Prix d’Excellence 2023

Discours de réception du Prix d’Excellence 2023 à l’occasion du 60e congrès de la Société québécoise de science politique (SQSP)

Discours de Guy Laforest - Université Laval
À l’occasion du 60e Congrès, qui s’est tenu à l’Université Laval les 19 et 20 mai 2023, la SQSP a remis le Prix d’excellence au professeur Guy Laforest de l’Université Laval.
Nous avons le plaisir de publier le discours prononcé par le professeur Guy Laforest lors de la cérémonie de remise des prix.

Ce prix me touche beaucoup et j’exprime ma plus profonde gratitude à la SQSP,  à son président Érick Duchesne ainsi qu’au responsable du comité des Prix Guy Lachapelle. Félicitations au récipiendaire du Prix Enseignement Charles-Philippe David, ainsi qu’à toutes les personnes mises à l’honneur ce soir. Je fréquente la SQSP depuis 1981, alors qu’elle tenait son congrès dans le cadre de l’ACFAS à l’Université de Sherbrooke. Le thème du congrès était « Les intellectuels et le pouvoir » et il était organisé par Denis Monière et Michèle Lamont. En 1982 j’ai fait ma première communication à la SQSP à l’UQAM, et en 1983 à Trois-Rivières j’ai assisté à une séance où Daniel Latouche et le regretté Léon Dion ont raconté la naissance de la SQSP, alors appelée Société canadienne de science politique, en 1963. 60 ans pour une association savante ce n’est pas rien, et je suis heureux de recevoir le prix dans une année semblable. J’ai une pensée aussi pour les précédents récipiendaires, et en particulier les regrettés Caroline Andrew et François Pétry.

Comme Charles-Philippe David je me reconnais une dette importante envers Louis Balthazar, lequel m’a accueilli avec énormément de générosité à compter de 1988 au département de science politique de l’Université Laval. Quelque trente ans plus tard je suis devenu directeur général de l’École nationale d’administration publique et je ne dirai jamais assez souvent l’ampleur de ma gratitude envers l’équipe, et en particulier la directrice de l’enseignement et de la recherche par intérim la professeure Michèle Charbonneau, et le directeur de l’administration Guy Dufour, grâce à qui l’ENAP a pu tirer son épingle du jeu dans la pandémie de la COVID-19.

Je ne reviendrai pas ici sur le volet rétrospectif de ma trajectoire professionnelle. On pourra consulter une synthèse de ma carrière dans le profil public sur le site internet de l’ACFAS. Ce printemps, je disais à mon fils Vincent, l’avocat de la famille, que lorsque l’on additionnait son âge -32 ans- au mien -68 ans, on arrivait au beau chiffre de 100 ans. J’ai vu que cela l’attristait un peu. Alors je lui ai dit que j’étais en train de parachever un nouveau plan stratégique, pour la période 2024-2040, laquelle couvrait autour de 6000 jours. Cela le fit sourire. À la retraite, mon premier objectif est de profiter de la vie en famille, en étant conscient de la finitude humaine à propos de laquelle les écoles philosophiques stoïcienne et herméneutique ont dit des choses bien lumineuses. Je souhaite aussi continuer de m’intéresser à un certain nombre de problématiques, fondamentales pour moi, à commencer par l’interrogation formulée par Isaiah Berlin, sur les dimensions de ce qu’il appelle en anglais « a decent society », pour laquelle j’emploierais en français plusieurs épithètes : une société bienveillante, hospitalière, habitable, respirable; en la matière la perfection n’est jamais atteignable, nul n’a le monopole de la vérité, mais c’est notre responsabilité de participer à un débat ouvert et lucide sur le sens de cela dans notre société. Je continue de m’intéresser aussi aux identités politiques et constitutionnelles du Québec et du Canada, aux rôles des intellectuels dans la trajectoire historique et politique du Québec, à la promotion des universités en tant qu’institutions indispensables à la dignité humaine et à l’avenir de nos sociétés – cela vaut pour moi a fortiori pour la société québécoise-, à la promotion des études sur le Québec ici et à l’étranger, à la promotion de l’ACFAS en cette année où on célèbre le centième anniversaire de sa fondation, et finalement à l’encouragement de la relève dans nos disciplines. Parlant de relève, je suis très fier de passer le flambeau de la collection Prisme aux Presses de l’Université Laval au juriste Dave Guénette de l’Université de Sherbrooke et à son collègue le politologue Félix Mathieu de l’Université de Winnipeg. Dave et Félix organiseront aussi l’an prochain, en 2024, avec leur collègue la juriste Amélie Binette de l’UQO, un colloque sur le 250e anniversaire de l’Acte de Québec, étape importante dans l’évolution de l’autonomie du Québec.

Comme dans nombre de mes cours à l’Université Laval, je terminerai en mobilisant la poésie et la philosophie. Dans le fameux poème Grodek, l’expressionniste autrichien Georg Trakl adoptait la posture du désespoir pour contempler les champs de bataille de la première guerre mondiale. Il y écrit notamment que « toutes les routes débouchent dans la pourriture noire ». Difficile de ne pas admettre que cette posture était appropriée pour lui et pour son époque. Je déplore la retrouver trop souvent dans les analyses de la situation contemporaine de notre société et de notre monde. Certes, ici et ailleurs, les raisons de s’inquiéter ne manquent pas. Toutefois, quelque pessimiste que l’on puisse être sur l’avenir, les marges et les capacités d’action sont telles que nous devrions nous tenir loin du désespoir. Un peu de décentrement pourrait être utile. Imaginons les personnes qui nous ont précédés dans la trajectoire historique du Québec, disons à chaque tranche de 50 ans depuis 1773. Tant à cette époque qu’en 1823, 1873, 1923 et 1973, les défis étaient immenses et des doutes concernant l’avenir pouvaient être justifiés. Selon ma formule, aujourd’hui comme à chacune de ces étapes de notre histoire, la tâche des patriotes demeure de trouver le meilleur équilibre possible entre, d’une part, les dimensions qui forment le coefficient d’humanité d’une société et, d’autre part, les éléments du coefficient de la puissance. Et à chaque fois, dans l’action, en sachant que, possiblement, le meilleur sera en 2073 ou en 2123, et en préservant l’horizon d’avenir des générations qui nous remplaceront. Le meilleur pour le Québec est peut-être pour demain.

Dans son essai sur le sens de la vie, le philosophe Jean Grondin de l’Université de Montréal concluait que face à l’infinité du temps et à l’immensité de l’espace, l’être humain n’est presque rien. Dans ce contexte, comment trouver du sens à la vie? Et Grondin de poursuivre que, dans la vie privée comme dans la vie professionnelle, on trouve du sens à sa propre vie en aidant les autres avec qui on dialogue sur le même chemin. L’être humain triomphe dans sa quête de sens nécessairement avec autrui. Parce que, dans ma vie professionnelle, le milieu et les gens de la SQSP ont été très importants dans ma propre quête de sens, je suis particulièrement heureux de recevoir ce prix d’Excellence.

Québec, 19 mai 2023

Guy Laforest
Professeur émérite, Université Laval

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Bio
Guy Laforest a été formé à l’Université d’Ottawa, à Laval, à McGill et à l’Université de Calgary où il fut chargé de cours à temps complet et chercheur postdoctoral., Guy Laforest a fait sa carrière en science politique à l’Université Laval comme professeur et chercheur de 1988 à 2017 et à l’École nationale d’administration publique comme directeur général et chercheur de 2017 à 2022. À la retraite, il demeure membre du Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales (GRSP) et du Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie (CRIDAQ). Devenu membre de la Société royale du Canada en 2014, ses contributions à l’enseignement, à la recherche et à l’organisation de la vie institutionnelle en science politique sont à classer dans cinq catégories: l’interprétation critique du fédéralisme et de l’État au Canada; l’histoire philosophique du politique et l’histoire intellectuelle au Québec et au Canada; la compréhension des trajectoires politico-intellectuelles de P.E. Trudeau et de Charles Taylor; en pensée politique les apports à l’école canado-québécoise du pluralisme et de la diversité; finalement, les engagements multiples dans les institutions de la vie académique et intellectuelle dans les sciences humaines et notamment la science politique.