarissime en politique indienne, le Bharatiya Janata Party (BJP) de Narendra Modi a gagné un deuxième mandat majoritaire (2019) dans un parlement reconnu pour sa multitude de partis et d’opinions. Ses victoires électorales s’expliquent notamment par la division de l’opposition, une base politique militante et active ainsi que des campagnes électorales savamment orchestrées pour diviser et polariser l’électorat indien. Initialement conçue comme étant une démocratie laïque (secular), l’Inde d’aujourd’hui semble davantage réceptive au discours hindouiste qui favorise les partis identitaires comme le BJP. Est-ce un phénomène passager ou bien s’enracine-t-il dans une trajectoire marquante des années à venir ? Est-ce que la plus grande démocratie du monde est devenue victime d’une dictature de la majorité parlementaire ? Il va de soi que les nouvelles lois promulguées par le BJP (nouvelle loi sur la citoyenneté, changement du statut du Cachemire, proposition d’un code civil unique, etc.) sont possibles grâce à la majoritaire parlementaire mais est-ce bien ce que veulent les Indiens ? Ce type de législations avait pourtant coûter cher au premier gouvernement BJP (1999-2004) à qui l’on accusait de s’être éloigné des préoccupations citoyennes. Cette communication analyse quantitativement et qualitativement les raisons du succès électoral du BJP. Il sera présenté la segmentation électorale qui a fait le succès du BJP en plus d’un croisement avec l’opinion publique qui confirme le glissement du sécularisme vers des valeurs plus identitaires. Les données quantitatives de l’opinion publique en Inde seront croisées avec les événements, provoquées ou non, qui ont eu une incidence électorale. À la lueur de ses résultats, une lecture qualitative des résultats électoraux nous permettra aussi de qualifier ce changement fondamental dans l’électorat indien de passager ou bien marquant.
- Fernand Ouellet, Université de Sherbrooke : « Pourquoi Gandhi est-il important »
Dans ma communication, je présenterai onze raisons pour lesquelles la vie, l’exemples et les idées de Gandhi ont encore une pertinence dans la seconde décennie du vingt-et-unième siècle. J’évoquerai également les piliers de l’action de Gandhi en Inde, en présentant notamment ses idées qui étaient absolument révolutionnaires à son époque. Je tenterai particulièrement de montrer que la pensée économique de Gandhi aura une pertinence particulière dans les prochaines années dans le contexte de la nouvelle guerre pour le climat.
- Catherine Viens et Priscyll Anctil Avoine, Université du Québec à Montréal : « Les femmes en Inde : interactions complexes entre le fédéralisme indien et les violences faites aux femmes »
En 2012, le Delhi Rape (le viol collectif de Delhi) a attiré l’attention sur le problème de la Violence Faites aux Femmes (VFF) en Inde, mettant en lumière les structures d’oppression contre les femmes et posant les fondements de la Rape Law (loi sur le viol) de 2013 (Datta 2016). Malgré des développements prometteurs suite à l’introduction de cette loi, la réalité matérielle de la vie des femmes en Inde ne reflète pas une grande amélioration et le viol collectif de Badaun en 2014 – où le Central Bureau of Investigation (CBI) a voulu faire taire l’enquête puisque, entre autres, un policier a été impliqué dans le viol et le meurtre d’une fillette de 11 ans – illustre parfaitement le manque de capacité ou de volonté des institutions étatiques à assurer la sécurité des femmes et des filles (Bandewar, Pitre & Lingam 2018). Cette présentation émerge d’un chapitre écrit dans un Handbook portant sur le Genre, la diversité et le fédéralisme. Plus précisément, nous nous intéressons à l’interaction entre le fédéralisme et les VVF, c’est -à-dire, sur comment les structures, pratiques et idées fédérales affectent les efforts pour mettre fin à ces violences. Même si les interactions institutionnelles dans le système fédéral indien posent souvent des barrières aux droits des femmes, nous nous concentrons dans cette présentation sur la manière dont le fédéralisme à plusieurs ordres, en tant que mode d’organisation du gouvernement et philosophie de la gouvernance, pourrait plutôt contribuer à atténuer le problème de la violence faites aux femmes en Inde (Solanki, 2010 ; Vickers 2017). Conscientes de nos positions sociales privilégiées en tant qu’universitaires occidentales, nous mettons principalement l’accent sur l’impact des institutions fédérales indiennes et sur la façon dont elles pourraient être un outil utile dans la lutte pour les droits des femmes en proposant des façons de penser le fédéralisme dans une perspective de genre.
- Khadiatou Sarr, Université du Québec à Montréal : « Le renforcement des droits fonciers Adivasis par leur judiciarisation devant la Cour suprême indienne »
Les Adivasis aujourd’hui sont l’une des catégories les plus vulnérables au sein de la fédération indienne notamment dû au positionnement de la fédération à leur égard. Depuis son indépendance en 1947, l’Inde fait preuve d’une certaine ambivalence et ambigüité dans la législation qu’elle met en place vis-à-vis des Adivasis (Viegas 1991). D’un côté, elle a entrepris des projets d’exploitation commerciale de ses forêts à des fins industrielles, facilitant l’installation des multinationales qui aboutit à exclure les Adivasis de leurs terres (Bes 2011). Cette politique néolibérale a conduit aux déplacements internes forcés de 8,4 millions d’Adivasis entre 1951 et 1990 (Berge 2019). D’un autre côté, l’Inde a mis en place un cadre constitutionnel et législatif visant au renforcement des droits fonciers Adivasis. Cependant, malgré les dispositions constitutionnelles et législatives, les Adivasis connaissent encore l’aliénation de leurs terres (forêts, terrains agricoles) et des déplacements forcés (Parmar 2015). C’est à travers ce paradoxe que s’est construite cette réflexion. Face à cette précarité juridique les Adivasis, se sont tournés vers une judiciarisation de leurs droits fonciers devant la Cour suprême indienne pour les renforcer. Les tribunaux, dont la Cour suprême indienne, ont tranché 30 004 affaires, qui recouvrent 50,8% des terres aliénées, en faveur des tribus (Berger 2019). Dans le cadre de cette communication, nous allons nous intéresser à la portée des décisions de la Cour suprême indienne. Ce choix s’explique par le fait qu’au sein de la littérature, la Cour suprême est majoritairement perçue comme un instrument de justice sociale (Singh1976, Gupta 1995, Kansal2015). La Cour suprême indienne étant la gardienne de la constitution, elle appui son interprétation des droits au sein de la constitution pour atteindre cet objectif de justice sociale (Basus 2011, Singh 2012, Kansal 2015). Cette recherche est encore à l’étape exploratoire, mais nous allons tenter d’apporter des premiers éléments de réponse à la question suivante : L’interprétation des droits fonciers des Adivasis de la Cour suprême indienne dans l’objectif de justice sociale permet-elle leur renforcement ?
21 mai 2021 @ 10h30-12h00
P02. Représentation et atomisation politique
Responsable: Serge Granger, Université de Sherbrooke (serge.granger@usherbrooke.ca)
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P02.1 – Communications
Communications :
- Philippe Martin, Université d’Ottawa : « Les relations entre l’État et les ONG dans la Chine contemporaine de Xi Jinping à l’ère de la gouvernance sociale »
Diviser la société civile pour mieux la contrôler ? En Chine, les organismes non gouvernementaux (ONG) occupent un rôle grandissant dans la fourniture de services sociaux et dans la mise en œuvre de politiques étatiques au niveau local. Cette tendance est favorisée par le soutien du gouvernement, notamment par le recours accru aux contrats d’achats de services ainsi que grâce à des réformes réglementaires. Ces changements suscitent bien des questionnements théoriques par rapport à l’évolution des politiques sociales et des rapports État-société dans le contexte politique autoritaire de la Chine ainsi que de façon plus générale, sur les changements institutionnels. S’appuyant sur des dizaines d’entretiens de recherche effectués à Shanghai, Nanjing et Beijing et sur la recension des écrits savants récemment publiés, cette communication présentera un aperçu de réformes récentes visant à promouvoir la collaboration entre l’État et les ONG et à renforcer les structures de la « gouvernance sociale » en Chine. En particulier, nous discuterons du recours grandissant à l’achat par des agences gouvernementales de services fournis par des ONG au niveau local. Nous présenterons brièvement aussi deux réformes majeures adoptées en 2016 concernant la société civile : la loi sur la charité et la loi sur les ONG internationales. L’analyse de ces réformes, du contexte les entourant, et de leurs effets permettra de mieux saisir la dynamique politique sous-jacente à l’évolution des rapports entre la « société civile » et le Parti-État. D’un côté, les services fournis par les ONG aident l’État à répondre aux besoins de la population ainsi qu’à améliorer sa performance en matière de gouvernance et donc, sa légitimité. D’un autre côté, l’État veille à contenir les risques de contestation politique et déploie des stratégies mixtes de contrôle et de soutien sélectif pour encadrer et façonner l’émergence d’un « secteur non gouvernemental » plus compétent et plus large, mais aussi politiquement inactif et bien aligné sur les besoins et les objectifs étatiques. Finalement, cette analyse permet de mieux comprendre l’évolution des relations État-ONG en Chine à l’ère de la « gouvernance sociale » et contribue au débat plus large sur les processus d’adaptation-consolidation du régime.
- Clara H. Whyte, Paideia Mundi : « Sociétés divisées, sociétés martyrisées : vers l’annihilation de toutes les libertés et l’avènement de nouvelles formes de totalitarisme »
Dans Les lois, Platon disait déjà que « le plus grand bien de l’État est la paix et la bienveillance entre les citoyens » tandis que « le plus grand des maux [est] la sédition », « cette guerre intestine qui se forme de temps en temps dans le sein de l’État ». Dès lors, le législateur et les dirigeants qui le suivent devraient par leur labeur chercher à promouvoir les premières et à bannir la seconde. Toutefois, cela implique que ces personnes recherchent effectivement le plus grand bien de l’État et qu’ayant à cœur de mettre leur pouvoir au service du bien commun, elles ambitionnent à instaurer le meilleur régime politique possible avec des lois fondées sur la justice, étant entendu, continuait Platon, que « les lois dont le seul but est l’avantage de quelques-uns appartiennent à des partis, et non à des gouvernements, et ce qu’on appelle justice n’est qu’un mot ». Néanmoins, si les individus qui ont la charge de l’État, qu’ils soient un seul (le tyran) ou plusieurs (les oligarques) ne visent qu’à soumettre les autres et à accroître leur pouvoir et leurs richesses, alors la stratégie toute contraire semble bien sûr indiquée. De fait, H. Arendt a bien analysé le fait que le totalitarisme repose sur l’organisation et la mobilisation des masses grâce à une idéologie fondée sur la terreur, ces masses étant constituées d’individus atomisés et isolés. Cet isolement des individus tend à leur faire perdre tout sens commun et facilite ainsi la diffusion de l’idéologie totalitaire qui eut sans cela été rejetée pour son absence de cohérence avec la réalité observable par tous au quotidien. À la lecture de ces lignes, le lecteur le moindrement avisé ne devrait pouvoir s’empêcher de trembler face au spectacle auquel nous assistons tous les jours dans nos sociétés, et ce particulièrement depuis le début de la fameuse « crise du COVID-19 ». En effet, nous vivons dans des sociétés qui, pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons, ont progressivement perdu toute vision du monde (Weltanschauung) qui permettait aux individus de se sentir reliés les uns aux autres, et de pouvoir situer leur rôle dans la société. Cela donne des individus, et par suite des sociétés divisées et déboussolées, oscillant entre immobilisme et nihilisme, ou ensauvagement et barbarie. Cela se traduit par un repli sur soi et par un militantisme politique de plus en plus fondé sur des identités et des revendications particularistes qui excluent toute capacité de dialogue raisonné avec le reste de la société, et par le fait même bloquent toute possibilité d’élaboration de projets communs. Cela amène la désagrégation du corps social avec la multiplication des procès, des dénonciations arbitraires sur les médias sociaux, de la délation, etc. Ce que nous voudrions ici, c’est souligner que des sociétés ainsi divisées ne peuvent pas aller de l’avant et sont condamnées à être reprises en main par des pouvoir totalitaires qui capitaliseront sur ce grand désordre pour mieux assoir leur pouvoir et qui, au contraire de libertés accrues, répondront à ces revendications par l’annihilation de toutes les libertés pour tout le monde. D’ailleurs, dans La République, Platon mentionnait déjà le fait que suite à un grand désordre, c’était généralement la tyrannie qui attendait les sociétés, tandis qu’H. Arendt soulignait que « les mouvements totalitaires usent et abusent des libertés démocratiques dans le but de les abolir ». Ce qu’il nous faudra donc cerner c’est non seulement le mal dont nos sociétés sont affectées mais aussi ceux à qui ce mal bénéficie, et qui en lieu et place de promouvoir le bien-être collectif et la justice sociale préfèrent promouvoir la division afin, n’en doutons pas, de nous réduire tous d’ici peu en esclavage, voire pire.
- Chokri Essifi, Université de Tunis : « Les élections en Tunisie 2019 : essai d’analyse d’un paradoxe politique »
Les élections présidentielles et législatives en Tunisie ont chassé tous les élites politiques qui occupent la scène depuis 2011. Les résultats ont perturbé toute la classe du pouvoir. Un changement électoral qui a apporté un président sans parti, un Parlement morcelé et un paysage politique déstructuré, tous ces éléments risque de rendre la Tunisie ingouvernable. Les électeurs tunisiens ont utilisé le pouvoir des urnes pour donner un grand coup aux élites du pouvoir. Ils ont choisi un président atypique, et un Parlement sans majorité et déstructuré la classe politique. Les scrutins ont déroulé de façon exemplaire, le résultat correspond à un chambardement des clivages politiques traditionnels. Ce rejet est alimenté par la crise socio-économique profonde qui traverse le pays. Quatre volets thématiques peuvent être proposée dans cette communication : (1) La scène politique tunisienne depuis 2011 : nouveaux acteurs et nouvelle politique (2) Le système électoral tunisien est-il compatible au nouveau processus politique (3) Une nouvelle « insurrection » électorale en 2019, quel changement pour les élections de 2014? (4) Le paradoxe actuel tunisien : un président sans parti et un parlement morcelé.
- Charles Antoine Millette, Université de Sherbrooke et Frédérick Gagnon, UQAM : « Quand un « super PAC » républicain s’attaque à Donald Trump : une analyse de contenu qualitative des publicités électorales diffusées par le Lincoln Project lors de l’élection présidentielle américaine de 2020 »
Fondé en décembre 2019 par des républicains influents, le « super PAC » Lincoln Project s’est donné pour mission de vaincre le président Donald Trump lors de l’élection présidentielle du 3 novembre 2020. Afin de convaincre les électrices et les électeurs du Parti républicain de ne pas voter pour le président sortant, le Lincoln Project a lancé, dès janvier 2020, une campagne publicitaire virulente pour discréditer Donald Trump et son entourage, et pour promouvoir la candidature de Joe Biden, son adversaire démocrate. À l’aide d’une grille de lecture que nous avons nous-mêmes élaborée, en nous basant sur les travaux de Kaid et Johnston (2001) et de Jamieson, Waldman et Sherr (2000), nous avons réalisé une analyse de contenu qualitative sur un corpus de publicités (N = 146) diffusées par le « super PAC » Lincoln Project entre le 9 janvier et le 3 novembre 2020. À la lumière des résultats préliminaires de notre analyse, nous sommes en mesure de faire les quatre constats suivants. Premièrement, la vaste majorité, c’est-à-dire près de 90 %, des publicités diffusées par le Lincoln Project sont négatives. Deuxièmement, Donald Trump est la cible, principale ou secondaire, de 80 % des publicités du corpus. Troisièmement, plus du tiers (36 %) des publicités du corpus font allusion à la pandémie de COVID-19, la grande majorité d’entre-elles servant à critiquer la gestion du président Donald Trump depuis le début de la crise. Finalement, près de 60 % des publicités qui composent le corpus mettent en œuvre la stratégie de l’appel à la peur en déployant un ensemble de techniques audiovisuelles, parmi lesquelles on retrouve le recours à une musique dramatique, à la voix sombre d’un narrateur ou d’une narratrice et à des images altérées ou en noir et blanc.
19 mai 2021 @ 10h30-12h00
P03. Représentation politique au Québec
Responsable: Eugénie Dostie-Goulet, Université de Sherbrooke (eugenie.dostie-goulet@usherbrooke.ca)
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P03.1 – Communications
Communications :
- Philippe Simard, Annie Chaloux et Jennyfer Boudreault, Université de Sherbrooke : « Paradiplomatie climatique du Québec : analyse de la mise en œuvre de l’Accord de Paris »
Depuis plusieurs décennies, nombreux sont les États fédérés et autres gouvernements non centraux qui déploient programmes et mesures pour répondre à la crise climatique. Ce foisonnement d’initiatives climatiques à l’extérieur de l’univers onusien de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (1992) (CCNUCC), initialement construit autour des États souverains (nommés Parties dans les textes officiels), mène inévitablement à une fragmentation du régime climatique mondial, le rendant ainsi davantage polycentré et à acteurs multiples (Jordan et al. 2018 ; Cole 2011 ; Dorsch et Flachsland 2017; Setzer et al. 2020). Ce phénomène a d’ailleurs mené au développement de ce que les chercheurs appellent désormais la paradiplomatie climatique (Chaloux 2010 ; Paquin 2005). Se définissant comme l’action internationale de gouvernements non centraux (Soldatos, 1990; Paquin 2004), la paradiplomatie et, dans ce cas-ci climatique, s’est considérablement développée depuis les 30 dernières années. C’est le cas du Québec qui, depuis les trois dernières décennies, a construit une paradiplomatie climatique vaste et structurée. Dès le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992, la province est intervenue sur la scène internationale en matière de lutte contre les changements climatiques, en se déclarant notamment liée aux grands accords internationaux sur le climat, dont la CCNUCC, le Protocole de Kyoto et l’Accord de Paris (Leffel, 2018), en plus de mettre en œuvre, dans ses champs de compétences, plusieurs des dispositions et obligations du régime climatique, à l’instar d’un État partie (Chaloux et Séguin 2011 ; Chaloux 2016 ; Gayard 2018). La présente communication aura donc pour objectif d’exposer la manière dont le Québec, en tant que gouvernement non central, parvient à mettre en œuvre l’essentiel des dispositions phares de l’Accord de Paris dans ses champs de compétence, faisant ainsi de lui un partenaire de confiance dans cette gouvernance mondiale du climat éclatée et polycentrée. Cette communication se déclinera en trois temps : 1) en s’attardant d’abord brièvement au phénomène de paradiplomatie climatique ainsi qu’à l’évolution et à la mise en œuvre des engagements internationaux de la province en matière de climat depuis les 30 dernières années ; 2) en présentant ensuite les principales composantes et attentes de l’Accord de Paris envers les Parties à la CCNUCC ; et 3) en étudiant finalement l’état de la mise en œuvre de l’Accord de Paris par le Québec dans ses champs de compétence. Ultimement, cette communication permettra de cerner dans quelle mesure le Québec constitue un acteur crédible dans la gouvernance mondiale du climat, bien qu’il ne soit pas considéré, au sens strict du terme, comme une Partie à l’Accord de Paris. De plus, cette communication contribuera à la réflexion plus large quant au rôle et à la légitimité des États fédérés dans la gouvernance mondiale du climat, dans un contexte où l’Accord de Paris incite les entités non parties à accroître leurs contributions pour le climat, en reconnaissant du même coup le rôle qu’ils jouent dans la lutte mondiale contre les changements climatiques (CCNUCC 2015, partie V.135).
- Véronique Pronovost et Stéphanie Panneton, UQAM : « Femmes, politique municipale et représentations médiatiques : ce qu’elles ont à dire »
Cette communication s’inscrit dans le cadre de la seconde phase d’un projet de recherche financé par Condition féminine Canada (CFC) et mené conjointement par une équipe de recherche multidisciplinaire de l’UQAM, la Table de concertation des groupes de femmes de la Montérégie (TCGFM) et le Service aux collectivités (SAC-UQAM). La recherche porte sur la représentation médiatique des femmes politiques oeuvrant à l’échelle municipale. La première phase du projet visait à analyser un corpus de plus de 1000 articles issus des médias écrits. Le projet a donné lieu à une seconde phase visant à interroger les femmes politiques vis-à-vis de leur représentation médiatique. Au cours de l’été et de l’automne 2019, les autrices ont rencontré une vingtaine de femmes s’étant présentées aux élections municipales de 2017. Cette communication vise à présenter les résultats de recherche d’un rapport qui lancé à l’automne 2020. Les autrices aborderont notamment la relation entre les femmes politiques et les médias, les stratégies mises de l’avant par les femmes politiques afin de « gérer » leur représentation médiatique, les impacts de ces représentations sur la poursuite de leur vie professionnelle et familiale, etc.
- Laurence Robert, Université Laval, Mireille Paquet, Université Concordia, Sule Tomkinson, Université Laval : « Justice administrative et décisions en matière d’immigration au Québec »
Les recours devant les tribunaux et cours d’appels sont les principaux mécanismes pour contester les décisions de l’administration publique dans le domaine de l’immigration. Les tribunaux d’appel sont-ils des mécanismes efficaces pour protéger les droits des immigrants? Cette question est centrale pour les études migratoires et les données empiriques qui existent à ce jour sont loin d’y apporter une réponse claire. En se concentrant sur la situation du Québec, ce papier a pour objectif d’examiner l’efficacité des processus juridiques dont disposent les ressortissants étrangers lorsqu’ils veulent contester les décisions individuelles rendues par le ministère de l’Immigration du Québec. Utilisant une base de données originale sur les jugements, les décideurs administratifs et les appelants, nous analysons toutes les décisions rendues par la Section des affaires sociales du Tribunal administratif du Québec (TAQ) en matière d’immigration (N=897). Le résultat d’un recours peut faire toute la différence pour une demanderesse; elle peut signifier qu’une personne a le droit de s’établir au Québec ou changer significativement les conditions attachées à la résidence dans la province. L’analyse préliminaire montre que le TAQ a rendu une décision en faveur des immigrants dans moins de 5% des appels.
- Audrey-Anne Blanchet, UQAM : « Regard sur le pluralisme et les régimes de citoyenneté en contexte canadien et québécois »
La communication porte sur le pluralisme et les régimes de citoyennetés en contexte canadien et québécois. Nous tentons de démontrer que les visions canadienne et québécoise concernant le pluralisme ont des impacts sur l’établissement de visions concurrentielles de la citoyenneté. Ainsi, nous arguons que ces visions ont contribué à l’édification de deux régimes de citoyenneté. Chacun de ces régimes serait édifié en congruence avec, d’un côté les spécificités identitaires nationales canadiennes, et de l’autre côté les spécificités identitaires nationales québécoises. Cela contribue également à illustrer les rapports de forces entre les entités fédérées et le gouvernement central. Le Canada est traversé par un pluralisme important, à la fois par la pluralité de ses nations constituantes, mais aussi à travers la diversité ethnoculturelle et religieuse issue de l’immigration. Ce pluralisme suppose d’importants défis concernant la (re)définition la citoyenneté pour faire advenir une citoyenneté inclusive et respectueuse des différences citoyennes individuelles et collectives. Ainsi, deux notions sont au cœur de cette démarche : (1) le régime de citoyenneté et (2) le pluralisme. La notion de régime de citoyenneté est au cœur de la démarche pour mieux comprendre l’édification de deux régimes en concurrence. En reconnaissant la citoyenneté comme une construction sociale, le régime de citoyenneté permet de mieux anticiper les frontières et les lisières à l’inclusion de la citoyenneté. Les frontières d’inclusion ont toutefois comme corolaire l’édification de frontières d’exclusion ayant des impacts significatifs sur l’exercice de la citoyenneté pleine et entière pour certains citoyens. De surcroît, le Canada se caractérise par un pluralisme sociologique important à la fois basé sur la cohabitation de plusieurs communautés nationales, mais aussi sur un pluralisme issu de l’immigration. C’est pourquoi le Canada a adopté un système fédéral comme mode de gouvernance. Par contre, le fédéralisme n’est pas sans limites. La pluralité d’acteurs et de groupes sociaux, linguistiques, culturels et nationaux amène certaines tensions en termes de gestion affectant ainsi les luttes pour déterminer les contours ou les frontières à l’inclusion de la citoyenneté. Cela nous amène à considérer l’identité nationale comme un élément déclencheur dans l’édification de deux régimes de citoyenneté notamment en raison de la non-reconnaissance de la spécificité québécoise dans les règles constitutionnelles. Depuis les années 1960, un régime de citoyenneté canadien s’est édifié dans le but de favoriser une unité nationale canadienne monolithique basée sur le multiculturalisme et la Charte canadienne des droits et libertés. Cependant, cela a contribué à nier les identités nationales telles que celle du Québec. Afin de faire advenir un régime de citoyenneté respectueux de sa spécificité, le Québec travaille à l’édification d’un régime de citoyenneté, en parallèle du projet canadien, basée sur une constitutionnelle informelle et sur l’interculturalisme. Cela met en lumière les rapports de forces, mais aussi la construction des frontières et des critères à la citoyenneté dans un contexte fédérale et multinationale.
20 mai 2021 @ 13h30-15h00
P04. Questions autochtones
Responsable: Claude Gélinas, Université de Sherbrooke (claude.gelinas@usherbrooke.ca)
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P04.1 – Communications
Communications :
- Joëlle Alice Michaud-Ouellet, Université de la Colombie-Britannique: « Être partenaire de traité : une alternative postcoloniale au modèle québécois de solidarité sociale »
Cette présentation porte sur la possibilité de créer les conditions propices à la décolonisation des rapports entre le peuple Québécois de descendance européenne et les peuples Autochtones vivant au Québec à travers l’exploration d’une voie alternative qui transcenderait à la fois le nationalisme du modèle québécois de solidarité sociale et l’individualisme du modèle social néolibéral. Cette exploration s’appuie sur une étude des perspectives autochtones sur l’éthos des traités et des significations du don comme mécanismes servants à créer des réseaux de solidarité et de différentiation. À travers les travaux d’auteurs Autochtones, cet ethos et ces réseaux sont représentés comme une alternative radicale au modèle de la souveraineté individuelle et étatique. L’objectif de cette présentation est de poser une réflexion critique sur le modèle québécois de solidarité sociale afin de mettre en lumière son caractère colonial et de proposer une vision alternative de la solidarité et de la responsabilité collective découlant du rôle de partenaire de traité tel qu’il est décrit dans les écrits d’auteurs Autochtones sur les traités et sur le don.
- Éléna Choquette, UQO : « Les promesses et limites du régime fédéral au regard de la réconciliation »
Cette communication étudie et problématise la fédéralisation des « affaires autochtones » au Canada. Entre 1763 et 1867, la relation entre les peuples autochtones et non autochtones était essentiellement régulée par deux groupes d’acteurs — les chefs autochtones et les représentants de la Couronne britannique. L’Acte constitutionnel de 1867 complique cette relation en multipliant les lieux de pouvoir non autochtones. L’un des changements constitutionnels qui aura l’incidence la plus grande sur les relations entre les peuples autochtones et non autochtones est la création par la Loi constitutionnelle de 1867 d’un système fédéral à deux ordres de gouvernement, qui attribue au gouvernement fédéral la compétence sur les « Indiens » et les terres leur appartenant et aux gouvernements provinciaux la compétence sur les terres publiques et les ressources naturelles. Si, jusque dans les années 1950, les peuples autochtones ont continué d’interagir avec les autorités non autochtones presque exclusivement par l’intermédiaire du gouvernement fédéral, les provinces ont depuis renforcé leurs capacités à élaborer des politiques et des programmes qui concernent directement les peuples autochtones (Jhappan, 1995, Borrows, 2016, 2017). Dans un premier temps, cet article expose ce processus — le renforcement des capacités des gouvernements des provinces — en le comparant à d’autres processus de « fédéralisation » (Paquet, 2018) dans d’autres secteurs d’activités des gouvernements fédérés dans le contexte canadien. Il identifie aussi certains des mécanismes institutionnels qui ont facilité la fédéralisation des affaires autochtones, notamment l’article 88 de la Loi sur les Indiens. Dans un deuxième temps, cet article compare l’aménagement par le Canada des compétences liées aux peuples et aux affaires autochtones entre les différents ordres de gouvernements avec celui de deux autres fédérations, c’est-à-dire l’Australie (qui a d’abord assigné la compétence « sur » les Autochtones aux gouvernements des États, pour la rendre concurrente en 1967) et les États-Unis (dont la relation avec les Autochtones n’a pas été explicitement prévue par la Constitution). Dans un troisième temps, l’article compare les provinces canadiennes pour évaluer le parallélisme de leur trajectoire politique depuis 1950 en ce qui concerne les politiques et les affaires autochtones. Nous nous attarderons plus longuement sur les cas du Québec, de l’Ontario, de la Colombie-Britannique et du Manitoba, qui présentent des distinctions importantes en matière d’héritage constitutionnel (signature de traités historiques ou modernes) et de bien-être des communautés autochtones qui vivent à l’intérieur de leurs frontières. L’article conclut sur une évaluation provisionnelle des promesses et des limites du fédéralisme comme régime politique au prisme de la réconciliation avec les peuples autochtones. Dans cette perspective, l’article considère les conséquences du renforcement des pouvoirs et des capacités des différents gouvernements dans la fédération canadienne (gouvernement fédéral, des provinces et gouvernements autochtones) en regard de la rectification de certains torts coloniaux, surtout la dépossession politique et territoriale des peuples autochtones.
- Zoé Boirin, Université d’Ottawa et Érick Duchesne, Université Laval : « Les implications des investissements et traités commerciaux internationaux sur les droits des peuples autochtones dans les projets miniers »
Les impacts destructeurs des projets miniers sur les peuples autochtones dans le monde entier sont bien documentés. Les projets miniers se distinguent en ce qu’ils requièrent des investissements conséquents et que les retours sur investissements ne sont générés qu’à un stade avancé du projet. Le financement de projet est ainsi très complexe et la protection de leurs investissements est cruciale pour les investisseurs (Hoffman, 2008). L’existence de traités bilatéraux ou multilatéraux de protection des investissements (TBI/TMI) est un des critères pris en compte dans la décision d’investir (Otto, 2005; Bastida, 2001). Un nombre croissant de TBI/TMI a été signé ces trente dernières années (Rolland and Trubek, 2017), y compris par des pays habités par des peuples autochtones. De la même manière que le droit du commerce international et le droit international des investissements (DCIII) se sont développés, les peuples autochtones se sont mobilisés et sont parvenus à une certaine reconnaissance de leurs droits, tant du point de vue international que national dans beaucoup de pays. Les droits des peuples autochtones et le DCII semblent coexister parallèlement. Une littérature abondante traite des interactions entre droits de l’Homme et DCII. Une littérature grandissante, particulièrement depuis la signature du nouveau traité entre le Canada, les États-Unis et le Mexique (ACÉUM), s’intéresse à l’intégration des droits des peuples autochtones dans le DCII (Binder, 2015; Goff, 2017; Krepchev, 2015; Vadi, 2017; Borrows and Schwartz, 2020). Pourtant, l’analyse de la manière dont ces deux « branches » du droit s’articulent dans le contexte des projets miniers a reçu peu d’attention. Notre projet vise à combler cette lacune en faisant un état des lieux de la situation et en identifiant quelles seraient les voies d’amélioration afin que le DCII contribue à une prise en compte plus grande des intérêts des peuples autochtones dans l’élaboration et la mise en œuvre des projets miniers. Nous avons complété la première phase du projet. Celle-ci consistait à analyser le contenu des TBI/TMI existants et des documents de procédures et décisions dans le cadre des procédures d’arbitrage, ainsi que les interactions entre les droits des peuples autochtones et le DCII. Nous avons également fait une revue systématique de littérature sur le sujet. À partir de ces résultats, nous proposons trois avenues de recherche sur lesquelles nous travaillons présentement. Notre présentation pendant le Congrès annuel de la SQSP a pour objectif de présenter le projet et ses résultats, ainsi que ces trois avenues de recherche. Nous allons expliquer comment ces résultats peuvent utilement nourrir la réflexion portant sur les négociations de TBI/TMI afin que ces derniers intègrent davantage les droits des peuples autochtones et contribuent à élever les voix des peuples autochtones dans l’élaboration et la mise en œuvre des projets miniers, facilitant ainsi à l’accession au droit à l’autodétermination des peuples autochtones telle que reconnue par la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones.
17 mai 2021 @ 8h30-10h00
P05. Politiques d’Afrique subsaharienne
Responsable: Adib Bencherif, Université de Sherbrooke (a.bencherif@ufl.edu)
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P05.1 – Communications
Communications :
- Said Hamidou Oumarou, Université de Ngaoundere « Facteur Boko-Haram et conflits fonciers dans le Logone-Chari : Enjeux, état des lieux et implications »
L’insécurité orchestrée par le groupe terroriste Boko-Haram dans le bassin du Lac Tchad, entraine d’innombrable mouvement des groupes humains qui convergent vers des lieux offrant plus ou moins de sécurité parmi lesquels le Logone et Chari. Frontalier à la fois avec le Tchad et le Nigéria, ce département vaste au foncier riche et utile est la destination privilégiée des victimes des exactions du groupe terroriste Boko-Haram qui est entre autres pasteurs, éleveurs, pécheurs et agriculteurs. Dès lors, cet enchevêtrement socio-professionnel ne permet pas une cohabitation pacifique. Cependant, l’occupation du foncier devient objet et sources des conflits entre les hôtes et les déplacés et /ou les réfugiés et même entre les victimes elles-mêmes. C’est pourquoi, le sujet : « facteur Boko-Haram et conflits fonciers dans le Logone et Chari : enjeux, états des lieux et implications » se propose d’analyser tour à tour les causes et les manifestations ainsi que les implications de ces conflits. Dans l’optique de bien mener notre analyse nous consulterons, ouvrages, mémoires, articles, rapports et témoignages.
- Donald Moudio Assiene, Université de Yaoundé II : « Gouvernance minière en Afrique centrale: jeux des acteurs et défis sécuritaires »
L’Afrique centrale est pourvue en ressources naturelles cependant, on constate une inadéquation entre la possession de ces richesses et le niveau de vie des populations. Par ailleurs, des initiatives souveraines et concertées y sont prises pour gérer rationnellement ce secteur bien que des défis inhérents à la gouvernance et la divergence d’intérêts entre les acteurs en constituent des obstacles. Ainsi, il se dégage deux tendances de la littérature que nous avons consultée dont l’une d’inspiration libérale qui considère les ressources minières comme un facteur de paix et de coopération tandis que celle qui se fonde sur les approches réalistes les considère comme une source d’appauvrissement voire de conflit. Globalement, le choix de notre thème de recherche a été orienté par la question centrale relative à la construction et à la déconstruction de la gouvernance minière en Afrique centrale. Nous avons émis comme hypothèse la construction de la gouvernance minière en Afrique centrale à travers des dynamiques convergentes entre acteurs étatiques et non étatiques auxquels se greffent des défis inhérents à la préservation des intérêts divergents. Pour mener ce travail, nous procéderons à la collecte des données à travers les documents. De même, nous avons opté pour l’analyse des contenus et mobiliserons les théories de la gouvernance.
- Ariel Eugène Mbem, Université de Yaoundé I : « Les contestations postélectorales en Afrique centrale, et logiques de captation de la légitimité internationale s »
Les élections en Afrique centrale sont systématiquement marquées du sceau de la contestation depuis le retour au multipartisme. Ce comportement tourné vers la dénonciation des processus électoraux dans ces pays, tourne de temps à autre aux atteintes à l’intégrité physique, morale et au patrimoine et, même au phénomène de l’auto proclamation des « présidents élus », en complément de la mobilisation des ressources politiques internationales. Au regard de cette généralisation du recours à l’international sur une question de souveraineté nationale, on est en droit de se demander quelles sont les logiques qui gouvernent la recherche de la légitimité internationale, pour mieux dire, pourquoi les candidats contestataires des élections présidentielles surtout, s’emploient-ils à faire appel à l’intervention de la communauté internationale, en lieu et place de l’opinion publique nationale ? Pour répondre à cette problématique, notre analyse s’appesantira sur les théories de la mondialisation et des interactions stratégiques, tout en se fondant sur une approche analytique, nous privilégierons ici une analyse documentaire. Notre contribution s’articulera autour de deux axes : d’abord, il sera question de déterminer les leviers de la légitimité internationale à travers ses principes à savoir la promotion de l’intégrité électorale et ses instruments que sont la diaspora, les médias internationaux, les réseaux de défense des droits de l’homme ou encore les milieux diplomatiques et politiques ; ensuite, la question sera celle définir les logiques guidant les appels à la communauté internationale qui peuvent être l’échec de la mobilisation de l’électorat et des forces politiques internes, ensuite de la volonté d’affaiblir et/ou de renverser les régimes en place. L’importance de cette contribution est d’évaluer les implications internationales de l’empathie électorale en Afrique centrale, pour en penser les mesures palliatives. En conclusion, nous retiendrons que, si les contestataires électoraux se retournent vers la communauté internationale pour capter son potentiel secours salvateur, ceci est dû à l’effritement incessant des ressources électorales locales mobilisables, résultat à la fois de la nature extravertie des sociétés postcoloniales et des manœuvres de confiscation des leviers de pouvoir par les régimes en place.
- Georges Etoa Oyono, Université de N’Gaoundéré: « La contestation électorale en Afrique subsaharienne et la responsabilité des partis politiques (1990-2010) »
Depuis la tenue des premières élections multipartites en Afrique dans les années 1990, il est fréquent d’entendre crier à la contestation des opérations électorales. La pratique est tellement légion que l’on est en droit de s’interroger sur la compétence des dirigeants africains à organiser des élections dénuées de toute contestation. Dans cette réflexion qui ne saurait s’apparenter à un procès sur les scrutins jadis organisés en Afrique subsaharienne, nous sommes persuadés que les responsabilités sont partagées dans cet échec organisationnel. Nous pensons que, même si les gouvernements en place, acteurs majeurs de l’organisation pas toujours crédible des différents scrutins, les partis politiques portent aussi une responsabilité indéniable dans le bon déroulement desdites élections. Nous n’avons pas la prétention de produire une analyse qui remet en cause tous les scrutins organisés depuis le retour ou l’avènement de la démocratie. L’objectif ici est de montrer que la pratique de contestation est devenue fréquente en temps d’élections pour les partis politiques pas souvent bien préparés à aller aux élections, et, très peu dotés d’arguments justificatifs des motifs de fraudes souvent décriés ou dénoncés, généralement avant ou après chaque opération électorale. Cette étude postule qu’il est normal, voire légitime, de contester une élection, mais, il serait judicieux de bien s’organiser avant d’aller à une élection pour se doter d’arguments en sa faveur et par conséquent contester en cas de mauvais déroulement, pour faire valoir son droit démocratique.
18 mai 2021 @ 8h30-10h00
P06. Diviser pour mieux régner : l’instrumentalisation des ethnies aux fins de conquête et de conservation du pouvoir en Afrique
Responsable: Patrick Hervé Goma-Maniongui, Université Laval (hgmconsulting@ymail.com)
Description du panel:
L’identité ethnique est et reste un enjeu central dans de nombreux conflits et crises en Afrique. Elle a été utilisée comme enjeu de conquête et de conservation du pouvoir au Rwanda, ce qui a débouché sur le génocide de 1994. Au Congo-Brazzaville, cette meme question est à l’origine des guerres de 1992 et 1993, dont le point culminant a été la guerre civile de 1997. Les conflits dans les deux pays mentionnés plus haut, ainsi que la récente crise togolaise, posent le problème de l’omniprésence de l’identité ethnique dans les crises et conflits en Afrique. Ce constat emmène d’ailleurs certains observateurs à décrire les conflits dits à caractère ethnique, comme étant une « malédiction Africaine » (lemonde.fr). Augustin-Marie Milandou (Milandou, 2001) s’inscrit dans le même sens lorsqu’il déclare : « l’ethnie est donc de toutes les sauces politiciennes. Cela s’explique […], l’ethnie de l’autre inspire la méfiance, non pas par haine, mais parce qu’on ne croit pas que celui qui vient d’ailleurs ne fera pas passer avant les intérêts de la terre de ses racines.» L’instrumentalisation des ethnies, commencée des années avant les indépendances, continue son cours encore aujourd’hui à travers de nouvelles méthodes. Elle s’avère être un enjeu de taille pour l’acquisition et le contrôle des matières premières, ainsi que d’autres ressources rares. L’analyse des conflits au Congo Brazzaville et au Rwanda, combinée à une l’analyse de la crise togolaise, nous permettront de dégager les convergences et les divergences des techniques et méthodes de division par l’instrumentalisation des ethnies, que les différents protagonistes ont utilisées en vue d’atteindre leurs objectifs.
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P06.1 – Communications
Communications :
- Kossi Adandjesso, Université Laval : « Le système de contrôle du pouvoir au Togo : de l’ethnicisation au néopatrimonialisme »
Le Togo, après son accession à l’indépendance en 1960, a été dirigé d’abord par Sylvanus Olympio (de 1960-1960), Nicolas Grunitzty (1963-1967). Mais, de 1967 jusqu’aujourd’hui, soit plus de 50 ans, une seule famille dirige le Togo à travers la mise en place d’un fort système de contrôle du pouvoir. Ce système qui s’était plus basé sur un véritable ancrage ethnique a considérablement évolué ; et s’est désormais enraciné dans une dynamique néopatrimoniale mettant en exergue les relations clientélistes (Bratton et Van de Walle 1994 ; Bach 2011 ; Vidal 2008). Dans cette logique, la question que soulève cet article est de savoir : comment l’évolution du système de contrôle du pouvoir a permis à la famille Gnassingbé de se maintenir à la magistrature suprême du Togo durant plus de 50 ans ? Notre objectif est de montrer comment au Togo, le passage de l’ethnicisation du pouvoir au néopatrimonialisme a permis à la famille Gnassingbé de consolider le pouvoir et de mieux régner. Pour ce faire, nous avons premièrement définir un cadre thématique permettant de mettre en interaction l’ethnie, le néopatrimonialisme, le contrôle et la conservation durable du pouvoir au Togo. Ce cadre thématique sera opérationnalisé par le biais d’une approche méthodologique basée sur l’analyse documentaire et plus précisément une analyse de contenu. Cette méthodologie nous permettra de montrer dans un premier temps comment l’ethnie constituait le socle et soubassement du règne de cette famille. Dans la seconde partie, il sera question de montrer comment l’ethnicisation du pouvoir a évolué jusqu’au néopatrimonialisme.
- Patrick Hervé Gom-Maniongui, Université Laval : « L’instrumentalisation des ethnies au Congo Brazzaville: une analyse actantielle des conflits de 1992 à 1999 »
L’instrumentalisation des ethnies a fait un retour en force au Congo Brazzaville, avec la mise en place du système démocratique dans les années 1990. Dans ce contexte, une « gestion pragmatique de l’ethnicité» (Diallo, 2013 :6-8) s’impose pour les dirigeants. Cette gestion a pris de nombreux aspects : répression des membres de l’opposition, marginalisation des autres tribus et groupes ethniques et nettoyage ethno administratif (Lissouba, 1997). La guerre de 1997, événement « attendu, souvent avorté, et souvent redouté» (Tonda, 1999) a remis sur la table le mythe de la lutte ethnique « Nord-Sud», souvent qualifiée « d’illusion sociale essentielle et foncièrement a-historique » par de nombreux chercheurs, comme Georges Balandier, dont le propos est repris par F. Benault (Benault, 1996 :291). Au niveau politique, depuis ce conflit, ethnie apparait plutôt un instrument et un prétexte, pour se garantir une certaine protection des siens (clan, tribu, lignage), justifier des attaques contre une autre ethnie aux fin de garder le pouvoir acquis. La question se pose donc : comment, de façon pratique, les politiciens congolais se sont-ils servis de l’ethnie comme outil durant les récents conflits qui ont jalonné l’histoire congolaise ? Notre présentation propose, au travers d’une analyse de contenu effectuée à la lumière du schème actantiel de Berthelot (Berthelot, 1990), ainsi que du modèle identitaire de Nancy Fraser (Fraser, 2011), d’étudier les derniers conflits politiques du Congo-Brazzaville sur 1992-1999, sous le prisme nouvelles des techniques et méthodes d’utilisation de l’ethnie.
- Patrick Mbeko, Université Laval : « Le génocide rwandais : un exemple patent de l’instrumentalisation ethnique d’une lutte politico-militaire »
Le génocide rwandais est particulièrement resté dans la mémoire collective de l’humanité à cause de la nature extravagante des massacres. En trois mois, entre avril et juillet 1994, entre huit cent mille et un million de Rwandais, majoritairement d’ethnie tutsie, ont été exterminés (ONU, 1999). Aux yeux de nombreux observateurs, le drame rwandais constitue l’exemple type d’un massacre de masse commis à des fins ethniques. Les Hutus ayant systématiquement massacré les Tutsis pour conserver le pouvoir. La littérature post-génocide (Braeckman, 1994 ; Hatzfeld, 2003 ; Dallaire, 2003 ; Saint-Exupéry, 2004) est un exemple particulièrement démonstratif de cette lecture des événements. Si la plupart des travaux universitaires et journalistiques mettent en exergue le caractère ethnique du conflit qui a opposé les principaux protagonistes — le MRND, parti au pouvoir composé majoritairement des Hutus, au FPR, rébellion composée majoritairement des Tutsis — pour expliquer le caractère ethnique de la mécanique meurtrière, les travaux du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) permettent néanmoins de relativiser les choses. En effet, sans chercher à sous-estimer le problème Hutu-Tutsi qui a jalonné l’histoire des relations entre les deux groupes ethniques, il appert, à l’analyse des dizaines de milliers de pages des procès-verbaux des audiences du TPIR, des auditions de centaines des témoins, des rapports présentés et défendus par les experts de l’accusation et de la défense, des jugements en première instance et en appel, que l’ethnicisation de la question rwandaise fait l’impasse sur des luttes de pouvoir qui n’ont rien d’ethnique. Sibomana (1997) souligne à juste titre que la rivalité Hutu- Tutsi est un élément du décor, « un prétexte manipulé par des hommes politiques » ayant « un goût immodéré pour le pouvoir sous toutes ses formes, à n’importe quel prix ». Notre présentation s’articulera principalement autour des causes profondes qui ont mené au génocide au Rwanda. Il s’agira de comprendre comment l’instrumentalisation du fait ethnique par les belligérants pour conquérir et/ou conserver le pouvoir a conduit au dernier génocide du 20è siècle.
19 mai 2021 @ 8h30-10h00
P07. Enjeux politiques au Cameroun
Responsable: Mathieu Arès, Université de Sherbrooke (mathieu.ares@usherbrooke.ca)
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P07.1 – Communications
Communications :
- Mauricette Virginie Adiobo, Université de Yaoundé II : « Fracturation de l’opposition au Cameroun : fabrication des antagonismes et mobilisation du discours républicain »
Depuis l’avènement de la « démocratie » dans les années 1990 en Afrique et particulièrement au Cameroun, il a été observé une opposition constamment dans la désunion. Cette désunion semble être crée par différents acteurs à la fois de l’opposition et du pouvoir. Au Cameroun en effet, dans leurs projets de demeurer les maîtres du jeu politique, certains militants et leaders de l’opposition, en accord avec le parti au pouvoir, travaillent à fracturer l’opposition en créant des antagonismes. Leur argument de ralliement est le maintien de la paix et de la stabilité du Cameroun. C’est ainsi que s’est créé le collectif des 20 à la présidentielle du 7 octobre 2018 au Cameroun, formé de plusieurs partis politiques de l’opposition (entre autres le PADDEC, l’AMEC, Le MERCI, l’UBC, l’UCD, le FPLP, le PVDC, le RCPU, le FRR, l’ANPC, le NMP, le CDP etc…). Affirmant militer en faveur du patriotisme et du nationalisme, il présentait le candidat Paul Biya comme le meilleur risque, car considérant qu’il réunissait les qualités et les atouts nécessaires, pour maintenir la paix, la stabilité, l’unité nationale, le progrès économique et le respect du Cameroun dans le concert des nations. Par ailleurs, cette opposition dont du G 20 a considéré finalement tous les membres de l’opposition qui ne se sont pas alliés au parti au pouvoir comme les opposants néocoloniaux, voulant occasionner le trouble. Considérant ainsi qu’il existe deux camps à savoir : celui de la paix, c’est-à-dire ceux qui se sont alliés pour soutenir le candidat Paul Biya et qui défendent l’intérêt des camerounais, et de toutes les richesses qu’incarnent le candidat du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), et celui du chaos à savoir ceux qui restent dans l’opposition radicale. Cette recherche vise à montrer à travers une approche interactionniste, comment dans un jeu d’apparences, certains acteurs dits de l’opposition, en collaboration avec le pouvoir d’Etat, concourent à déconstruire l’opposition politique, à travers la mobilisation d’arguments patriotiques et républicains
- Jean-Armand Nkoetam Zambo : « La sécuritisation du pétrole camerounais: quelle pétrostratégie au lendemain du conflit de Bakassi ? »
Produit stratégique, le pétrole apparait comme l’une des préoccupations majeures de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle. En réalité, il est très souvent admis que certaines ressources naturelles en l’occurrence le pétrole, font partie des éléments de la puissance. Cela démontre donc toute l’importance de cette ressource et le fait qu’elle soit considérée comme un enjeu sécuritaire. Évidemment, le Cameroun est riche en pétrole aussi bien on shore que offshore. La zone de Bakassi qui a fait l’objet d’un conflit historique est riche en pétrole et regorge de nombreux enjeux. Autrement dit, le pétrole a été au cœur d‘un conflit historique entre le Cameroun et le Nigeria. De ce point de vue, ce conflit est apparu comme un théâtre de batailles hégémoniques entre les armées camerounaise et nigériane. Il a atteint son paroxysme en 1993, quand les forces nigérianes ont occupé illégalement une partie de la zone. Mieux, ce conflit avait pour but, entre autres, le contrôle des ressources et des espaces géographiques. Il convient de préciser qu’à côté de ce conflit symétrique, Bakassi a également vu naitre un conflit asymétrique pétrolier avec l’émergence des groupes rebelles et des pirates. Seulement, l’armée camerounaise n’est pas restée inactive durant ce conflit. Elle a démontré toute son efficacité. En réalité, elle a mobilisé plusieurs stratégies pendant ce conflit historique pour stopper l’avancée des troupes nigérianes et s’affirmer finalement dans cette zone. L’objectif consistant d’une part à préserver cette partie du territoire camerounais et, d’autre part, à assurer un contrôle optimal de la ressource pétrolière. Dans le cadre de cette communication, c’est ce que nous désignons par pétrostratégie. Ainsi, à l’aune du constructivisme sécuritaire et de la méthode historique, nous allons faire l’historique de ce conflit avant de démontrer les incidences que ce dernier a eu sur l’évolution de la pétrostratégie camerounaise. Par la suite, nous verrons comment l’Etat du Cameroun construit ses politiques de sécurité et de defense autour du pétrole et des menaces liés à sa présence. Nous allons constater enfin que ce conflit a permis à l’Armée camerounaise de renforcer davantage sa pétrostratégie. En ce sens, ne dit-on pas souvent qu’à quelque chose malheur est bon. Il convient de préciser à toutes fins utiles que cette stratégie pétrolière que nous désignons ici par pétrostratégie de l’Armée camerounaise a une double dimension : maritime et terrestre.
- Éric Moreno Begoude Agoume, Université de Douala : « La gouvernance de l’or noir au Cameroun à l’épreuve des mouvements séparatistes dans les régions du nord-ouest et du sud-ouest : Une analyse compréhensive à partir de la péninsule de Bakassi »
Connu et reconnu comme un champ d’expression de la malédiction des ressources naturelles, le Cameroun, pays d’Afrique centrale situé au fond du golfe de Guinée, met en relief un écosystème diversifié. Parmi ces ressources meublant l’éventail de ce pays, figure en grande place le pétrole. Encore appelé l’or noir, cette ressource présente sur la partie continentale (onshore) ainsi que dans l’espace maritime (offshore) s’illustre comme un sésame stratégique indispensable à la bonne santé de l’économie et partant du développement il extenso. Si tant est vrai que disponibilité des ressources naturelles en l’occurrence le pétrole rime parfois avec incertitude sécuritaire, il va sans dire que cette ressource dans le cas d’espèce du Cameroun apporte plus de mal que de bien. Ceci s’illustre de fort belle manière par la montée des mouvements séparatistes dans les régions du nord-ouest et du sud-ouest depuis octobre 2016. Cela étant, cette entreprise malicieuse surfe sur une vague d’instrumentalisation des revendications corporatistes des avocats et des enseignants anglophones qui fustigèrent de facto le diktat de la politique « assimilationniste » de l’espace francophone (80% de la population) aux anglophones. Au fond, la raison sous-jacente encourageant la sécession dans ces deux zones d’expression à culture anglaise, reste et demeure, la « patrimonialisation » de la ressource pétrolière dans la péninsule de Bakassi. Présentée comme une zone bondée de ressources naturelles notamment le pétrole, Bakassi offre un enjeu à saisir. Le problème que soulève notre étude est sans doute celui de la mauvaise gouvernance qui, par l’occasion incite quelques-uns à se rétracter du cap de l’intérêt commun concernant la gestion du pétrole à Bakassi. De là, l’on se pose la question suivante : Comment l’État du Cameroun, dans cette ambiance d’insécurité, peut-il réaffirmer sa stratégie de développement axée sur le pétrole ? Pour répondre à cette interrogation majeure, il nous est fondamental de marteler que même si la région du sud-ouest abrite la zone de Bakassi, la ressource pétrolière localisée bien que pouvant participer au développement direct de ces régions doit aussi lorgner le pinacle de l’intérêt suprême national. Pour cela, il est important que l’État mobilise les éléments substantiels pour rassurer dans ces régions en matière de bonne gouvernance.
- Aimé Protais Bounoung Ngono, Université de Maroua et Elizabeth II Audrey Mende Loumou : « La perception de l’élection dans l’explication de la conflictualisation des processus électoraux en Afrique noire francophone »
Comment et pourquoi va-t-on aux élections en Afrique centrale ? Comment sont perçus et conçus les processus électoraux ? Quels sont les déterminants qui construisent ces représentations, et quels en sont les effets sur l’issue des élections ? Cette communication tente d’y répondre à partir d’une étude comparée des processus électoraux plus ou moins récentes tenus au Cameroun, au Gabon, en RCA, en RDC at au Tchad. Il ressort que dans ces cinq pays, le moment électoral est, à des degrés variables pensé et intériorisé comme la continuation de la compétition éliminatoire. Dans ces pays en effet, tout le processus qui conduit à la convocation, l’organisation et à la tenue des élections est assimilable à une guerre, dans la mesure où il donne l’occasion aux acteurs politiques de mobiliser un ensemble de stratégies, de stratagèmes et de tactiques, pour s’assurer des positions avantageuses ou de devancer leurs concurrents dans la course vers la victoire finale. Autrement dit, c’est la rencontre de ces stratégies qui en effet influence profondément et détermine l’issue pacifique ou conflictuelle de l’élection. L’intérêt de cette perspective analytique est de monter que, contrairement aux analyses qui voient aux contestations électorales la conséquence des dysfonctionnements de la démocratie africaine, de l’inféodation des structures en charge de la gestion des élections et du déficit de la culture de la parlementarisation, la conflictualisation des processus électoraux traduisent le fait que l’élection est interprétée comme une guerre. En fait, contrairement aux libéraux et aux démocrates qui font de la compétition électorale une concurrence pacifique, l’élection parce qu’elle représente un processus concurrentiel procurant des avantages, est un moment foncièrement un marquer de crises. Dans ce sens, les contestations électorales sont l’expression de l’intériorisation de la compétition électorale comme une guerre au sens de Sun Tzu, surtout dans une configuration où tous les acteurs sont obnubilés par la victoire, et où la défaite électorale est perçue comme la défaite politique et militaire. Sans oublier que dans ces pays dominent encore un habitus historique de la politique comme pensée et pratique de la guerre.
- Robert Fankkem, Université de Yaoundé II : « Cyber-communication et menace à la construction de la nation camerounaise : une lecture géopolitique à la lumière de l’élection présidentielle de 2018 »
Le vote est en même temps un rituel et une forme de participation politique des citoyens à la vie nationale. Cette pratique est d’autant importante qu’elle permet à la fois la sélection et la légitimation des gouvernants. La période (pré et post)électorale est toujours politiquement effervescente parce qu’elle donne lieu à l’animation politique de l’espace publique. Cette pratique se fait à périodicité régulière plus ou moins préfinie par la loi électorale. Au Cameroun, elle se fait tous les sept ans pour ce qui est de l’élection du Président de la République. L’année 2018 correspondait à cette échéance. Cette élection est intervenue dans un contexte où la parole s’est libéralisée grâce à l’ancrage de l’ouverture de l’espace communicationnelle dans les réseaux sociaux, dont l’usage n’est pas (ou est difficilement) encadré par des textes normatifs nationaux et transnationaux harmonisés. Cette situation a ouvert la voie à des excès langagiers sur fond de repli identitaires, sous de vrais et de faux profils, trahissant la fracturation sociopolitique qui remet en cause l’illusion d’une nation camerounaise. Curieusement, parmi les animateurs controversés du cyberespace, se trouvent des universitaires supposés être la lumière avant-gardiste dans le chantier de la construction ou de l’intégration nationale, ce qui sur la problématique suivante : quelle lecture géopolitique pouvons-nous faire de la montée en puissance des discours antinationaux observés dans le cyberespace au cours de cette période électorale ? A cette problématique, nous postulons la hypothèse selon laquelle les acteurs et auteurs de ces discours sont plus mus par des idéaux tribalo-centrés que par la poursuite d’un idéal national, au nom de la conservation ou de la conquête du pouvoir suprême, ce qui confirme l’échec d’un idéal national camerounais. Une telle hypothèse peut se démontrer dans le cadre théorique du behaviorisme, et de l’auto-centrisme. La démarche de l’analyse géopolitique (enjeux, territorialité, acteurs, représentation des acteurs) nous permettra de scruter si par sa politique de « laisser-faire », l’État ne normalise et/ou n’institutionnalise pas le tribalisme au Cameroun.
18 mai 2021 @ 13h30-15h00
P08. Cyberespace et clivages des politiques de sécurité au prisme de la pandémie Covid-19
Responsable: Idriss Miskine Buitchocho, Université de Paris (idrissmiskine7@gmail.com)
Description du panel:
Alors que l’émergence du cyberespace constituait déjà en soi une révolution dans les pratiques sécuritaires autant pour la vie privée, sociale et économique que pour les armées, l’apparition de la pandémie Covid-19 a contribué substantiellement à catalyser les risques y afférents, déjà difficiles à maîtriser. C’est ainsi que certaines orientations des puissances se retrouvent en clivage notamment quant à la doctrine de l’exploitation des ressources numériques dans la lutte contre la pandémie. Le but de ce panel est d’analyser et de comprendre les clivages axiologiques, doctrinaux et opérationnels de la Chine, de la Russie, du Canada, des États-Unis, de l’Union européenne et des États de l’Union africaine, entre autres, en matière de sécurité numérique dans un contexte de crise sanitaire, exigeant logiquement une politique de sécurité collective. Cela permettra d’éclairer en partie l’endiguement de l’abysse entre les politiques de cybersécurité, rendant ainsi compte de la difficile conciliation internationale dans ce domaine.
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P08.1 – Communications
Communications :
- Thi Huong Dang, Université Laval : « Politiques de cybersécurité du Vietnam durant la pandémie Covid-19 »
À l’ère numérique, les gens passent une partie importante de leur vie dans le cyberespace pour s’informer et s’échanger. Pourtant, il est dangereux que les réseaux sociaux soient inondés des informations dans lesquelles on a du mal à distinguer le vrai du faux. Durant la pandémie Covid-19, les pays sont confrontés à la désinformation et la mésinformation qui affectent la prévention et la lutte contre le coronavirus. Ainsi, prendre des politiques contre la propagation des informations fausses et trompeuses devient un enjeu important des pays occidentaux ainsi que des organisations internationales dans le contexte de la crise sanitaire. Par conséquent, il est temps pour les gouvernements d’évaluer l’importance de l’outil numérique. Pourtant, il est difficile de trouver une politique de sécurité collective dans la lutte contre la Covid-19 permettant de satisfaire tous les régimes politiques avec des orientations différentes. Dans les systèmes communistes comme le Vietnam, où le parti unique dirige tous les aspects de la société de la population, les informations sur Internet sont contrôlées strictement par les forces de police. Inspirée de la Chine, la loi sur la cybersécurité du Vietnam a été mise en valeur depuis janvier 2019 afin de lutter contre les fausses nouvelles et les opinions à l’encontre du point de vue du pouvoir politique. Au cours de la pandémie, les dirigeants vietnamiens accroissent la surveillance des informations sur les réseaux sociaux et punissent sévèrement des personnes qui publient ou partagent des nouvelles non basées sur des sources étatiques. Je voudrais contribuer à la conférence une présentation sur les politiques numériques du Vietnam dans le cadre des activités contre la pandémie Covid-19. Le Vietnam embrasse également les tendances technologiques avec un enregistrement de 70% de la population utilisant Internet jusqu’au mois de janvier 2020, 67% des Vietnamiens joignant les réseaux sociaux et plus de la moitié de la population possédant un compte Facebook. Je m’intéresse à communiquer les politiques de cybersécurité qui sont mises en oeuvre dans la prévention et la lutte contre la pandémie Covid-19. Pour cela, les autorités renforcent à contrôler le cyberespace pour assurer un environnement d’information sécurisé conformément aux politiques du régime communiste. Ensuite, je vais éclairer l’usage des moyens numériques pour influencer l’opinion publique et maintenir l’ordre social durant la pandémie. Effectivement, l’État utilise les réseaux sociaux pour propager les informations étatiques afin de manipuler les opinions et les attitudes des citoyens, mais aussi de contrôler leurs croyances vers les autorités. Les politiques adoptées en contexte de la pandémie visent également à protéger les puissances du parti unique et les intérêts nationaux. Ces politiques ne pourraient pas être appliqués dans les sociétés démocratiques.
- Mélissa M’Raidi-Kechichian, UQAM : « Des réseaux sociaux aux mouvements sociaux durant covid-19: étude comparative des politiques numériques appliquées à l’activisme en Russie et aux États-Unis »
L’ère de la covid-19 rime le plus souvent avec crise sanitaire et confinement. Pourtant, des mouvements sociaux tels que Black Lives Matter aux États-Unis, et des manifestations en faveur d’Aleksei Navalny, qui ont remis en question la légitimité du président russe Vladimir Poutine en Russie, ont émergé durant cette période. Ces rassemblements étaient sans précédents et d’autant plus inattendus du fait des ravages de la pandémie aux États-Unis d’un côté, et d’un régime autoritaire réprimant sévèrement toute opposition au pouvoir Russe de l’autre. Bien que la Russie et les États-Unis adoptent des systèmes politiques bien distincts, ces deux pays se rejoignent dans leur approche quant à la gestion des données, plus spécifiquement dans le cadre de l’élaboration de politiques numériques visant les activistes ou opposants politiques. Dans les deux cas, on observe un clivage entre la propagande diffusée par le gouvernement et les idéaux d’activistes ayant pour but de provoquer des changements à la fois sociaux et sociétaux. Aux États-Unis, plusieurs fils d’idées sont offerts aux citoyens, permettant ainsi le maintien d’un modèle de pluralisme politique et un affrontement d’idées. En Russie, c’est un seul et même fil directeur idéologique qui est diffusé par le gouvernement, ce qui s’inscrit dans le maintien du modèle de gouvernance autoritaire. Ces affrontements idéologiques entre les citoyens russes et américains et leur gouvernement respectif prennent tous deux naissance sur les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux permettent la diffusion et la propagation d’opinions, mais aussi la création d’évènements menant ultimement à l’organisation de rassemblements. Malgré des contextes politiques diamétralement opposés, la Russie et les États-Unis se rejoignent, paradoxalement, dans leur façon de gérer les mouvements sociaux et politiques nés de l’espace numérique. Cette présentation vise à faire un état des lieux des paradoxes politiques et légaux appliqués aux cas d’activisme mentionnés ci-haut, dans le contexte de covid-19. Ces paradoxes seront abordés de manière comparative, et ce à travers l’analyse du positionnement et des actions des États-Unis et de la Russie en matière de politique numérique.
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Frank Kie, Cyber Africa Forum: « Les approches de risque et de protection de données face à la covid-19 en cotre d’Ivoire et en Afrique de l’Ouest »
Dès l’aube de l’apparition de la covid-19, la plus part des Etats au niveau technologique avancé ont entrepris des solutions numériques contribuant à la gestion de la pandémie. L’accès au cyberespace impacte pourtant de façon spectaculaire les utilisateurs tant dans leur quotidien et dans notre société. En effet, il offre d’innombrables opportunités de développement économique, social et politique et financière, mais également la possibilité d’effectuer des opérations de surveillance, de collecte et d’exploiter des datas personnelles, ou encore influencer la démocratie, de commettre des crimes. Les libertés, la démocratisation des plateformes, couplées à l’inviolabilité des données personnelles de l’Union européenne se sont presque opposées à une centralisation de plus en plus accrue des données et une surveillance globale à l’aide des Big Brother numériques actionnée par la chine au nom de la sécurité sanitaire. Cependant, il apparait difficile d’évaluer la doctrine africaine dans ce nouveau contexte bouleversant et de l’interconnexion des risques. Cette communication se propose d’analyser les dynamiques ouest africaines des politiques de sécurité numérique à l’ère de la covid-19 en abordant trois questions : (1) Covid-19 et état de la sécurité numérique en Côte d’Ivoire et en Afrique de l’Ouest; (2) Crise sanitaire et réflexion sur la digitalisation en Afrique et; (3) La covid-19, une catalyse de la coopération Nord-sud pour la sécurité du cyberespace : Quel gage pour le continent africain ?
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Lubna Brioual, Université de Picardie : « Les tendances de la sécurité numérique face à la Covid-19 en Europe »
Les bouleversements introduits par la Covid-19 sur la scène internationale, dans les dispositifs politiques, économique, stratégique, règlementaire et technologique des Etats, au regard de l’actualité, semblent avoir infligés une leçon d’humilité aux acteurs de l’Union européenne. En accélérant l’adoption des outils digitaux et en modifiant les organisations, la sécurité des infrastructures numériques est devenue très complexe face une timide coopération entre l’OTAN et l’Union Européenne sur les sujets de cyber-sécurité. Bien plus, la course technologique sur le marché satellitaire s’est intensifiée entre Etats en absence de droit international dans le cyberespace et le marché d’internet par satellite est devenue quasi-monopolistique. Cette crise systémique nous amènent réfléchir sur le dispositif global de la gestion des évènements complexes tant sur le plan de la géopolitique, de la gouvernance mondiale, de l’économie, des ressources technologiques et environnementales et financières. Le but de cette communication est donc d’analyser les politiques de sécurité numérique au des états de l’Union européenne a l’ère de la Covid-19 selon trois axes : (1) L’interconnexion des risques globaux face à la pandémie en France et dans l’Union européenne, un état des lieux de la catalyse du cyberespace; (2) Efforts et positionnement de la politique de sécurité numérique de la France et de l’Union en contexte pandémique: Doctrine, Règlementations et Technologies et; (3) La nécessité de constitution d’une benchmark et de la mise en place d’une politique hybride d’appui des R/D intégrés dans le numérique. La question fondamentale est quelle société numérique souhaitons-nous après la Covid-19 ? Pour rendre le cyberespace plus sûr, stable et ouvert, une combinaison de réponses autour du secteur privé, les gouvernements et le grand public nous semble nécessaire.
21 mai 2021 @ 8h30-10h00
P09. Le Québec et la diversité : un regard sur l’opinion publique
Responsable: Antoine Bilodeau, Université Concordia (antoine.bilodeau@concordia.ca)
Description du panel:
Que ce soit par les contestations de la loi 21, les débats sur le racisme systémique, les échos du mouvement « Black Lives Matter » ou le sort des « anges gardiens » sans statut, les enjeux de l’immigration et de la diversité ethnoculturelle continuent d’occuper une part importante de l’actualité médiatique au Québec et ce malgré la pandémie de COVID-19. Cette séance offre une discussion sur les réactions des Québécois face à ces enjeux et sur les facteurs qui les sous-tendent. Notamment, les présentateurs proposent d’analyser les attitudes des Québécois envers divers groupes d’immigrants et de mieux saisir les variations régionales dans les perceptions de l’immigration.
Participant-es :
- Allison Harell (UQAM): « Les attitudes intergroupes et leurs conséquences pour la solidarité sociale : Une comparaison des francophones et anglophones au Canada »
- Antoine Bilodeau (Concordia) et Audrey Gagnon (Concordia): « Qui sont-ils? Une analyse des sympathisants de La Meute au Québec »
- Antoine Bilodeau (Concordia) et Luc Turgeon (Ottawa): « Événements critiques et sentiment d’appartenance des minorités ethnoculturelles : Exploration de l’impact de la Charte des valeurs québécoises et de la Loi 21 ».
- Roxane de la Sablonnière (UdeM) et collègues: « COVID-19 et préjugés au sein de la population canadienne : trajectoires de préjugés envers les personnes d’origine chinoise et leurs prédicteurs »
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P09.1 – Communications
Communications :
- Allison Harell, UQAM : « Les attitudes intergroupes et leurs conséquences pour la solidarité sociale : Une comparaison des francophones et anglophones au Canada »
L’identification avec la nation joue un rôle important pour les attitudes envers les immigrants. Les conceptions libérales du nationalisme mettent surtout l’emphase sur la conception civique de la nation (versus les conceptions ethniques qui excluent l’inclusion la diversité ethnique et linguistique par définition). Mais les mesures du nationalisme civique ne prédit pas bien l’inclusion dans les régimes de redistribution, un test clé de l’hypothèse du nationalisme libéral. Dans Harell et al (2021), nous avons proposé une mesure alternative de l’inclusion dans la nation, notamment les perceptions de membership. Le concept capture les perceptions de réciprocité et d’engagement envers la communauté politique au Canada et démontre sa force a expliqué le soutien de la redistribution inclusive. Dans ce texte, nous explorons les sources de ces perceptions, avec une attention spéciale aux différences linguistiques et régionales qui distinguent les attitudes intergroupe – incluant la nature (ou non) des différences dans les préjugés, les perceptions de membership, et l’appui à des notions du nationalisme ethnique et civique à travers deux sondages collectés en 2017 et 2020 au Canada.
- Audrey Gagnon et Antoine Bilodeau, Université Concordia : « Qui sont-ils? Une analyse des sympathisants de La Meute au Québec »
Alors que les mouvements d’extrême droite suscitent de plus en plus l’attention des chercheurs en Europe et aux États-Unis, le cas du Canada, et plus particulièrement du Québec, demeure négligé. Pourtant la province est souvent invoquée comme constituant un terreau fertile pour la présence et le soutien aux organisations d’extrême droite. L’émergence de nouvelles organisations d’extrême droite au cours des dernières années tend d’ailleurs à confirmer cette tendance. Parmi les organisations ayant récemment gagné en visibilité au Québec on retrouve celle de La Meute; une organisation fondée en 2015 afin d’opposer l’arrivée de 25 000 réfugiés Syriens au Canada. Le cas de La Meute est particulièrement intéressant en raison de l’intérêt qu’il a suscité auprès du grand public, attirant plus de 40 000 personnes sur un groupe secret sur Facebook. Qui sont les sympathisants de La Meute? Mobilisant des données de sondages réalisés auprès de 5500 Québécois en 2019 et 2021, cette recherche explore les caractéristiques sociodémographiques et les motivations des sympathisants de La Meute. Les sympathisants de La Meute sont-ils principalement composés d’hommes blancs peu éduqués et d’un âge certain (souvent désigné comme des « angry white men » [Kimmel 2013])? Le soutien à La Meute représente-il une réponse à des opinions exclusives face à l’immigration et la diversité ethnoculturelle ou encore à un sentiment d’aliénation politique et sociale? Cette recherche entend répondre à ces questions.
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Antoine Bilodeau, Université Concordia et Luc Turgeon, Université d’Ottawa : « Événements critiques et sentiment d’appartenance des minorités ethnoculturelles : Exploration de l’impact de la Charte des valeurs québécoises et de la Loi 21»
Au cours de la dernière décennie, un nombre croissant de publications ont exploré l’impact de ce qui a été appelé des événements « externes », « critiques » ou « menaçants » sur les attitudes envers les immigrants et les minorités ethnoculturelles (Hopkins, 2010 ; Czymara et Schmidt-Catran, 2017 ; Frey, 2020). S’appuyant sur la disponibilité de données longitudinales, ces chercheurs ont évalué l’effet d’événements tels que des attaques terroristes, la « crise des migrants » en Europe ou l’adoption de différentes politiques publiques. Cependant, jusqu’à présent, peu d’études ont exploré l’impact d’événements critiques qui pourraient être perçus comme visant les immigrants ou les minorités ethnoculturelles sur leur sentiment d’appartenance. Dans cet article, nous tentons de vérifier si les débats autour de la Charte des valeurs québécoises (2013-14) et de la loi 21 (2019) ont eu un impact négatif sur le sentiment d’appartenance des minorités ethnoculturelles et religieuses au Québec et au Canada. L’étude s’appuie sur trois enquêtes menées auprès d’immigrants racisés au Québec en 2012 (n=445), 2014 (n=297) et 2019 (n=574).
- Ferrante, V. M., Beauparlant, S., Dorfman, A., Pelletier-Dumas, M., Lacourse, É., Lina, J-M., Stolle, D., Taylor, D. M., & de la Sablonnière, R.: « COVID-19 et préjugés au sein de la population canadienne : trajectoires de préjugés envers les personnes d’origine chinoise et leurs prédicteurs »
Puisqu’elle a débuté en Chine, la pandémie de la COVID-19 s’est accompagnée de discrimination envers la communauté chinoise (Vachuska, 2020). Le premier but de cette étude est de décrire de manière exploratoire l’évolution des préjugés envers les personnes d’origine chinoise. Plusieurs trajectoires, qui diffèrent sur leur niveau initial de préjugés, sont attendues. Le second but vise à déterminer quels facteurs prédisent l’appartenance à ces trajectoires. Sur la base de recherches précédentes, nous postulons que la privation relative personnelle et collective (H1a et H1b), l’identification nationale (H2a) et l’identification provinciale (H2b) prédisent les trajectoires les plus élevées en termes de préjugés, tandis que l’identification aux citoyens du monde (H2c) prédit les trajectoires les moins élevées. Les données proviennent d’une étude longitudinale pancanadienne, qui s’étend sur 10 vagues, d’avril à décembre 2020 (N temps1 = 3617).
18 mai 2021 @ 13h30-15h00